Publié le 13 Apr 2019 - 23:48
DEBAT SUR LES SERIES TELEVISEES

Liberté et responsabilité pour dire non à la censure

 

L’Association de la presse culturelle du Sénégal, en collaboration avec celle des critiques de cinéma du Sénégal, ont organisé, mercredi à la Maison de la presse, un débat sur le contenu et la technique dans les séries sénégalaises. Mais le débat sur le contenu a vite pris le dessus.

 

Tous les professionnels du secteur audiovisuel s’accordent à dire que la bataille qui vaille, actuellement, dans le continent africain, est celle du contenu. Il faut que les Africains racontent leurs réalités, à leur rythme et à leur manière. Aussi, la loi de la proximité qui prévaut dans le journalisme, par exemple, peut prévaloir dans le cinéma, dans le monde de l’audiovisuel. Ancienne directrice de programmes de la Radiodiffusion télévision sénégalaise (Rts), Marième Selly Kâne assure que les contenus qui interpellent les téléspectateurs sont souvent ceux auxquels ils s’identifient. Elle l’a fait savoir mercredi, lors d’une rencontre organisée par l’Association de la presse culturelle du Sénégal (Apcs) et celle des critiques de cinéma du Sénégal, accueillie par la Maison de la presse. A l’affiche : ‘’Les séries sénégalaises : défis du contenu et de la technique’’.

C’est sans surprise, pour Marième Selly Kane, experte de l’audiovisuel, que les Sénégalais ou disons les Sénégalaises s’étaient fortement intéressés aux telenovelas. ‘’Les telenovelas ont été adoptées par tous, parce que les valeurs véhiculées étaient les mêmes. Ce sont celle de l’amour, par exemple’’, a-t-elle expliqué. Après la forte attraction pour les telenovelas, les téléspectateurs ont commencé à s’intéresser à des séries africaines. Le grand succès de ‘’Ma Famille’’, une production ivoirienne réalisée par Akissi Delta, en est une belle preuve. Sa diffusion était comme un baromètre ou a juste inspiré d’autres professionnels du milieu.

‘’Le public aime le nouveau’’

Au Sénégal, certains ont tenté de faire la même chose. Ils ont réussi, parce que, comme l’a dit Marième Selly Kâne, ‘’le public aime le nouveau’’. L’aura des séries télévisuelles sénégalaises a commencé avec ‘’Dinama nekh’’, a-t-elle indiqué. Elle-même a débuté sur les réseaux sociaux. L’accueil particulier que lui ont accordé les internautes lui a permis de trouver un autre diffuseur. Depuis, la création explose. Chaque télévision a au moins une série qu’elle diffuse régulièrement. Mais le contenu est-il de qualité ? Pour Marième Selly Kâne, il sera difficile de répondre à cette question, puisque l’on ne connait pas les codes de qualité, ici. ‘’Quand on fait la programmation, on ne peut pas dire que cela c’est de qualité et cela ne l’est pas en termes de contenu’’, a-t-elle informé. Leur seule préoccupation est de veiller au respect de certaines règles. Ils doivent s’assurer que les contenus ne vont pas à l’encontre des valeurs religieuses et sociales, lesquelles varient d’un pays à un autre, d’une communauté à une autre. Il faut donc éviter de heurter la sensibilité des gens.

‘’Les consommateurs ont le droit d’élever la voix…’’

Ainsi, il est légitime de se demander si, sous le prétexte de la liberté de la création artistique, l’on peut tout porter à l’écran. ‘’Non’’, répond sans ambages Mame Mactar Guèye de l’Ong Jamra. Le nom de cette organisation est presque sur toutes les lèvres, ces dernières semaines, parce que s’étant insurgée contre la diffusion d’une série. ‘’Maitresse d’un homme marié’’ est le titre de cette dernière produite par Marodi Tv et diffusée sur la 2Stv. Mame Mactar Guèye et ses amis trouvent que cette série promeut des antivaleurs. La série, leur rétorquent certains, ne montre que ce qui se passe au Sénégal.

Pour le critique de cinéma et journaliste Baba Diop, les histoires racontées dans certaines productions sont comme le miroir de la société. Ce que confirme Marième Selly Kâne et qui serait même à la base du grand succès de ces réalisations. ‘’Ceux qui ont réalisé ces premières séries à succès ne se souciaient pas de la qualité. C’est le vécu des Sénégalais qui les intéressait. Ceux qui écrivent les histoires calquent notre vécu. On ne calque pas quelque chose qui n’existe pas. Une société a toujours des choses à cacher, qu’elle ne veut pas montrer. Elle ne veut pas les faire voir’’, explique-t-elle.

‘’Je suis d’accord pour que les séries se fassent le reflet de la société’’, réplique Mame Mactar Guèye. Il avoue d’ailleurs qu’à cet égard, ‘’’Maitresse d’un homme marié’ a réussi’’. Les sujets mis en avant comme l’adultère sont une réalité que nul ne peut nier. Seulement, c’est l’orientation du scénario qui dérange. Lui et ses amis de Jamra voudraient qu’au ‘’lieu de bâtir un scénario qui permettrait aux téléspectateurs d’apprendre de bonnes leçons, ils glorifient la fornication et valorisent l’adultère’’, regrette-t-il.

N’allez pas croire que Jamra veut ‘’s’ériger en gendarme de la morale de qui que ce soit’’. ‘’Je crois même que c’est  manquer de respect aux Sénégalais (…) On ne veut pas jouer un rôle de directeur de conscience. Nous ne prêchons absolument rien, nous n’appelons pas au jihad. Nous sommes juste soucieux de la notion de famille’’, fait-il savoir.

L’on peut se demander à quel titre cet Ong va demander l’arrêt de diffusion d’une série. ‘’Autant nos amis de l’Ascosen ont un devoir de veille et d’alerte (…) autant nous, les intellectuels, avons le devoir citoyen de veiller sur ce qu’on envoie dans les cerveaux, particulièrement ceux des enfants. Nous sommes des consommateurs et des consommateurs ont le droit d’élever la voix. Nous avons des enfants à protéger, c’est ce qui sous-tend notre démarche’’, a-t-il défendu. Selon lui, c’est leur faire un mauvais procès que de leur demander de zapper, s’ils n’ont pas envie de regarder. ‘’On ne peut pas nous dire cela. On est dans une société où les consommateurs ont des droits’’.

Il a également tenu à répondre aux journalistes culturels qui défendent la liberté de création. M. Guèye a aussi répondu à ceux-là qui leur reprochent d’étouffer la création artistique. Il réplique : ‘’Tous les pays ont des interdits. Dans un pays, si tout est permis, c’est l’anarchie.’’ D’ailleurs, dans ce cadre, il a partagé une partie de son échange avec la scénariste de ‘’Maitresse d’un homme marié’’ et le producteur. Ces derniers lui ont proposé de le mettre à contribution dans l’écriture du scénario des 20 épisodes non encore tournés. Invitation qu’il a déclinée pour ne pas ‘’empiéter dans la création artistique’’. Aussi, ce n’est pas une première, pour l’Ong qu’il dirige, de porter plainte pour demander l’arrêt de diffusion d’une production audiovisuelle. Ils l’ont fait en 2000, en attaquant Canal+ qui voulait diffuser ‘’Confessions érotiques’’ en clair à 20 h ; et ils avaient obtenu gain de cause. ‘’Ce qu’on fait n’est nullement un acharnement contre ‘Maitresse d’un homme marié’’’, a-t-il précisé.

Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) saisi, a pris une décision, car des règles n’ont pas été respectées. ‘’On n’est pas dans une dynamique de censure (…) Ce film doit être diffusé, mais il faut des correctifs. Il faut aussi qu’on améliore certaines choses (…). A défaut, il faut la diffuser à une heure tardive. On n’interdit pas. On en n’a même pas la capacité. Mais il y a la responsabilité des décideurs et une réglementation que l’on doit respecter. Il y a certains films qu’on ne peut pas diffuser dans la journée ou bien avant 21 h ou 22 h. Il faut préserver le caractère familial de la programmation. De 8 h à 20 h, il y a des programmes qu’il faut proposer aux familles pour préserver l’enfance et l’adolescence’’, a informé le représentant du Cnra à ce débat, Mactar Sall.

Des entorses dans la diffusion, il y en a énormément. ‘’La plupart des séries télévisées ne respectent même pas les dispositions liées à la signalétique. Le cahier des charges dit clairement à quelle heure il faut diffuser. Les producteurs, éditeurs doivent avoir une notion de la réglementation. Si le régulateur donne les justificatifs qui interdisent la diffusion, aucune télé ne va diffuser’’, a-t-il annoncé.

Beaucoup d’entorses dans la diffusion des séries

Mais il n’y a pas que la responsabilité de l’autorité. Pour certains, dont la journaliste Oumy Ndour, la question peut être réglée facilement. Pour elle, les auteurs de scénarii, les producteurs et réalisateurs doivent être assez responsables pour savoir ce qu’ils peuvent montrer chez eux. Avis que partage Baba Diop. Qui ajoute : ‘’Il y a la responsabilité de celui qui regarde. Il peut changer de chaine. Il y a la responsabilité du diffuseur qui peut mettre interdit au moins de 10 ans, par exemple. On a brisé toutes nos résistances. On a une société de consommation. Les séries sont une demande.’’ Il ne reste donc qu’à essayer d’orienter, de soutenir et de conseiller. Le Cnra est d’ailleurs dans cette optique. 

Mactar Sall explique : ‘’On doit favoriser les conditions de création. Il faut encourager la création. Le Cnra va aider les acteurs. Dans le cahier des charges des télévisions, il est dit qu’il faut 60 % de productions africaines et sénégalaises. Rien que pour cela, il faut encourager la production de films sénégalais.’’ Par conséquent, a-t-il ajouté, ‘’le Cnra n’est jamais dans une logique de censure. Il veut être dans une logique d’accompagnement. Ce qui est important pour les producteurs, éditeurs et diffuseurs’’.

Ces derniers pensent souvent plus aux recettes publicitaires qu’à la réglementation. Car l’une des causes du nombre important de production de séries est la publicité. En effet, revenant sur la naissance de ce genre, Baba Diop a fait savoir qu’au Sénégal, tout a débuté avec les séries radiophoniques. Donc, le public actuel n’est que l’héritier de celui des années 1970-1980. ‘’Makhourédia Guèye Taximan’’ était au centre de toutes les attentions, à chacune de ses diffusions. Donc, cet engouement n’est pas nouveau. C’est après que la télévision est venue.

Tout allait bien jusqu’à l’introduction de la publicité. Pour gagner des espaces de publicité, on a commencé à réduire les génériques d’abord. Ensuite, cela a commencé à influer sur l’écriture. ‘’La publicité conditionne l’écriture de ces séries’’, indique Baba Diop. Pour Mactar Sylla du Cnra, celui qui commande doit tout de même savoir qu’il y a des risques de non diffusion, en cas de non-respect de la réglementation. Aujourd’hui, beaucoup ne respectent pas d’ailleurs la disposition de la loi stipulant que le temps de publicité ne doit pas excéder la durée de la série. Aujourd’hui, on peut avoir 20 minutes de publicité et un épisode de 15 minutes.

ENCADRE

‘’Pod et Marichou’’ dans le viseur de Jamra

Mercredi, à la Maison de la presse, Mame Mactar Guèye de l’Ong Jamra, revenant sur toute la polémique soulevée par leur opposition à la diffusion de la série ‘’Maitresse d’un homme marié’’, a dit leur satisfaction de la décision prise par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Comme pour répondre à ceux qui disent qu’il y a pire que ce qu’ils dénoncent dans la nouvelle série diffusée par la 2Stv, Mame Mactar Guèye annonce une plainte contre une autre série.

‘’Il y a dans notre viseur une autre série. Elle fait la promotion de l’idéologie maçonnique. Vous allez nous entendre. Il y a des puissances maçonniques derrière’’, affirme-t-il. Il ne l’a pas nommé, mais tout le monde pense à ‘’Pod et Marichou’’, une autre production de Marodi, la seule qui met au cœur de son intrigue une secte. Que Marodi prépare sa défense. Elle est avertie…

BIGUE BOB

 

 

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