Publié le 6 Nov 2018 - 00:33
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DANS L’UEMOA

Les mauvais points du franc Cfa

 

Même s’il  est difficile d’affirmer que les pays de la Zone franc Cfa se porteraient mieux en sortant de cette union, il n’en demeure pas moins qu’aucun des membres de cette ensemble ne s’est développé depuis près de 60 ans.

 

‘’Bien téméraire l’économiste qui dira qu’il vaut mieux sortir du franc Cfa, parce que c’est mieux pour l’économie du Sénégal’’. Ces propos sont du Dr Idrissa Diandy, enseignant-chercheur à la faculté des Sciences économiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar. Cette affirmation ne veut pas dire, pour autant, qu’il est favorable à l’ancienne monnaie coloniale. Bien au contraire, l’auteur de ces propos est même plutôt favorable à la fin de cette relation monétaire entre l’ancien colonisateur qu’est la France et ses colonies, officiellement indépendantes depuis les années 1960. Seulement, il a voulu attirer l’attention sur le fait que le franc Cfa à ses avantages et ses inconvénients, comme la décision d’en sortir a aussi ses atouts et incertitudes.

M. Diandy a été appelé à se pencher sur le rôle de la monnaie dans les économies comme celle du Sénégal, lors d’un atelier de deux jours à Saly, organisé par la fondation Friedrich Ebert au profit du Collectif des journalistes économiques du Sénégal (Cojes). Mais, au vu des arguments pour et contre, la balance semble pencher du côté de la thèse qui fait de cette monnaie un frein contre l’économie des pays concernés. ‘’Il y a une déconnexion entre notre monnaie et les fondements de notre économie’’, déclare-t-il d’emblée.

Selon cet ancien assistant de l’illustre professeur Moustapha Kassé, le franc Cfa est une monnaie trop forte par rapport au niveau de développement économique des pays de l’Uemoa et de la Cemac. Cette valeur monétaire correspond plutôt à celle des pays assez développés, déjà industrialisés. Ce qui n’est pas le cas des pays de la zone qui ont tous un tissu industriel  faible. Plusieurs économistes affirment que la monnaie est mauvaise pour les économies des pays concernés, en ce sens qu’elle fonctionne comme une subvention aux importations et une taxe aux exportations. De ce fait, non seulement les entreprises locales ne sont pas compétitives sur le marché extérieur, mais elles ont du mal à s’imposer sur le marché intérieur, parce que les produits venus de l’étranger sont souvent moins chers que ceux du pays. Par conséquent, les pays de la zone consomment davantage de l’importé.

Même si la monnaie n’est pas forcément la seule explication, il y a tout de même lieu de remarquer qu’aucun des pays du l’Uemoa et de la Cemac n’est industrialisé. Tous exportent essentiellement de la matière première et importent des produits finis. D’où la détérioration continue du solde de la balance commerciale.  Les économies se manifestent également par une faible capacité d’absorption des chocs extérieurs. En effet, les baisses sur les prix des matières premières sont durement ressenties, de même que les hausses des prix du pétrole.

Politique monétaire définie par la France

Parmi les effets néfastes du franc Cfa, relève M. Diandy, il y a la perte de souveraineté monétaire. ‘’Les pays de la zone n’ont pas la latitude de manipuler leur politique monétaire en toute autonomie, pour faire face aux chocs économiques’’, relève l’enseignant. Ce qui lui fait dire que la Banque centrale a perdu son essence. L’économiste en veut pour preuve la dévaluation du franc Cfa en 1994, où les représentants français, bien que minoritaires, étaient venus non pas pour discuter avec les chefs d’Etat, mais les informer de la décision arrêtée. D’ailleurs, cette perte de souveraineté fait qu’en cas de hausse des prix, les Etats de la zone sont obligés de les subventionner, s’ils veulent épargner les consommateurs, alors qu’ils auraient pu agir sur le taux de change, s’il avait la maîtrise de leur politique monétaire.

Dans tous les cas, un constat fait par l’économiste s’impose : ‘’Les pays qui se sont développés, comme ceux de l’Asie du Sud-Est, ont une monnaie fluctuante.’’ En plus, aucun des 55 pays sous le régime de change fixe ne s’est développé, encore moins ceux de l’Uemoa et de la Cemac ayant connu une politique monétaire figée depuis 70 ans. Il s’y ajoute que le partage d’une même monnaie n’a pas boosté les échanges, très faibles entre pays membres. Or, l’essence même de l’union monétaire est de faciliter la circulation des personnes et des biens. Selon M. Diandy, une étude a montré que des pays comme le Nigeria et le Ghana sont les premiers partenaires du Sénégal en Afrique.

Ce tableau sombre ne veut pas dire, pour autant, que le franc Cfa n’a pas d’avantages. Son principal atout reste la stabilité qui lui offre une certaine crédibilité. Cette monnaie protège également les pays membres contre les chocs intérieurs. Par exemple, en cas de guerre ou de catastrophe, la valeur de la monnaie reste constante. Avec le régime de change fixe par rapport à l’euro, le Cfa garde toujours sa valeur. Seulement, souligne l’économiste, cette stabilité semble plus bénéficier  davantage aux puissances extérieurs qu’aux pays de la zone. A son avis, le plus important est d’aller vers la transformation structurelle de l’économie, grâce à son industrialisation.

ADOPTION SANS CESSE REPORTÉE

L’improbable monnaie unique de la Cedeao

L’adoption d’une monnaie unique dans l’espace Cedeao a été tellement reportée qu’il est légitime de se demander si cette devise verra le jour.

Lorsque les pays de la Cedeao projetaient de créer une monnaie unique, il était difficile de croire que 20 ans après, tout resterait au stade des idées. Et pourtant, rien n’indique que l’échéance actuelle, c’est-à-dire 2020, sera respectée. Selon le docteur en économie Idrissa Diandy, on est encore loin d’une convergence économique considérée comme le principe fondateur d’une union monétaire. En fait, explique-t-il, l’ensemble des efforts fournis par les grandes puissances de la Cedeao que sont le Nigeria et le Ghana ont été annihilés par la crise pétrolière de 2014. Il s’y ajoute qu’à ce jour, les intérêts des pays sont assez divergents. En guise d’exemple, lors de la crise de 2014, lorsque le Nigeria, exportateur de pétrole, se morfondait dans ses difficultés, un pays importateur comme le Sénégal jubilait. Se pose alors la question de savoir quelle stratégie serait adoptée, si on était dans une union monétaire.

Parmi les questions à se poser, il y a aussi celle relative au régime de change. Va-t-on opter pour un régime fixe ou flexible ? A quelle (s) monnaie (s) cette devise serait arrimée ? Va-t-on opter pour un panier de devises ? Comment se fera la gestion des réserves ? Sera-t-elle centralisée ou décentralisée ? Autant de questions qui, jusqu’ici, n’ont pas de réponse. Mais, dans tous les cas de figure, il y a au moins un aspect positif : c’est que cette monnaie permettra aux pays membres de l’Uemoa de s’affranchir de la tutelle française, puisqu’en aucun cas, le compte d’opération ne saurait être logé au Trésor français. C’est pourquoi d’ailleurs il y a lieu de s’interroger sur la disponibilité des pays de l’Uemoa à aller vers la monnaie unique dans l’espace Cedeao.

On rappelle qu’il y a à peine plus d’un an, Macky Sall disait que ‘’le franc Cfa est une bonne monnaie à préserver’’. Et dire que le Sénégal s’est engagé à la naissance d’une union monétaire pour les 15 pays.

La Cedeao compte 350 millions d’habitants avec 8 monnaies différentes, 7 monnaies nationales et le franc Cfa. Au début, la stratégie a été double. Les chefs d’Etat ont voulu créer une seconde zone monétaire à côté de l’Uemoa. La naissance de cette devise a été reportée trois fois, en 2003, 2005, puis 2009, avant d’être abandonnée en 2015. Une task force composée de quelques présidents a été mise en place.

Désormais, il est question de savoir si les chefs d’Etat vont y aller directement ou est-ce qu’ils vont attendre que les pays remplissent les critères de convergence. S’ils valident la dernière option, prévient M. Diandy, il n’y aura jamais de monnaie unique, puisqu’il n’existe pas d’union où les pays se ressemblent économiquement.

BABACAR WILLANE

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