Publié le 15 Sep 2017 - 14:40
DECEDE HIER A DAKAR

Djibo Ka, intemporel commis de l’Etat

 

Djibo Leyti Ka est mort. Après une carrière politique et administrative bien remplie, le ‘‘petit berger’’ rejoint les prairies célestes. L’Etat était son maître, lui son intemporel serviteur.

 

Le 14 septembre d’hier n’avait rien d’ordinaire. Le Sénégal se remémorait les 20 ans de la disparition du très regretté et adulé khalife des Tidianes, Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh, et procédait dans le même temps à l’installation officielle de la 13e Législature à l’Assemblée nationale. C’est le moment qu’a choisi ‘‘Un petit berger peul au service de la République et de la démocratie’’ pour tirer sa révérence. Le titre de son œuvre-mémoires parue en 2005 résumait bien son auteur. Djibo Ka est décédé hier à Dakar.

Une information qui a vite créé un petit séisme dans l’opinion et tout le landernau politique d’autant que l’annonce, en plein Hémicycle, par Abdoulaye Makhtar Diop, sonnait comme un ultime hommage politique dans ce lieu où il a été le premier à accomplir un exploit : enlever onze députés sur 140, en 1998, alors qu’il venait juste de quitter, de claquer la porte de ‘‘sa’’ toute puissante matrice politique, le Parti socialiste (Ps) où il se sentait à l’étroit face à la montée en grade d’un certain Ousmane Tanor Dieng. Un acte de courage politique assimilé par beaucoup à un suicide.

Mais l’Union pour le renouveau démocratique (URD), le parti qu’il a nouvellement créé, fait vite ses preuves et, deux ans plus tard, en 2000, confirme les pronostics en se classant 4e du premier tour de la Présidentielle de 2000 avec 7,1% des voix. Deux coups de génie politique qui seront le paroxysme de son parcours politique avant qu’une fausse manœuvre, le soutien apporté à Diouf au second tour, ne signe l’arrêt de mort d’un parti. Mais la stature de l’homme était trop importante pour couler avec cette formation.

DLK surnage et est coopté par son adversaire héréditaire, Abdoulaye Wade, qu’il aura férocement combattu sur le plan politique. Il siégera aux gouvernements en tant que ministre de l’Economie maritime, puis ministre d’Etat, ministre de l’Environnement. A la deuxième Alternance, silence radio face au ‘‘jeunot’’ Macky Sall, lequel après une cour assidue à l’ouverture du siège de la Sonatel sur la Vdn, en juin 2015, réussit à le rallier avant d’en faire le président de la Commission nationale du dialogue des territoires (Cndt), un organe consultatif chargé de l’assister dans la définition de mécanismes de coopération territoriale.

 Dire que la carrière de ce natif de Linguère est bien remplie serait une lapalissade. En passant l’arme à gauche à 69 ans, il avait pratiquement occupé tous les postes ministériels. Seules la Primature et la magistrature font de l’ombre à son palmarès politique. Dernier directeur de cabinet du Président Senghor, ministre sans interruption du 2 janvier 1981 à 1996 sous Abdou Diouf, ministre sous Wade, honoré sous Macky Sall, Djibo Ka a marqué de son empreinte indélébile l’histoire politique du Sénégal.

Mais la gestion administrative de ce commis de l’Etat n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Au faîte d’une puissance publique, en tant que ministre de l’Intérieur (1993-1995), le pays vit des moments dramatiques. Une manifestation de la Convergence des forces démocratiques vire au drame en février 1994. Les positions radicales des organisateurs de la marche et l’interdiction par DLK suivant un plan d’urgence datant de 1993 débouchent sur une journée sanglante : six personnes trouvent la mort.

‘‘La leçon que je tirais de la situation ainsi créée, plus encore au lendemain des évènements sanglants du 16 février 1994, est que le ministre de l'Intérieur, qui exerce pleinement ses prérogatives, est un homme solitaire. (...) Il a besoin de sang-froid et de célérité dans ses décisions, où s'applique véritablement l'adage connu : si le fait de délibérer est l'affaire de plusieurs personnes, la décision est un acte individuel’’, écrivit-il onze années plus tard, dans sa seule œuvre-mémoires, ‘‘Un petit berger peul au service de la République et de la démocratie’’.

Pourtant son boss, Abdou Diouf, dit l’avoir relevé de ses fonctions, au ministère de  l’Intérieur, en le soupçonnant d’une passivité coupable, de ‘‘représailles’’ contre le choix porté sur Tanor Dieng au poste de secrétaire général du Ps,  alors que Djibo Ka y a milité bien avant, du temps de l’Union progressiste sénégalaise (Ups), ancêtre du Ps. ‘‘Pour un ministre de l’Intérieur, dans un pays comme le Sénégal, il n’est pas possible qu’une telle marche soit organisée sans que le ministre de l’Intérieur en soit informé, sans qu’il ait pris les mesures préventives, et sans qu’il ait prévenu le Premier ministre et la Présidence de la République’’, écrit le successeur de Senghor dans ses ‘‘Mémoires’’. Une version présidentielle à son désavantage pour laquelle il parlera plus tard de ‘‘trous de mémoire’’ et même de ‘‘contrevérités’’.

Témoignages : l’homme d’Etat salué

Le quolibet de ‘‘Peul bou rafet’’ (Ndlr : le beau Peul) tenait plus de la réalité, quoique né d’une caricature langagière. Coulissant aussi bien à l’aise dans des complets cravate que dans les tenues traditionnelles, il était de la jeune garde ‘‘senghorienne’’ et en a naturellement toutes les qualités intellectuelles. Phrasé limpide, orateur hors pair, il a été physiquement affaibli et a démissionné de la douzième législature (2012-2017) ; ses quelques apparitions laissaient voir l’homme assagi qui a blanchi sous le harnais politique. 

C’est tout naturellement que la classe politique est peinée par cette nouvelle. ‘‘Djibo Leyti Kâ a porté jusqu'au bout les rigueurs et les contraintes de l'engagement au service de son pays. Illustre fils du Sénégal, son nom est intimement lié à notre histoire politique de ces cinquante dernières années, l'homme ayant assumé, avec constance et passion positive, parmi les plus hautes charges de l'Etat’’, a déclaré le Président Macky Sall. Les socialistes et anciens socialistes ne sont pas en reste. ‘‘Nous venons de perdre en lui un de ceux qui ont le plus remarquablement contribué à façonner le destin politique, économique et social de ce pays. C’était un illustre homme d’Etat. Le Ps est en communion de prières avec son Djolof natal, avec l’URD, et tout BBY’’, a déclaré hier le porte-parole des ‘‘Verts’’ Abdoulaye Wilane. Quant à l’élue de Bambey, Aissatou Mbodji dite Aida, elle estime : ‘‘C’était quelqu’un qui avait un grand sens du respect de l’Etat, du sens de l’esprit républicain, des règles de préséance et plein de bienveillance.’’

Malgré tout, les incessantes oscillations entre pouvoirs ‘‘senghorien’’, ‘‘dioufiste’’, ‘‘wadiste’’, et ‘‘mackyste’’ de cet administrateur civil, sortant de l’ENA, n’avaient d’autres buts que de servir l’Etat. Son ADN politique n’aura vraiment connu aucune mutation au point d’altérer son idéologie de départ. Ce ‘‘socialiste de conviction et non de carrière’’, comme il aimait le rappeler, n’a jamais adopté la doctrine libérale. En témoigne cette déclaration télévisée il y a juste huit mois, en février dernier, appelant à des retrouvailles socialistes. ‘‘Mon plus grand rêve, c’est que les socialistes reprennent le pouvoir, sinon ‘‘da na doy waar torop’’ (Ce serait vraiment dramatique).

On a tout fait et tout donné à ce pays’’, lançait-il après avoir été ostracisé aux investitures de BBY dans le département de Linguère par Aly Ngouille Ndiaye. Comme quoi, même pour les plus grands hommes, les premières amours ne meurent jamais totalement.  Hommage ultime, le nouveau président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, dont la simple évocation de leur relation souffrait jusque-là de leur affrontement historique en 1984 en plein bureau politique, a fait amende honorable.

L’ancien secrétaire politique de Diouf, actuel président de l’Assemblée nationale, a eu l’aveu franc hier au perchoir, au moment de faire son allocution. ‘‘Les vicissitudes de la vie nous ont éloignés. Mais à la fin, nous nous sommes réconciliés et il était devenu mon jeune frère. J’ai perdu un jeune frère’’, a-t-il lancé, avant son allocution de Président. Fermant presque aussi brièvement le chapitre Djibo.  

OUSMANE LAYE DIOP

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