Publié le 1 Dec 2019 - 01:32
DEBATS HOULEUX A L’ASSEMBLEE NATIONALE

L’énergie à la loupe 

 

Le budget 2020 du ministère des Energies et du Pétrole (plus de 1 600 milliards F Cfa) a été adopté par l’Assemblée nationale, non sans des débats parfois houleux sur le coût de l’électricité et la gestion des ressources naturelles (gaz et pétrole). Le ministre des Finances annonce que la dette de Senelec sera totalement apurée.

 

Le face-à-face entre le ministre des Energies et du Pétrole, Makhtar Cissé, et les élus locaux a été vampirisé, avant-hier jusque tard dans la nuit, par l’annonce de l’augmentation des tarifs de l’électricité. Les 50 orateurs se sont lancés dans des joutes épiques. C’est l’opposition qui a sonné la charge. Les députés de l’opposition soutiennent, dur comme fer, que cette hausse n’aurait jamais dû avoir lieu, si le gouvernement avait une vision adéquate de la situation, en ajoutant que l’Assemblée nationale a eu à voter une loi octroyant à la Senelec une subvention de 125 milliards, il y a moins d’un an.

‘’On ne votera jamais votre budget. Ce serait une trahison envers le peuple sénégalais. Quand vous étiez encore le directeur général de la Senelec, vous aviez dit que l’entreprise se porte bien et qu’elle a même un bénéfice de 40 milliards de francs Cfa. Où sont passés ces milliards au point qu’aujourd’hui, qon parle d’augmentation du coût de l’électricité ? Ou bien ces propos étaient tenus en prélude à l’élection présidentielle ?’’, a lancé le député du Parti démocratique sénégalais, Cheikh Mbacké.

A sa suite, ses collègues de l’opposition ne se sont pas fait prier pour dénoncer une mauvaise gestion de l’entreprise sur le long terme qui explique, aujourd’hui, son état financier. Ils s’appuient sur le supposé audit réclamé par le nouveau directeur général de la Senelec qui n’a toujours pas eu lieu. En outre, ajoutent-ils, il se trouve que les industries qui, elles, connaitront une augmentation plus prononcée, vont, à leur tour, avoir un prétexte d’augmenter le prix de leurs produits ou services. Un fait qui, selon les parlementaires, rend encore une fois de plus la population perdante et neutralise la faible hausse sur les factures des ménages à faibles revenus.

‘’Ce n’est pas juste de faire payer aux Sénégalais les errements du président Macky Sall. Vu l’importance de l’électricité sur l’économie et pour les industries, il n’y aurait jamais dû avoir une hausse’’, lance le député Mamadou Lamine Diallo. Et dans ce procès fait à la Société nationale d’électricité, l’intervention du leader du Pastef était plus qu’attendue. ‘’Est-ce que vous connaissez réellement l’impact de cette hausse sur la production industrielle ? Il n’y aurait jamais dû avoir de hausse, parce que ce qui vous rattrape n’est autre qu’une mauvaise gouvernance de la Senelec depuis longtemps. Il y a un certain nombre de problèmes dans cette entreprise, raison pour laquelle j’avais demandé son audit en plénière. Il y a le problème du régulateur qui ne régule absolument rien. Tous les trois ans, la Senelec propose et cela passe comme lettre à la poste ; aucune sanction », a déclaré Ousmane Sonko.

« La Senelec, a-t-il ajouté, ne devrait point avoir le monopole sur la production d’énergie, mais plutôt accepter la concurrence en vue d’améliorer ses services et ses coûts. »

La majorité met en avant les progrès

 Cependant, du côté de la majorité, on estime que le débat devrait s’articuler autour des indicateurs de performance de l’entreprise, à compter de 2012. Partant du fait que les coupures intempestives (estimées à 900 heures) ne sont plus à l’ordre du jour, ainsi que l’utilisation abusive des groupes électrogènes par les populations. Ces derniers affirment que des progrès ont été faits.

En effet, le taux d’électrification est passé de 58 % en 2012 à 69 %. Dans les zones rurales, il s’élève à 43 % contre 27 % en 2012. Selon eux, la politique du mixte énergétique déroulée par le gouvernement rassure du fait que l’augmentation est temporaire. De l’avis d’Awa Ndiaye, ‘’une communication claire et nette doit être faite sur la hausse des tarifs de l’électricité. Il faut que les Sénégalais comprennent que c’est compte tenu du contexte mondial de hausse du prix du baril que cette décision a été prise. Et le président Macky Sall, dans un élan de compassion, a voulu protéger les ménages les plus faibles en ciblant ceux qui seront impactés’’.

Elle estime, comme plusieurs de ses collègues, qu’il ne s’agit pas d’une hausse, mais d’un retour à l’état initial. Pour d’autres, ce réajustement tarifaire vaut mieux que la faillite de la Senelec.

La dette de la Senelec sera totalement apurée

Cette année, l’Etat du Sénégal a choisi de ne pas prendre de nouvelles obligations, au risque de les ajouter à celles des années de 2017 et 2018. Car la dette de la Société nationale d’électricité, d’un montant de 141 milliards, sera totalement apurée en trois ans, à savoir 53 milliards pour 2020, 68 milliards pour 2021 et le reliquat sera versé en 2022. ‘’Objectivement, la Senelec n’a pas un problème de fonctionnement ou de gestion. Ce qu’il y a, c’est qu’on lui doit de l’argent et on doit tout faire pour le lui payer. C’est cela la réalité. L’entreprise a bel et bien fait des bénéfices, mais, il se trouve qu’elle a comptabilisé des sommes que l’Etat lui doit, ce qui est à la base de ses problèmes de trésorerie’’, explique le ministre des Finances et du Budget. Abdoulaye Daouda Diallo précise, par ailleurs, que la fameuse somme de 125 milliards dénoncée par les députés n’est nullement une subvention, mais plutôt le versement d’une partie de la dette du gouvernement.

Quant à la hausse du prix de l’électricité, il défend : ‘’En fin 2018, le baril était à 147 dollars, mais l’Etat a pris sur lui. Il prend en charge 20 % sur les 26 % de ce qu’il doit à l’entreprise. On ne peut pas faire autant d’efforts et dire qu’on augmente le prix, surtout que ces prix sont inférieurs à ceux de 2012 qu’on a trouvés ici. Nous avons électrifié 1 098 villages, la disponibilité au Sénégal a doublé et est aujourd’hui à 1 300 MW. Le gaz coûtait 4 800 ; aujourd’hui, la bouteille est à 2 900 F Cfa.  Il faut accepter de reconnaitre les avancées opérées par le gouvernement’’.

Mouhamadou Makhtar Cissé rassure

Les principales orientations à l’horizon 2023 du ministère des Energies et du Pétrole sont la sécurisation de la production et de l’approvisionnement en hydrocarbures, ainsi que l’accès à une électricité de qualité et un service à moindre coût. Selon Mouhamadou Makhtar Cissé, les objectifs liés à la disponibilité de l’énergie ont été atteints, avec la mise en service de la centrale solaire de Diass de 15 mégawatt, portant à ce jour la puissance installée à 1 174 MW en plus d’un renforcement du mix énergétique avec 158 MW de solaire.

‘’Il existe une corrélation étroite entre l’amélioration du secteur énergétique et le taux de croissance, grâce à la création de richesses et d’emplois émanant de ce secteur. La maitrise de l’énergie a toujours été une équation au Sénégal, depuis l’indépendance, raison pour laquelle on ne dépassait pas 3 % de taux de croissance. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Et je me réjouis de voir que personne n’a parlé de délestage. Si on était dans une situation de pénurie, nous ne serions pas là à discuter du coût’,’ affirme M. Cissé.

A l’en croire, la disponibilité de l’électricité va être renforcée. ‘’Après l’indépendance, le Sénégal était à une puissance électrique de 50 MW. En 2000, elle est passée à 250 MW. Aujourd’hui, nous sommes à 1 200 MW dont 20 % d’énergies renouvelables. Et d’ici fin décembre 2019, nous aurons 55 MW d’énergie éolienne à Taiba Ndiaye. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’on ne peut pas redresser un secteur sans un opérateur viable. Certains pays ont du pétrole, mais souffrent d’un problème d’électricité, parce qu’ils ne prennent pas soin de leur société nationale’’, ajoute-t-il. La Senelec, selon lui, est soumise à une gestion rigoureuse, parce que membre de l’Ohada. De plus, la Commission de régulation veille au grain sur son chiffre d’affaires qui ne doit excéder 488 milliards de francs Cfa (revenu maximum autorisé).

Par ailleurs, Makhtar Cissé soutient que le secteur de l’énergie nécessite de lourds investissements, surtout que pour plusieurs établissements publics (universités, hôpitaux, écoles) l’électricité est gratuite.  

Une gestion des ressources naturelles transparente

Face au manque de transparence dans l’attribution des blocs pétroliers et l’affaire Petro-Tim soulevés par certains députés, le ministre des Energies et du Pétrole affirme que le gouvernement a pris toutes les dispositions pour une gestion appropriée des hydrocarbures. Ceci, conformément à l’article 25 de la Constitution. Et ce, dans une démarche inclusive et un code pétrolier qui protège les intérêts du Sénégal.

Il a cependant refusé de se prononcer sur un dossier (Petro-Tim Ltd) pendant devant la justice.  ‘’Le débat portant sur le pétrole et le gaz est un débat d’expertise juridique et éminemment technique. Je pense qu’il faut avoir l’humilité de rechercher toute l’expertise nécessaire à sa compréhension, d’où la montée en puissance de Petrosen. Personnellement, je suis ouvert au débat, mais dans un climat apaisé et serein qui va permettre d’attirer des sociétés multinationales capables de révéler l’important potentiel d’hydrocarbures dont regorge le bassin sédimentaire du Sénégal’’, précise-t-il.

La transformation du gaz en énergie devrait diminuer les coûts de production, renforcer l’accès et la disponibilité de l’électricité et donc régler la question du coût. Selon M. Cissé, il urge de préparer la jeunesse aux différents métiers du pétrole et du gaz, de même que le secteur privé, afin d’arriver à 50 % d’expertise locale. Les députés, pour leur part, ont plaidé pour un suivi écologique et un accompagnement environnemental, dans le cadre de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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