Publié le 1 Oct 2019 - 23:37
DEBAT PUBLIC

Macky Sall, seul maître à bord

L’espace politique sénégalais ressemble plus à un grand désert où Macky Sall est seul à dérouler, Ousmane Sonko le seul à occuper le terrain politique pour jouer aux trouble-fêtes. Pendant ce temps, Karim Wade se la coule douce à Doha, Idrissa Seck cloué au pilori depuis le lancement du dialogue national. Avec la libération de Khalifa Ababacar Sall, l’horloger de la vie politique relance le débat qu’il contrôle selon ses humeurs.

 

Il est le maitre incontesté du jeu politique. Comme un chef d’orchestre, il fait danser tout le monde, quand il veut. Lui, c’est le président de la République Macky Sall. Il ne cesse de multiplier les initiatives pour entretenir, à sa guise, le débat public, après l’avoir muselé pendant un bon bout de temps. Ses opposants, par la force des choses, sont devenus de simples suiveurs amorphes, sautillant uniquement au rythme de la musique du patron de l’Alliance pour la République (Apr). La dernière trouvaille : la libération de Khalifa Ababacar Sall, ce dimanche, après plus de 30 mois de détention controversée. Un nouvel os à rogner chez des opposants en manque d’inspiration.

Depuis le lancement du dialogue national, c’est l’omerta dans les états-majors politiques. Que ça soit la question du voile, les inondations, la rentrée scolaire, la situation économique…. L’opposition, sur toutes ces questions, est aux abonnés absents, facilitant, du coup, la tâche au président de la République Macky Sall et à ses troupes. C’est la conviction de l’enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw.

‘’Cette situation, analyse-t-il, profite plus à la majorité qui n’est pas du tout inquiétée. Or, une majorité, il faut la mettre à l’épreuve, la pousser à apporter des réponses sur certaines questions. C’est dommage qu’il n’y ait plus aucun débat. C’est le désert absolu et cela ne contribue pas du tout au renforcement de notre démocratie’’.

Outre ces questions d’actualité brûlante qui ont eu à défrayer la chronique dernièrement, il y a aussi les questions majeures comme l’emploi, le pouvoir d’achat, la santé, l’éducation, qui ont disparu du langage de nombre de partis politiques depuis très longtemps. Comme si les préoccupations des Sénégalais n’étaient plus leur centre d’intérêt. En lieu et place, il y a plutôt les élections de maires, le bulletin unique, le statut du chef de l’opposition… Rarement le sort des populations qui se meurent dans les accidents de la circulation, certains chassés de chez eux par la furie des inondations. Et même là, toutes les discussions se passent presque à huis clos, sous le contrôle du général Niang, loin des yeux de la population avide d’informations.

Dans cet espace politique de plus en plus déserté par ses acteurs, ils sont nombreux à s’interroger sur les cas Idrissa Seck, deuxième à la dernière Présidentielle, Issa Sall, Madické Niang, Malick Gakou, Mamadou Diop Decroix, entre autres. Naguère très virulents à l’égard du pouvoir, ils semblent maintenant se livrer à trop de calculs, depuis que le dialogue national a été agité. Et comme pour chambouler davantage les cartes, le chef de l’Etat en rajoute une couche avec le rapprochement avec l’ancien président Abdoulaye Wade et la remise totale de peine de Khalifa Ababacar Sall.

Une démocratie en berne

Comme hypnotisés, la plupart des responsables de l’opposition ont disparu de l’espace public ou n’interviennent que de façon sporadique. Seul Ousmane Sonko refuse, pour le moment, de danser au rythme du président Sall. Pour le Pr. Moussa Diaw, cette situation est simplement désolante. ‘’Cela traduit, dit-il, une certaine fébrilité de notre système politique. Les leaders préférant s’emmurer dans un silence désolant et inquiétant. On ne sent plus leur présence. Il n’y a que Sonko qui persiste sur ses attaques pour s’en prendre à la gouvernance du régime actuel. C’est comme s’il n’y avait que lui dans cet espace’’.

Encore que là, le pouvoir qui devait lui apporter des réponses claires et transparentes est dans l’incapacité de le faire, estime l’enseignant-chercheur. Qui ajoute : ‘’On veut tout ramener à une affaire de politique politicienne. Un pays ne doit pas marcher comme ça. Les ministres et responsables interpellés devraient avoir du respect pour la population, de la responsabilité et les compétences nécessaires pour apporter les réponses idoines.’’ Le politologue de souligner que la démocratie sénégalaise perd sa substance en termes de débat d’idées, de réflexions approfondies sur les questions d’actualité ainsi que les thématiques majeures. ‘’Et c’est dommage. On parle de vitalité démocratique, mais on ne la voit plus, cette vitalité. Il ne suffit pas d’avoir des institutions, encore faudrait-il qu’il y ait des hommes politiques susceptibles de mener des débats de haut niveau, d’animer cet espace. C’est ça qui peut renforcer la démocratie. Celle-ci ne survit pas seulement avec des institutions aussi solides soient-elles’’.

Parmi les facteurs explicatifs de cet omerta des leaders de l’opposition, M. Diaw trouve que cela peut être dû  à un ‘’certain découragement’’. ‘’Ceux qui sont intéressés uniquement par des enjeux de pouvoir, on ne les entend que quand il y a élection et ils disparaissent aussitôt après. Ou bien ils réagissent de façon intermittente par des discours par médias interposés… Ce n’est pas ça un débat’’, analyse-t-il.

Face à la disparition des acteurs politiques de premier plan, le public se contente des seconds couteaux et à des querelles de politique politicienne.  Victimes ou coupables ? Les médias sont aussi accusés de ne pas œuvrer pour un débat contradictoire pérenne. ‘’Il faut créer les conditions permettant aux gens de se confronter. Les véritables leaders ont presque démissionné. Ce sont les subalternes qui interviennent juste dans des polémiques. Plus ces échanges d’idées, de réflexions et de propositions’’, tranche le professeur. Et d’avertir les leaders des partis : ‘’De toute façon, dans cette société médiatisée, si vous n’intervenez pas, vous êtes oubliés très vite. Vous disparaissez de la mémoire des gens.’’

La nature ayant horreur du vide, l’espace médiatique est de plus en plus crétinisé avec des zombis sortis de nulle part et mis au-devant de la scène. Bonjour alors la polémique et les dérives de toutes sortes.  ‘’On a comme l’impression que, de part et d’autre, on refuse de se livrer à une bataille d’idées. Or, c’est ça la démocratie et c’est ça qui peut aider le public à avoir un jugement éclairé, le moment venu. Le rôle de l’opposition est d’interpeller la majorité sur ses manquements en termes politiques, dans les différents secteurs’’.

En plus des polémiques stériles des seconds couteaux, il y a également ce que le Pr. Diaw appelle ‘’les gens de la périphérie qui ne sont même pas connus, qui ont un peu côtoyé des hommes politiques, qui voyagent avec eux et à qui on donne la parole ; alors qu’ils n’ont aucune connaissance, même pas le minimum pour s’exprimer en public. On voit des gens qui ont échoué partout, des aventuriers qui ne représentent rien du tout et qui viennent se proposer puisqu’il n’y a personne. Effectivement, c’est la porte ouverte à tout’’.

RECOMPOSITION PROVOQUEE

Macky Sall actionne son rouleau compresseur

La poignée de main entre le président Macky Sall et Me Abdoulaye Wade est loin d’être politiquement innocente. Sur un coup de détente, les effets collatéraux sont multiples. Tous les acteurs politiques sont concernés, opposition, Alliance pour la République comme partis alliés à la mouvance présidentielle.

Qui ne se rappelle pas de la fameuse rencontre entre Me Abdoulaye Wade et le candidat à la dernière Présidentielle Ousmane Sonko, à la veille des dernières joutes qui ont vu Macky Sall passer au premier tour ? Sans doute parce que Me Wade voulait donner des signaux à Macky Sall pour lui rappeler qu’il gardait intactes ses capacités politiques. Mais le coup n’est pas passé inaperçu.

Depuis vendredi passé, la donne semble changer. Car, en s’affichant avec l’actuel locataire du boulevard de la République, Me Abdoulaye Wade efface l’image du jeune loup de la politique, Ousmane Sonko. Pour combien de temps ? Seul l’avenir le dira. Mais force est de constater qu’il reste le premier perdant des manouvres politiques en cours. Le coup est d’autant plus réel que Sonko était engagé dans une dynamique de dé-crédibilisation du pouvoir, avec le filon du pétrole et du gaz.

Ousmane Sonko n’est sans doute pas le seul à trinquer. Idrissa Seck aussi qui, dit-on, aurait repris langue avec le président Sall, doit observer ce qui se donne à lire présentement avec beaucoup de curiosité. Lui qui a dernièrement fait de Touba sa chasse gardée. Que la réconciliation entre Macky Sall et Abdoulaye Wade se soit faite à l’inauguration de la mosquée mouride de Massalikoul Jinaan est symboliquement très lourd. Un signal qui ne laisse pas indifférent le ‘’peuple mouride’’ qui a massivement voté pour  Idrissa Seck, lors de la dernière Présidentielle.

Toutes choses qui font que celui qui a réussi à se hisser à la deuxième position derrière le candidat victorieux, ne doit pas voir d’un  bon œil ces retrouvailles annoncées entre son ancien mentor et l’homme qui préside présentement aux destinées du pays.    

Que dire de la bande des derniers bannis du Parti démocratique sénégalais (Pds), Oumar Sarr et Cie ? Les nouveaux évènements peuvent raisonnablement laisser penser qu’ils partent au mauvais moment. Les voilà dans les méandres du Macky, alors que Me Wade reprend des forces. Seraient-ils encore avec Me Abdoulaye  Wade qu’ils auraient aujourd’hui une plus grande capacité de manœuvre, surtout dans la perspective d’un gouvernement d’union nationale. En s’arrimant de façon précoce derrière Macky Sall, ils gardent certainement la main, mais amputés de quelques doigts.

L’Alliance pour la République (Apr) n’est pas non plus mieux servie. Elle qui s’était installée dans une posture de rébellion muette contre Macky Sall, après sa victoire à la Présidentielle. Elle a estimé, à tort ou à raison, qu’elle a été mal servie pour les efforts fournis, surtout durant les premières années de son accession à la magistrature suprême. 

Même combat, même sort : Benno Siggil Senegaal est à l’étroit. Macky Sall a fini d’administrer la preuve qu’il pouvait prendre des libertés avec ses alliés, surtout depuis qu’Ousmane Tanor Dieng, très respecté par le président, a quitté ce bas-monde.

Quelles conséquences pour le Parti socialiste (Ps) après la libération de Khalifa Sall ? That is the question !

MOR AMAR

 

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