Publié le 15 Dec 2016 - 21:45
DÉLAISSEMENT TRANSPORT FERROVIAIRE

 Le paradis perdu de la gare de Tivaouane

 

La réputation de la région de Thiès comme capitale du Rail n’est pas usurpée. Mais dans le département qui abrite la ville sainte, Tivaouane, le transport par voie ferrée n’est plus ce qu’elle avait été. En témoigne la gare ferroviaire de la ville réduite à son plus minimum service.

 

‘‘Ce bâtiment a été inauguré le 18 octobre 1897 par Mr Lebon, ministre de la colonie, lors de son voyage au Sénégal’’. C’est ce témoignage laconique, inscrit en noir sur un petit carré de marbre blanc de la gare ferroviaire de Tivaouane, qui resurgit de la fin du 19e siècle pour imposer à l’œil néophyte son style rustique, mais chargé d’histoire. Les portes fenêtres caractéristiques de l’époque coloniale conservent le charme des lieux. La gare impose une force nostalgique dans cette ville religieuse qui était considérée comme la cinquième du Sénégal colonial après les quatre communes dakaroises.

 Le temps a accompli son œuvre inéluctable sur cette bâtisse dont des plafonds, en tuiles de Marseille ocres, débordent les brindilles témoignant d’une prise de contrôle par les oiseaux. Les grilles rouillées des guichets et des portes métalliques ripolinées d’une peinture marron récente témoignent que les services de la gare sont restés inactifs depuis belle lurette. Le panneau signalétique indiquant ‘‘Tivaouane’’ n’a pas subi ces assauts du temps, mais est sérieusement amoché par plusieurs trous qui traduit le délaissement dans lequel se trouve la gare.

Mais à part cela, tout fonctionne. La gare est inhabituellement animée avec un fourmillement d’activités qui annonce que les pèlerins ont rejoint la ville sainte. La preuve par l’équipe de Dakar Bamako Ferroviaire (DBF) qui a momentanément pris les rênes pour le convoyage de pèlerins durant le Gamou. La seule période où la gare sert au transport de passagers. L’inspecteur principal d’exploitation, Cheikh Niang, en compagnie de l’aiguilleur et de quelques autres travailleurs devisent tranquillement sur la volte-face électorale du président gambien sortant, Yaya Jammeh. ‘‘On a fait appel à nous pour que l’on gère la sécurité’’, déclare-t-il.  Cheveux sel poivre et lunettes bien montées sur son visage régulier, il prend un peu de temps libre en ce samedi 10 décembre 2016, veille de Gamou, puisque le jour J, il aura à gérer l’arrivée de cinq rotations en provenance de Dakar. Depuis le vendredi 9, cinq autres ont déjà quitté la capitale sénégalaise pour la ville de Maodo. ‘‘ Pour la célébration, nous avons été dépêché pour contrôler le convoyage des pèlerins. Autrement, ce sont les sociétés minières qui gèrent cet embranchement, Tivaouane-Mékhé’’, poursuit-il. 

Si ce bâtiment fonctionne en dépit du fait qu’il croule sous le poids de l’âge, la bâtisse qui lui fait face est totalement hors service depuis plus d’une décennie. Très difficile même de déchiffrer le mot ‘‘district’’ sur un écriteau métallique oxydé. ‘‘Il servait de résidence au chef de gare ainsi qu’aux cheminots qui y travaillaient. Maintenant, c’est complètement à l’abandon’’, poursuit Cheikh Niang. La hauteur des herbes jaunes et l’état de délabrement avancé confirment ses propos. L’aiguilleur qui était calme jusque-là rabroue un enfant qui s’amusait à tourner la manivelle de l’aiguille.

La gare de Tivaouane est à l’image de la déliquescence du chemin de fer sénégalais. Exit le transport de voyageurs, pour celui des matières exploitées dans la très minière zone thiéssoise. Depuis la suppression de la première ligne ferroviaire de l’AOF Dakar-Saint. Louis, suivie de celles de Louga-Linguère, Dakar-Touba (sauf en période de Magal), Dakar-Kaolack, Kaolack-Touba, Guinguinéo-Tamba, Tivaouane fait grise mine aussi. La légendaire ligne Dakar-Bamako a également subi la déliquescence du chemin de fer avec l’arrêt du transport des passagers en mai 2010. ‘‘DBF n’assure que le portage des marchandises dans la capitale malienne’’, assure Cheikh Niang que les aléas climatiques inquiètent depuis l’endommagement de la voie en août dernier, au niveau de Kaffrine, à cause des fortes pluies de l’hivernage.

L’âge d’or

En 1996, les autorails ont arrêté leurs activités, ce qui a permis la reprise par la société d’exploitation ferroviaire des industries chimiques du Sénégal (Sefix), qui assurait l’embranchement Thiès-Tivaouane. Quelques années plus tard, la société GCO qui assure l’exploitation du zircon a obtenu la gestion de l’embranchement Tivaouane-Mékhé pour le transport des matières premières. Depuis cette prise de contrôle ‘‘industriel’’, les nostalgiques de la belle époque regrettent l’âge d’or d’un transport de passagers où le commerce fleurissait. ‘‘Bien sûr que je regrette cette époque.

Les passagers prenaient d’assaut mes oranges, jujubes, arachides grillées et toutes sortes de casse-croûte que je vendais. Maintenant il faut attendre le Gamou pour faire mon petit commerce’’, se désole celle qui se fait appeler Mère Diarra. A côté d’elle, une complainte pratiquement similaire est formulée par une vendeuse de sandwiches qui prie pour la multiplication d’événements religieux d’envergure. ‘‘J’ai entendu ma mère parler de cette époque où les voyageurs, en escale, raflaient toutes les marchandises. Mais la fête est un bon prétexte pour nous d’écouler nos marchandises puisque les gens qui viennent d’arriver se ressourcent directement ici’’, dit-elle dans un sourire.

Après le Gamou, la société minière Grande Cote Opérations (GCO) va reprendre la gestion de cet embranchement. Les sociétés minières ont pris une sérieuse option dans le convoyage de leurs marchandises où la gare fait leur bonheur dans la capitale du Rail.

Pour la célébration du Mawlid, la station a servi de camp de base aux éléments de la police qui ont installé de petites tentes sur les deux niveaux du bâtiment peints en marron-blanc. Entre un marché hyper animé, les pèlerins égayés qui n’avaient de cesse de passer par les traverses, et les petits enfants qui jouaient à l’équilibriste sur le fil du rail, juste pour le plaisir de prendre la voie ferrée, le Gamou de Tivaouane rappelle à la gare éponyme, pour un weekend, un passé glorieux et nostalgique.  

OUSMANE LAYE DIOP

 

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