Publié le 17 Apr 2015 - 22:51
DAN BALZ, (CHEF DU DESK POLITIQUE DE WASHINGTON POST)

‘’Les journalistes ne doivent être les porte-voix d’aucun parti politique’’ 

 

Daniel J. Balz recevait récemment quelques journalistes travaillant pour plusieurs des médias basés en Afrique de l’Ouest et du Centre, pour échanger autour du sujet de la couverture médiatique en période d’élections. Fort de 37 ans d’expérience au sein du Washington Post, Dan Balz est également l’auteur de plusieurs livres politiques .EnQuête qui était de la partie revient sur les temps forts de cet entretien.

 

Quelle est la bonne distance entre le journaliste politique et l’homme politique pour que celui-là ne devienne pas, d’une certaine manière, le chargé de communication de ce dernier ou de son parti ?

Il y a un dicton en Amérique qui dit que le seul moyen de regarder un politicien est ‘’de le toiser de haut’’. Ce qui veut dire que notre rôle est de rester sceptiques et de faire en sorte que les politiciens, élus ou candidats, aient à rendre des comptes. Nous ne sommes pas, nous les journalistes, des amis des politiciens car nos relations avec eux se doivent de rester conflictuelles jusqu’à un certain degré. Ce qui ne veut pas dire qu’un respect mutuel ne peut pas exister entre le reporter et la personne sur qui il fait un travail ! Je ne crois pas au manque de respect mais il ne faut pas oublier que nous, journalistes, avons un contrat moral avec ceux qui nous lisent, nous regardent et nous écoutent.

Ce que cela veut dire, c’est que le professionnel de l’information a l’obligation de produire un travail qui soit le plus juste, le plus équilibré et le plus objectif possible quel que soit le sujet. Nous ne devons donc être les porte-voix d’aucun parti. Depuis que je travaille au Washington Post, il n’y a probablement eu aucun Président qui ait apprécié la couverture que le journal a fait de lui. Presque tous ont, au contraire, eu des griefs et pas seulement du fait de notre couverture mais de celle de toute la presse, dans sa globalité. En général, ils trouvent que la presse est de plus en plus fouineuse et, dans ce monde, l’information est diffusée en continu ; cela peut causer pas mal de désagréments mais ce sont les règles du jeu et nous travaillons très dur à ce que ces règles soient claires et la démarcation établie entre les journalistes, les politiciens ou même les stratégies politiques mises en place par ces derniers.

En Afrique, la plupart des médias privés ou même d’État appartiennent ou sont à la solde des politiques, est-ce que cela veut dire que les journalistes africains sont, d’une certaine façon, plus des communicateurs que des journalistes ?

Je pense que tous les gens qui s’engagent dans le journalisme le font, en vertu d’un même idéal : celui de changer le monde. Et donc, faire ce que nous faisons, que ce soit dans l’écrit ou dans l’audiovisuel, c’est poursuivre une même idée de changement sociétal et d’amélioration, petite ou grande, des conditions de vie de sa communauté. Aux USA, les médias bénéficient d’une longue tradition de journalisme impartial même si cela commence à changer. De la même manière que notre système politique devient plus polarisé et partisan, la presse elle aussi change.

Fox News, par exemple, est une chaîne d’actualité câblée qui traite l’information sous la lentille de sa ligne éditoriale conservatrice. Et c’est une chaîne très suivie à la fois par les conservateurs et les républicains ! Avec l’avènement d’internet, nous avons également vu l’émergence de sites qui sont plus idéologiques dans leur orientation et donc, dans un certain sens, nous avons maintenant des organes de presse qui sont plus comme le Washington Post, estimant que leur rôle est de rester le plus impartial possible. Il y a donc toujours cette distance même s’il est maintenant possible, pour le citoyen lambda ayant telle ou telle sympathie politique, de trouver accès à l’intégralité de la couverture médiatique seulement via des organes de presse qui vont renforcer son point de vue et non le mettre en question.

Pour les gens qui travaillent au Washington Post ou encore au New York Times, par exemple, nous pensons que la meilleure chose possible dans toute société démocratique est d’avoir accès à une information qui fait réfléchir autant qu’elle conforte toute opinion préexistante. La vérité est qu’il y a d’excellents journalistes tout autant au Washington Post que dans d’autres médias aux penchants plus ‘’idéologiques’’. Tant qu’il fait preuve d’honnêteté intellectuelle, de curiosité et de courage, tout journaliste est capable d’avoir des opinions qui définissent son point de vue sur le monde sans que cela ne lui ôte son opiniâtreté lorsqu’il s’agit de creuser l’information ou sa clarté d’esprit lorsqu’il doit présenter son travail. Tout journaliste qui se respecte doit faire preuve de ces qualités-là et, en fonction de l’environnement dans lequel il travaille, doit apprendre à naviguer de manière à rester fidèle à ses valeurs tout en continuant à exercer librement son métier.

Les politiques, en Afrique, taxent souvent les journalistes d’être à la solde de l’opposition quand ces derniers s’attellent à leur demander des comptes. Est-ce que ce genre de choses peut arriver aux USA?

Pas tellement de la part des autorités et ceci en partie parce que ce n’est pas la manière dont opère le gouvernement dans ce pays. Ce qui n’est pas le cas partout, apparemment. Du côté de ceux qui lisent mes articles, cependant, j’entends souvent ce genre de choses que ce soit d’un côté ou d’un autre parce que la politique est, par essence, un sujet passionné. Selon le jour ou la semaine, je me vois personnellement accusé de supporter Obama ou les Républicains, selon que j’écris tel ou tel papier. Dès qu’on écrit quelque chose qui n’est pas favorable à un côté, on se voit taxé de militer en faveur de l’autre et la seule chose à faire est de prendre tout cela avec professionnalisme et de continuer à faire son travail sans se laisser affecter par ce genre de chose.

Est-ce qu’un candidat donné disposant, lors d’une élection, de plus de moyens financiers qu’un autre, peut être en mesure d’influencer la presse pour que l’information traitée sur lui soit plus favorable. Si oui, comment faire pour éviter de tomber dans une sorte de complaisance envers ceux qui ont le plus de moyens financiers ?

Cette ‘’complaisance’’, comme vous dites, est certainement une chose avec laquelle tous les journalistes doivent ‘’jouer’’ au quotidien. Tous les candidats ne sont pas égaux, évidemment, qu’importe le système dont ils puissent faire partie. La capacité de rassembler de l’argent est certainement un atout mais ce n’est pas la seule chose qui compte : le niveau expérience d’un candidat en est un, tout comme les thèmes de sa campagne et la mesure dans laquelle son discours trouve écho auprès des votants ou encore sa place dans les sondages ou le type de soutien que possède le candidat auprès d’autres élus, à savoir s’il dispose de l’appui de personnalités proéminentes ou pas.

Tous ces facteurs pèsent dans la balance et nous permettent de savoir de quelle manière on doit s’y prendre concernant la couverture du candidat car qui dit couverture dit frais pour le journal. Bien sûr, il s’agit là d’indicateurs imparfaits mais leur conjonction est ce qui nous permet de déterminer qui mérite une couverture. Mettre tous les candidats sur un même tableau permet également de savoir lesquels d’entre eux ont la stature nécessaire pour tenir le marathon électoral, si on peut dire les choses ainsi.

Est-ce qu’il arrive que des politiciens puissent donner de l’argent ou, d’une toute autre manière, soutenir financièrement un média comme le Washington Post ?

Non. Nous sommes des privés donc nos ressources proviennent des abonnements au journal, de la publicité dans les éditions imprimées et en ligne et, pour être honnête, également des ‘’poches sans fond’’  du nouveau propriétaire, Jeff Bezos (NDLR : Jeff Bezos est à la tête d’Amazon, le leader mondial de la vente en ligne. Il a racheté le Washington Post en octobre 2013). Ces dix dernières années, nous avons perdu beaucoup d’argent comme tous les organes de presse, d’ailleurs. Au summum de notre popularité, le journal avait environ 800 000 abonnés à qui on livrait quotidiennement un exemplaire ‘’papier’’  du journal et ce nombre a décliné de manière substantive. Aujourd’hui, nous avons moins de 500 000 souscripteurs. A cause de cela, nos recettes publicitaires ont aussi baissé parce qu’on ne peut évidemment plus facturer comme avant.

Le choc économique de 2008 a affecté tous les organes de presse. Si on met le problème de la distribution de côté, il y a aussi le fait que les clients n’ont plus autant d’argent qu’avant pour acheter de l’espace publicitaire. Cela s’est répercuté sur la vie du journal. La manière dont cela s’est traduit a été une réduction drastique de notre effectif. Nous avions, avant 2008, une rédaction d’environ 900 personnes et nous en sommes, à l’heure actuelle, à quelque chose comme 500 à 600 personnes. Nous avons aussi dû réduire les dépenses, fermer des bureaux domestiques (NDLR : à l’intérieur du pays), proposer des retraites anticipées à certains de nos employés pour les encourager à partir et même réduire le personnel par attrition.  

Est-ce qu’aux USA il est permis aux propriétaires de médias, qui sont en général des hommes d’affaires, d’influencer la ligne éditoriale des organes de presse qui leur appartiennent ou encore, par exemple, de participer à la levée de fonds des candidats ?

La réponse courte est ‘’non’’ mais on sait tous que ce n’est pas toujours vrai et que cela varie en fonction des organes de presse. Des propriétaires de journaux ont déjà fait pression sur leurs employés pour orienter la couverture d’un sujet dans telle ou telle direction dans quelques cas mais au Washington Post, nous avons eu la chance de ne jamais avoir eu de propriétaire qui ait voulu faire cela. Le propriétaire d’un journal a évidemment la possibilité de donner son opinion quant à la partie éditoriale du travail ou encore, si l’on veut, sur les opinions adoptées par le journal mais il y a un mur de séparation clair entre cet aspect et le traitement de l’information factuelle ou ‘’actualité’’. Je crois même que les journalistes se rebelleraient si un propriétaire tentait de faire mainmise sur le traitement de l’information ! Quant aux campagnes, à présent, il est impossible pour un journal de financer un candidat mais ce que l’organe peut faire, d’un point de vue éditorial, c’est de manifester son appui à ce dernier. Mais cet appui du département éditorial ne veut pas non plus dire que la couverture de son actualité sera plus favorable que celle d’un autre. Donc, là encore, c’est non.

Le Washington Post en tant que média a-t-il déjà été une fois poursuivi en justice ?

Oh oui, de nombreuses fois ! Occasionnellement, nous perdons mais je n’arrive pas à me rappeler la dernière fois où cela nous est arrivé. Le cadre légal dans ce pays est assez favorable aux organes de presse grâce au premier amendement de la constitution qui en garantie la liberté. C’est quelque chose qui n’existe malheureusement pas partout mais cela reste un bouclier très efficace. Aux USA, pour gagner en justice contre un média devant un tribunal dans un cas de diffamation, par exemple, il faut prouver non seulement qu’il a diffusé une fausse information mais surtout qu’il l’a fait en connaissance de cause et avec le but de nuire.

Et on peut dire que c’est une barre assez haute à franchir, surtout si le plaignant est un personnage public. Poursuivre un journaliste pour diffamation quand on est politicien est extrêmement difficile. En général, ce ne sont que des firmes qui s’estiment calomniées par la presse qui s’y risquent mais cela reste assez rare. Il arrive que le gouvernement essaye d’intimider la presse pour l’empêcher de diffuser une information. Il est aussi arrivé que nous nous abstenions de rendre publiques certaines informations pour des raisons de sécurité nationale. Il ne nous viendrait pas à l’idée de faire quoi que ce soit à l’encontre de la sécurité des Etats-Unis.

Sophiane Bengeloun

 

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