Publié le 1 Feb 2016 - 21:04
DE DIOURBEL A BANJUL

L’éphémère escapade de Boy Djinné

 

Qu’a fait Boy Djinné après avoir ‘quitté’ la maison d’arrêt et de correction de Diourbel ? Une séance de thé, suivie d’une joyeuse vadrouille jusqu’en Gambie avant de se prendre pour un lutteur. Mais les portes de la liberté se sont vite refermées grâce à la détermination des forces de l’ordre qui doivent toutefois attendre que la partie gambienne livre le ‘jailbird’. EnQuête a essayé de retracer le parcours de la semaine folle de Baye Modou Fall.

 

C’est comme le film ‘Thelma et Louise’, version masculine. Sauf que ça ne se termine pas par un suicide au fond du Grand Canyon, mais par un happy-end pour les forces de l’ordre. Les deux fugitifs ont dû être aux anges en sentant le vent fouetter leurs visages sur la route en direction de Karang, prendre le ferry pour Banjul et se terrer incognito dans une des maisons closes de Bakoteh avant d’être appréhendé. La technologie est passée par là avec la géolocalisation. Et si la coopération sécuritaire entre les deux pays était un tantinet existant, Baye Modou et son acolyte Mor Talla Niang ne se seraient peut-être pas fait la malle si facilement. Pour preuve, les contrôles stricts en territoire gambien n’avaient rien d’une partie de plaisir. Entre le poste frontalier de Hamdallaye et le terminal de Barra dans la matinée froide de ce jeudi 28 janvier, trois vérifications ont lieu aux différents check-point dont un dernier tenu par des militaires. ‘‘C’est pourtant interdit de teinter les vitres de vos voitures en noir ou avec ces décorations. Enlève ça tout de suite !’’ intime un homme en treillis, sévère, qui après un regard  inquisiteur sur les identités des non-Gambiens, et une fouille au hasard, mais minutieuse, du porte-bagage, se résout finalement à laisser le minicar passer.

Au pays de Son Excellence Sheikh Professeur Alhaji Dr Yahya AJJ Jammeh Babili Mansa, les commentaires de rue sont presque aussi passionnés qu’à Dakar sur les tribulations de la cavale de Boy Djinné. Le quotidien ‘‘The point’’ en a fait la une de sa parution du jeudi. Les autres comptes rendus dans les éditions du mardi 26 et du mercredi 27 janvier 2016 abordaient brièvement son  passage à la Cour et son emprisonnement à la prison de Miles Two. ‘‘Cela intéresse beaucoup la presse locale. Malheureusement, elle reprend plus ce qu’en disent les médias sénégalais’’, déclare une source proche des médias. 

Balla Gaye au Happy Land

C’est dans la nuit du dimanche 24 janvier que l’arrestation s’est déroulée le plus discrètement possible. ‘‘La seule chose de constante, c’est qu’elle a eu lieu entre 5 et 6 heures du matin. Quant aux circonstances réelles, je ne saurais en dire plus’’, avance notre interlocuteur qui a pris toutes les garanties pour pouvoir s’ouvrir sur le sujet. Un véritable film d’espionnage pour prendre le contact dans un restaurant bondé sur la Serrekunda highway. Appels écourtés, pas plus de trente secondes, puces jetées aussitôt après, grands détours pour déjouer une éventuelle filature..., il est toujours difficile de parler ouvertement dans un pays où la psychose d’être espionné oblige à beaucoup de concision dans les propos. Et dans une Gambie qui s’éprend de lutte sénégalaise et du Lion de Guédiawaye, Baye Modou Fall ne s’est pas compliqué la tâche. ‘‘Sa nouvelle identité était Balla Gaye. Il s’est fait passer pour le plus grand lutteur du Sénégal’’, poursuit notre contact, visiblement amusé par cette fausse identité. ‘‘Son complice Mor Talla Niang a aussi pris le nom d’un lutteur, mais j’ignore lequel.’’

Le lendemain, les rumeurs sur son arrestation fuitent comme une traînée de poudre. Avant son transfert à Miles Two à 17 heures passées, le petit commissariat de Serrekunda a été littéralement assiégé par une foule de badauds venus aux nouvelles. Tout le monde voulait voir ce Boy djinné qui s’est joué du dispositif sécuritaire des deux pays. ‘‘Je n’avais pas vu pareille affluence dans les rues depuis la victoire de...Balla Gaye 2 sur Yékini’’, avance un marchand sénégalais assis sur un tabouret de sa petite échoppe, pas loin du commissariat. Il dispose de l’image, mais refuse de nous la donner par précaution. Le ‘Happy Land’, motel où il a été arrêté ? Inconnu des résidents de  Bakoteh.

‘‘Ici il y a le Wuli motel et Omakan hotel. Pour le reste, il n’y a que des guest house’’, renseigne un vigile devant une banque. Guesthouse est en fait un euphémisme pour désigner la centaine de maisons closes qui pullulent dans ce quartier calme en opérant officieusement. Pour lever les équivoques sur son arrestation, il a fallu se rendre dans ce retranchement isolé pour voir la chambre de motel où logeait Boy djinné et son acolyte. Sans succès après deux jours de recherche. Même notre contact, bien réseauté dans le milieu interlope de Banjul, ignore le lieu précis de son arrestation. Présentement on dit qu’il est en isolement à la prison de Miles Two après avoir fait face au juge Jabang pour vol et conspiration le 25 janvier, ‘‘mais ce n’est pas sur’’, suspecte-t-il. Une autre rumeur persistante, selon la source, veut qu’il soit à la prison de Jeshuang qui a l’avantage d’être moins exposée médiatiquement que Miles Two tout en étant aussi redoutée.

Une autre encore plus improbable veut que les renseignements gambiens de la National intelligence agency (NIA) s’intéressent au dossier pour éventuellement démanteler le réseau de faussaires qui aurait permis à Boy Djinné de s’exfiltrer du Sénégal et de disposer d’une nouvelle identité. Ce qui expliquerait en partie le retard dans son ‘’handover’’ (rapatriement) au Sénégal. Seule une interrogation pertinente de notre contact lors d’une discussion soulève une inquiétude justifiée. ‘‘Djinné ou pas, si ce petit bout d’homme passe à travers les mailles du filet aussi facilement alors  que la menace terroriste est si prégnante, il y a vraiment de quoi s’inquiéter’’, fait-il remarquer.

Baye Modou ! C’est qui ?

La route de Baye Modou, après s’être échappé, commence à Diourbel, dans son quartier natal. Son nom est comme qui dirait honni ou couvert dans son voisinage. ‘‘La maison de Baye Modou Fall, s’il vous plait ?’’ demande-t-on. Premiers regards circonspects. ‘‘Quel Baye Modou ?’’ rétorquent ses voisins, visiblement très méfiants. ‘‘ Celui qu’on surnomme Boy djinné’’. Regard encore plus circonspect qui trahit une improvisation dans la réponse à venir. S’il y a une chose que les voisins du fugitif sénégalais le plus célèbre n’ont pas fait, c’est de l’accabler. Dans les larges rues sablonneuses de Médinatoul Est au quartier Keur Gou Mack, les réponses hésitantes trahissent des contrevérités mal préparées. Au pire des cas, ou au mieux, c’est motus et bouche cousue. On nous lance à dessein sur de fausses pistes alors qu’on brûle près du domicile familial du fugitif.

Deux dames occupées à se tresser les cheveux indiquent avec fermeté l’opposé du chemin décrit par le conducteur de moto Jakarta qui nous  a déposés dans le quartier. ‘‘Je suis sûr que c’est là, mais je ne sais pas exactement où’’, avait-t-il lâché avant de reprendre la route. Les deux dames sont convaincues du contraire. A tort. Plus loin, un homme dans la cinquantaine égrenant son chapelet semblait franchement étonné de la question. Mais comme la vérité sort de la bouche des enfants, selon l’adage, une bande de gais lurons qui s’acharnaient sur un ballon de foot en chiffon nous indiquent la demeure du fugitif récidiviste, malgré la dissuasion d’un des leurs. ‘‘Bu leen ko wax. Kii policier lë ! (Ndlr : Ne lui dites rien. C’est un flic)’’. Et comme si tout le monde s’était passé le mot, une ultime tentative de brouillage de piste, ridicule à la limite, est tentée par le boutiquier au rez-de-chaussée de la maison du concerné. ‘‘Je suis un nouveau venu dans le quartier, mais il semble qu’il habite un peu plus au sud’’, lance-t-il.

La maison, immense avec une peinture bleu-jaune délavé et aux portes en métal noire entrouvertes, est située à l’angle de la rue. A la requête de notre visite, les trois femmes qui devisaient se sont fermées comme des huîtres. ‘‘Nous n’avons rien à dire’’, lance l’une d’elle en nous priant de quitter les lieux puisque le maître des céans était absent.

Mac de Diourbel pas terrible

Cependant, à la vue de la maison d’arrêt de Diourbel, le ‘prison break’ de Modou devient moins sujet aux explications ‘mystico-fantaisistes’. Il serait exagéré de dire que ce bâtiment, cerné par la caisse de sécurité sociale, le lycée Mame Diarra Bousso et le centre culturel régional, n’est pas une prison. Mais c’est un euphémisme de dire que c’est de la tarte pour quelqu’un qui s’est déjà fait la malle à Rebeuss quelques jours plus tôt. Une garderie de prisonniers serait plus appropriée comme appellation. Au 289 de la Rue Bocar Kane, à Escale sud, le pénitencier ne paie pas de mine. Un coup d’œil permet de constater que le mur vert olive est haut mais n’est pas un obstacle insurmontable pour un homme déterminé comme Boy Djinné. Seul le mirador blanc, construit en dur, qui surplombe toutes les constructions alentour rend un peu de dignité à cette Mac. Sur les fils barbelés qui surmontent les murs, des vêtements usés sont pris au piège par le métal. A la direction de la Mac où nous reçoit un homme en tenue vert-olive des matons, la réponse est également empruntée sur la fuite ainsi que les remous qui s’en sont suivis. ‘‘Nous avons une hiérarchie et un droit de réserve’’, sert-il poliment avant de se concentrer sur son ordinateur.

La partie de thé

Pour moins de rétention verbale sur l’homme qui a mis à nu les défaillances du système pénitentiaire, il fallait se rendre quatre à cinq pâtés de maisons plus loin. Les rares langues qui se sont déliées sur lui avancent les déclarations les plus surprenantes dont celle qui revient le plus soutient que le samedi de son évasion, BMF a ‘‘pris le thé au vu et au su de tout le monde’’, déclare une dame. Celle-ci indique avoir surpris la discussion de ses deux jeunes enfants qui se réjouissaient du retour de cet homme généreux envers les petits. ‘‘ C’est quelqu’un qui distribue de l’argent aux enfants et aux gens qui se signalent à lui quand il vient ici dans sa voiture’’, lance-t-elle.  Et s’il y a une chose qui ne manque pas avec Boy Djinné, c’est le facteur mystique qu’on tente d’utiliser comme apologie à ses actes. Abdoulaye Guèye est manifestement pour plus de clémence. Le vieil homme, retraité, abonde dans le sens du surnaturel : ‘‘On lui a jeté un sort pour qu’il soit cleptomane ; c’est ma conviction profonde. Vous savez, Baye Modou peut vous offrir 100 mille FCFA et vous faire les poches pour 100 FCFA tout de suite après. Comment expliquez-vous ça de manière rationnelle ?’’ s’enflamme-t-il, et demande plus de clémence dans ce qu’il qualifie de lynchage médiatique.

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Echos de Banjul

En Gambie, l’on ne risque pas grand-chose à marcher sur la chaussée les premiers et derniers samedis du mois, de 9 à 13 heures. La raison est qu’un set-settal à l’échelle nationale est entrepris par les autorités. Le but étant d’embellir le pays après les nombreuses complaintes sur la saleté qui devenait de plus en plus envahissante. Les boutiques et commerces sont obligés de baisser rideau, la circulation automobile suspendue, les frontières terrestres fermées..., bref le pays est à l’arrêt pendant 5 tours d’horloge pour permettre aux agents, et aux simples citoyens de nettoyer leur environnement. Ceux qui s’amusent à contrevenir à cette mesure risquent, en plus de l’amende financière de 20 000 FCFA, une peine de prison.

Décidément les Gambiens ne badinent pas avec le règlement surtout la discipline dans la conduite automobile. Prenez un town-trip (course) au siège avant sans votre ceinture et le chauffeur vous regarde étonné. ‘‘Tu ne dois pas être gambien car sinon tu aurais mis ta ceinture’’. Et même pour une course collective, ce sont les passagers à l’arrière qui vous rappellent de mettre la ceinture de sécurité. Histoire de ne pas se faire alpaguer par les éléments de la Gambian Police Forces (GPF) omniprésents sur la route.

MAME TALLA DIAW (de retour de la Gambie)

 

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