Publié le 20 Dec 2016 - 08:29

De la tolérance zéro

 

Au lendemain de la série macabre d’accidents de la route et leurs lots de morts dont certains calcinés à l’intérieur des véhicules, mais aussi la mise en ligne sur le web d’images obscènes de citoyens sénégalais, le président Macky Sall a cru devoir décréter la tolérance zéro en annonçant une batterie de mesures pour punir sévèrement les responsables de ces tragédies. Mais, est-ce que le problème ne réside que dans les deux cas mentionnés ? Toujours est-il que la tolérance zéro ne doit pas toujours aller dans un sens unique : de l’Etat vers le citoyen indélicat.  Les citoyens doivent être, eux aussi, des sentinelles et les derniers remparts contre les dérives étatiques, les actes d’incivisme notoire, et les dérégulations de tous ordres qui portent atteinte à la paix civile, à la sécurité et à la stabilité sociale.

Un renforcement de la vigie, de part et d’autre, est de nature à rétablir l’équilibre des abus et à les ramener à des proportions acceptables. A l’évidence, l’inconduite des automobilistes, qui engendre un nombre élevé d’accidents mortels et la publication d’images obscènes en violation de l’intimité et de la vie privée d’autrui, ne sauraient être les seuls cas devant requérir la tolérance zéro. La vie quotidienne au Sénégal nous offre une multitude de déviances qui méritent toutes autant de sanctions que ces deux dernières actualités qui défraient la chronique.

Oui pour la tolérance zéro dans le port de tenues indécentes dans les écoles, lycées et collèges du pays où des élèves, garçons et filles, agressent la vue de leurs camarades, maîtres, professeurs, surveillants et autorités, avec des tenues trop indécentes pour être portées, et de façon si désinvolte, en milieu scolaire et éducatif. Quand des élèves se pavanent dans la cour de l’école et même en classe, avec des ‘’kriss-kross’’, des « check-down » ou des « pinw », pour les garçons, ou avec des « pathial », des « Dakar ne dort pas » ou des « dangal », pour les filles, c’est l’espace pédagogique qui est profané. Aussi, les autorités scolaires et académiques sont-elles interpellées pour instaurer des mesures hardies, assorties de sanctions sévères pour mettre un terme à tout ce dévergondage.

Entre autres facteurs de causalité des accidents de la route, il y a les véhicules tombés en panne au bon milieu de la chaussée, en ville comme en rase campagne, et dont le chauffeur, voire l’apprenti, à défaut d’un triangle de pré-signalisation (ce qui est déjà une infraction)  ne trouvent rien de mieux que des branchages d’arbre ou la roue de secours qu’ils déposent négligemment sur l’asphalte pour soi-disant prévenir les autres conducteurs de véhicules. La dangerosité d’un tel acte d’indiscipline n’a d’égale que le scandale des véhicules, et notamment de camions, qui circulent, et notamment la nuit, sans signaux lumineux cataphotes ou catadioptres. Il y a aussi, les automobilistes qui font demi-tour sur la chaussée, qui empruntent un sens interdit ou qui empiètent les passages cloutés, en situation de stationnement, violant ainsi l’espace réservé aux piétons qui doivent traverser la chaussée.

L’ivresse au volant, la non-détention d’un permis de conduire et le dépassement de la vitesse autorisée ne sont pas en reste dans le festival d’infractions notées sur la route. Pourtant, la plupart de ces actes d’indiscipline qui sont constitutifs de violations du code de la route, se font au vu et au su d’agents chargés de la sécurité routière, dont la responsabilité dans la perpétuation de ces cas de transgressions de la loi est pleinement engagée. Que dire aussi des taximen qui klaxonnent à tort et à travers, même dans les hôpitaux, eux qui s’arrêtent brusquement ou freinent des quatre fers, dans un crissement de pneus, parce qu’ils ont été hélés par un ‘’client’’  ou simplement parce qu’un quidam a sifflé pour appeler son chien ou qu’il  a levé le bras…pour se gratter la tête.

Tolérance zéro contre  la promotion de contre-valeurs

 Les comportements « accidentogènes » des chauffeurs de taxis, sur les routes du Sénégal, sans verser dans la stigmatisation, appellent à une introspection, par ces derniers, qui doivent se racheter une conduite. Peut-être que cela leur éviterait à l’avenir de subir des actes ou des déclarations extrêmes comme le geste malheureux de l’homme d’affaires Ousseynou Diop qui a buté le taximan Ibrahima Samb ou la sortie musclée du général Mansour Niang qui ne serait pas surpris qu’un autre taximan soit flingué.

Quoi de plus excédant que d’entendre l’automobiliste derrière soi, impatient à souhait, klaxonner à vous casser les tympans pour vous sommer de rouler alors que le feu est au rouge.

Oui pour la tolérance zéro contre les trafiquants de drogue, les trafiquants d’enfants et pédophiles.

Oui pour la tolérance zéro contre cette licence qui fait que, sans autorisation administrative, tout le monde se croit être dans son droit de barrer la route et à ériger des tentes pour l’organisation de cérémonials de toutes sortes : meeting politique, gamou, thiant, baptême, mariage, décès, foureul, sabar, tannebeer, simb, ganalé Makka, etc. Gare au téméraire qui ose rappeler à l’ordre les organisateurs de ces rassemblements sur la voie publique. Ils lui rabattront le caquet au quart de tour, en lui assénant un sévère « fii mbeddu buur la », en manquant de peu de lui rectifier le portrait au besoin. Les coladéra dans les quartiers ne sont pas les seuls cas de nuisances sonores et tapages nocturnes. Même les campus des universités ne sont pas épargnés par le phénomène, avec les dahiras qui y pullulent, transformant l’espace académique et les résidences universitaires servant de dortoirs aux étudiants en lieux de célébration de tous les cultes et de rivalités confessionnelles voire confrériques.

Oui pour la tolérance zéro contre la promotion de contre-valeurs véhiculée par un discours immoral du genre « chance mo gën licence », « xaalis kenn duko ligeey dañu koy lijënti », « borôm kudd du lakk », « japp ci rek », etc. Les tenants d’un tel discours font la part belle à la triche et valorisent l’opportunisme, le népotisme, la corruption, la prévarication et les magouilles de toutes sortes.

 Tolérance zéro contre les ‘’baatré’’  à Sorano ou au Grand théâtre

Oui pour la tolérance zéro contre les manifestations publiques, indécentes et ostentatoires des signes de richesse et d’opulence comme les « baatré » à Sorano ou au Grand théâtre national, quel que soit l’auteur de cette forme de violence dans un pays pauvre et très endetté. Pourtant, il existe encore au Sénégal une loi contre le gaspillage dans les cérémonies familiales, sauf qu’elle n’a jamais été appliquée. Surtout lorsque ce sont des autorités qui s’illustrent le plus à ce niveau. Mais, là-dessus, les autorités doivent commencer par balayer devant leurs portes. En effet, quand Moustapha Cissé Lô, 2ème vice-président de l’Assemblée nationale, jette des billets de banque sous les yeux et devant un président Macky Sall qui prône une « gouvernance sobre et vertueuse », il ne prêche pas par l’exemple. L’Etat doit rétablir l’ordre, la discipline et le respect des lois, en commençant par le sommet. Il lui faut, au risque d’être impopulaire, sévir, sans cruauté inutile ni faiblesse coupable.

Oui pour la tolérance zéro quand les arbres, murs, coins et recoins de la voierie publique sont transformés en pissotières, avec  des gens qui se soulagent en pleine rue en y vidant leurs vessies ou en y faisant leurs besoins à volonté. Seulement, la première faute revient à l’Etat qui n’est pas fichue d’installer des commodités pour les citoyens comme des vespasiennes, et des édicules publics.

Combien de fois a-t-on vu des constructions pousser comme des champignons sans avoir fait l’objet, au préalable, d’études architecturales ou de permis de construire à même de les rendre légales, sûres et habitables ? Les effondrements de bâtiments non-réglementaires le montrent à suffisance.

Combien de fois a-t-on vu des dépassements volontaires dans les constructions avec des saillies démesurées au niveau des balcons ou des excroissances des murs d’enceinte des maisons ?

Combien de fois a-t-on vu des gens, pendant le mois de Ramadan, sous prétexte qu’ils ont jeuné, cracher à tort et à travers transformant les planchers ou même la rue publique en crachoirs géants ?

Combien de fois a-t-on vu des tags ou graffitis sur des murs ou des affiches de toutes sortes sauvagement collées sur des panneaux de signalisation routière jusqu’à cacher et rendre illisibles les messages desdits panneaux. Ce qui pose naturellement un problème de sécurité publique ?

Combien de fois a-t-on vu des lampadaires pour l’éclairage public ou des pylônes de feux tricolores, renversés par des chauffards qui, par la suite s’en sont tirés à bon compte car étant repartis tranquillement après avoir percuté et détraqué ces équipements très coûteux pour le contribuable?

Combien de fois a-t-on vu des grilles et des couvercles des regards d’égouts ou d’évacuation des eaux pluviales volées par des ferrailleurs qui iront les revendre ensuite, exposant les populations à des accidents et rendant les conduits vulnérables à des obstructions qui favorisent les inondations ?

Combien de fois a-t-on vu des gens jeter par-dessus bord de leurs véhicules toutes sortes de détritus (mouchoirs, papiers, peaux de banane, épluchures d’orange, restes de cacahuètes, etc.) ? C’est à croire que plus la voiture est imposante et rutilante, plus on a la chance de voir ces gestes regrettables et qui sont symptomatiques d’un état d’esprit de sous-développés au plan de la civilité.

Incapables de comprendre que la saleté est le reflet de la personnalité, nous évoluons pourtant dans cet univers de crasse. Les eaux usées et les détritus sont déversés sur la voie publique avec ou sans l’existence de poubelles ou de vidoirs.

Combien de fois a-t-on vu des « bonnes volontés », « monsieur-bons offices » ou « médiateurs » intercéder à la faveur d’un fautif convaincu et d’un coupable reconnu, pour le soustraire à l’expiation d’une peine fort méritée, au prix d’un « maslaa » d’enfer qui favorise et perpétue l’impunité ?

Les scandales du taximan qui avait emprunté la passerelle piétonne de l’autoroute à Dakar et du car-rapide qui avait fait demi-tour au bon milieu du pont Faidherbe à Saint-Louis, après avoir fait le buzz un temps et enflammé les réseaux sociaux, sont maintenant complètement jetés aux oubliettes.

Combien de fois a-t-on vu des charretiers ou des calèches emprunter des voies réservées à la grande circulation comme la voie de dégagement nord (vdn) ou l’autoroute sans être inquiétés ?

Manque de suivi des autorités étatiques

Que n’a-t-on pas vu au lendemain du chavirage du Joola, suite à l’appel à une introspection et au changement des comportements lancé par le Président Wade? Tout d’un coup, tout le monde ou presque s’est mis à respecter les files d’attente, à attendre le prochain bus au lieu de se bousculer pour monter dans celui qui est déjà plein, les transports en commun en surcharge sont sommés de se délester de leur trop-plein de passagers, le respect des normes est redevenu au centre des préoccupations de Sénégalais, plus gagnés par la peur que par une résolution à changer leurs us. Mais, comme qui dirait, c’était trop beau pour être vrai. Avec le temps, l’oubli aidant, les choses ont repris de plus belle. Les gens ont petit à petit retrouvé leurs vieux démons avec, il faut le reconnaître, le laxisme et le manque de suivi des autorités étatiques qui ont un mal morbide à s’inscrire dans la durée voire dans la pérennité pour ce qui est de l’application correcte de leurs décisions majeures. (A suivre)

Pape Samb

 

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