Publié le 11 Nov 2012 - 21:27
DEBAT D'ORIENTATION BUDGETAIRE

 Une belle occasion ratée

 

Le débat d’orientation budgétaire (DOB) prévu par l’article 3 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’aura pas lieu cette année. L’annonce en a été faite par le Président de l’Assemblée nationale. Pourtant il est, en principe, le second grand moment politique dans la vie de l’institution, après la déclaration de politique générale du Premier Ministre. C’est le moment pour le ministre des Finances, celui délégué au budget et leurs collaborateurs, de présenter les grandes options du Président de la République et de son gouvernement telles qu’elles devraient être déclinées dans la loi de finances de l’Année en vue, communément appelée budget de l’Etat.

 

Précisons que le débat d’orientation budgétaire n’est pas, en tant que tel, un élément de rupture au parlement puisqu’il est pratiqué depuis la fin des années 90, sous le régime socialiste déjà, après une lutte ardue de l’opposition de l’époque pour son instauration. J’attendais donc avec impatience ce moment et, sans doute, de nombreux collègues députés avec moi ; de même que beaucoup d’autres compatriotes et amis du Sénégal y compris des investisseurs soucieux de lisibilité dans les options de l’Etat. Lorsque nous soutenons qu’il y a un déficit de vision et de projet de société à la tête de l’Etat, la Majorité avait là l’occasion de prouver le contraire en nous déclinant, le cas échéant, la vision du Chef de l’Etat, son projet de société et son programme Yoonu Yokkute (YY) dans le montage budgétaire. Elle nous aurait également édifiés sur la mise en cohérence entre YY et les assises nationales portées par les alliés du Président et répondrait ainsi fort utilement à ceux qui soutiennent que la mission de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) est terminée depuis le 25 mars 2012.

 

 

Le débat d’orientation budgétaire tant attendu devrait ainsi nous permettre de bien percevoir la filiation entre la Déclaration de Politique Générale du Premier Ministre et le projet de budget qui nous est proposé. Le premier ministre avait relevé dans sa DPG ce qu’il a appelé « les niveaux élevés de déficit courant traduisant une perte de compétitivité » ainsi que « la croissance du PIB qui a connu une fluctuation erratique du fait d’une forte vulnérabilité de l’économie aux chocs exogènes et aux aléas climatiques ».

 

Je fais observer à mon tour que des prévisions de croissance tournant autour de 5% à l’horizon 2015 comme c’est le cas actuellement sont aux antipodes des ambitions clamées sur tous les toits de faire du Sénégal un pays émergent. De fait, dans ces conditions, même les objectifs de développement du millénaire ne seront pas atteints. Je soutiens que sans une forte croissance, de préférence à 2 chiffres (donc supérieure ou égale à 10%), nous ne serons pas de sitôt un pays émergent ; nous ne ferons pas reculer substantiellement la pauvreté ; nous ne vaincrons pas durablement l’ignorance, ni la faim ni la malnutrition et j’en passe…

 

Le Premier ministre avait dit : « Nos priorités seront centrées sur les jeunes et les femmes, acteurs du développement, forces motrices des changements et cibles principales des politiques sociales ». Qu’en est-il ? Le débat d’orientation budgétaire nous aurait permis de mesurer la volonté du gouvernement de tenir ses promesses de créer 100.000 emplois/an. Par exemple, combien d’emplois sont escomptés pour l’Année 2013 ? Il est clair, à mes yeux, que, dans les conditions actuelles du Sénégal, 100.000 emplois/an ne peuvent être générés que par une économie qui tourne à plein régime. Certes, l’on ne saurait exiger cela d’un gouvernement qui vient de s’installer à peine. Toutefois, il importe d’indiquer la bonne direction et ce n’est pas, hélas, le cas. La preuve en est qu’avec une dette intérieure de 500 milliards cfa nos petites et moyennes entreprises ne peuvent résister. Le mieux qu’elles puissent faire, à défaut de fermer, c’est de ne plus embaucher. D’ailleurs, il est aujourd’hui établi que les entreprises licencient au lieu d’embaucher.

 

Pour rester dans le secteur de la jeunesse, je signale que le projet de budget 2013 pour l’éducation soumis à notre examen a connu une importante baisse dans les dépenses de personnel. C’est ainsi qu’aucun vacataire n’a été recruté cette année alors que nous savons que les sortants de la FASTEF ne peuvent pas couvrir les besoins en enseignants dans le moyen secondaire.

Ainsi, en l’absence de stratégies claires comme cela a déjà été constaté, du moins l’on aurait eu droit à une présentation de la démarche opérationnelle qu’ils entendent mettre en œuvre au cours des quatre prochaines années pour répondre aux attentes des Sénégalais sur les différents fronts que sont :

1. la cherté de la vie,

2. le chômage et le sous emploi des jeunes,

3. l’énergie,

4. les inondations,

5. l’insécurité et les menaces extérieures, tout comme le conflit en Casamance,

6. L’éducation et la santé (avec leurs perturbations récurrentes).

 

Récemment, le Président de la République (selon la presse), a annoncé, sans préciser lesquelles, des réorientations stratégiques dans son action. Le débat d’orientation budgétaire, comme son nom l’indique nous aurait aussi permis de bien saisir ces réorientations stratégiques, leur ampleur, leur portée, les secteurs sur lesquels elles devraient porter, etc.

 

Un tel débat aurait enfin permis aux citoyens de notre pays de mesurer les nuances et les différences, voire les divergences réelles entre l’Opposition et la Majorité en termes de vision et d’approche ou, pourquoi pas, d’établir qu’en fait, il n’y avait que des luttes de places et non des différences sur ce que les Sénégalais attendent de leurs dirigeants. Mais par delà cette nécessaire clarification, le débat aurait pu permettre à la majorité d’infléchir, le cas échéant, les choix de l’exécutif car beaucoup de nos compatriotes ne savent pas que sur le projet de budget présenté par le gouvernement, l’Assemblée nationale ne change pas une virgule. C’est le débat d’orientation qui permettait, en amont du projet de loi de finances, de voir le législatif influer un tant soit peu sur les options de l’exécutif.

 

Lorsqu’on veut réellement restituer ses lettres de noblesse à l’institution parlementaire, il n’y a pas meilleure voix que celle de respecter, dans son esprit, l’article 3 du règlement intérieur concernant le débat d’orientation budgétaire. Un débat de haute facture, portant exclusivement sur les aspirations et les attentes de ce peuple Sénégalais, sur ses angoisses et ses peurs, sur ses ambitions et ses espérances. Un débat qui aurait revêtu, cette année-ci, une importance sans précédent pour toutes les raisons ci-dessus évoquées. Hélas ! Nous n’aurons pas de débat budgétaire cette année. Quelles en sont les raisons ? Mystère et boule gomme.

 

A défaut d’une bonne information, je me suis permis de poser comme hypothèse le fait qu’ils viennent d’arriver et que, dans sa lettre, l’article 3 indique que le DOB a lieu dans la première session de l’année. Je voudrai, à ce niveau évoquer l’expérience française en matière de débat d’orientation budgétaire car, là-dessus les similitudes sont réelles. En France le débat d’orientation budgétaire (DOB) est considéré comme « un premier rendez-vous avec la représentation nationale sur la stratégie des finances publiques et les grandes orientations du budget en préparation… Le DOB est l’occasion pour les parlementaires de faire valoir leurs observations sur les orientations et la nomenclature du budget, les indicateurs de performance, et d’annoncer leur intention d’amender le futur Projet de Loi e Finances, le cas échéant ».

 

L’argument selon lequel le régime vient de s’installer ne résiste pas à l’analyse car, en France, François Hollande n’a été élu que le 6 mai 2012 bien après l’élection de Macky Sall le 25 mars 2012. Le gouvernement aurait donc pu s’atteler à la préparation du débat d’orientation budgétaire exactement comme l’a fait le gouvernement français en direction de son parlement. Le site de l’Assemblée nationale française nous signale en effet que le 10 juillet 2012, les députés français ont commencé le débat d’orientation budgétaire pour les années 2012 à 2017.L’objectif affiché par le gouvernement est « le retour à l’équilibre des finances publiques en 2017 ».

Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir la même célérité chez nous ?

Qui parlait de rupture ?

 

Dakar le 5 novembre 2012

Mamadou Diop ‘Decroix’

Député non inscrit

 

 

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