Publié le 5 Dec 2018 - 12:32
DECES DU PDG DE WAL FADJRI A L’AGE DE 68 ANS

La chute d’un monument

 

Décédé hier à Dakar, à la suite d’un malaise, Sidy Lamine Niasse, 68 ans, était l’un des piliers et précurseurs de la presse sénégalaise. Témoin actif des grandes luttes politiques et syndicales, il a toujours joué un grand rôle dans l’approfondissement de la démocratie sénégalaise, à travers ses actes et prises de position souvent aux antipodes de ceux des différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Itinéraire d’un géant de la presse sénégalaise qui s’en est allé sur la pointe des pieds, sans crier gare.

 

L’annonce de son décès, dans la matinée d’hier, a affolé la toile. Pris de court par une rumeur persistante, les citoyens sénégalais se sont rendus à l’évidence, après la confirmation de l’information par les médias qui en ont fait un écho retentissant. Sidy Lamine Niasse n’est plus. Le tonitruant patron du groupe Wal Fadjri a tiré sa révérence, à la suite d’un malaise qui a finalement eu raison de lui, après un âpre bras de fer de moins de 24 heures seulement. Agé de 68 ans, il a marqué son époque de par son itinéraire.

Né le 15 août 1950 à Kaolack et fils de Khalifa El Hadj Mohamad Niasse et de Amina Bint Barham, Sidy Lamine Niasse a, en effet, un parcours plus ou moins atypique. Enseignant en langue arabe de 1971 à 1975, il s’exile en Égypte pour étudier le droit et la jurisprudence islamique à l'Université Al-Azhar du Caire. Cela, dans le but d’élargir son horizon intellectuel et sa connaissance du monde islamique au sein duquel les débats d’idées tournaient non seulement autour des questions de la foi et du rituel, mais aussi autour des problèmes politiques et sociaux.

Rentré au bercail au début des années 80, il se lance dans le combat non seulement pour la réhabilitation de la langue arabe dans son pays où le français règne sans partage au sein de l’Administration, mais aussi pour l’émancipation et l’intégration des arabisants dans la conduite des affaires publiques. Il s’illustre également dans le combat pour la défense des valeurs islamiques et de la cause palestinienne face à l’‘’invasion’’ israélienne.

Les questions politiques et démocratiques sont également inscrites dans l’agenda du jeune prodige qui œuvre pour un changement de paradigme dans la manière de gérer le pays. C’est d’ailleurs cet activisme dans la défense de la démocratie sénégalaise et pour l’indépendance du Sénégal qui lui a valu quelques infortunes dans son itinéraire.  

Relations souvent tendues avec le régime

Farouche défenseur de la démocratie sénégalaise et des libertés publiques, le ‘’Mollah de Sacré-Cœur’’, comme on le surnommait, a toujours entretenu des relations particulières, souvent empreintes de bisbilles, avec les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Si, sous Abdou Diouf, il a travaillé en parfaite symbiose avec le régime jusqu’à être élevé au rang de Chevalier de l’ordre du mérite pour services rendus à l’Etat, notamment à l’occasion du premier sommet de l’Organisation de la conférence islamique, il a été emprisonné sous Senghor, pendant un an, accusé d’avoir brûlé le drapeau français pour plaire au président libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi, et pour bénéficier de ses financements.

Sous le magistère du ‘’Pape du Sopi’’, s’il n’a jamais été emprisonné, il a, par contre, été victime d’intimidation à plusieurs reprises. Pour l’amener à revoir certaines de ses positions, les locaux abritant son groupe de presse ont été mis à sac, le vendredi 25 septembre 2009, par des disciples présumés de Mame Thierno Birahim, petit frère de Serigne Modou Kara Mbacké. Mais derrière cette attaque, Sidy Lamine Niasse y voit une volonté manifeste du régime d’Abdoulaye Wade de le liquider. ‘’J’accuse le président Abdoulaye Wade d’être le commanditaire de tous ces déboires. Je ne parle pas de Serigne Modou Kara, encore moins d’une autre personne. C’est le président Abdoulaye Wade qui est derrière tout cela’’, avait-il publiquement accusé. Et la suite des évènements, si elle ne lui a pas donné raison, a corroboré ses accusations, puisque ces attaques n’ont été suivies d’aucune arrestation, bien que les personnes incriminées fussent  identifiées. Cela, malgré les vociférations et protestations des candidats à la présidentielle de l’époque dont l’actuel président de la République Macky Sall, les organisations de la société civile, mais aussi et surtout le Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics).

Deux ans plus tard, en 2011, le paiement d’une redevance de 241 millions de francs Cfa lui est réclamé par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes, sous peine d’une mise sous scellé de ses installations et d’un arrêt de ses programmes.

Mais selon Sidy Lamine Niasse, tout cela n’était que pur prétexte pour l’empêcher d’émettre. D’ailleurs, pour dénoncer ce qu’il considère comme un acharnement et une injustice, il initie une mobilisation de protestation pacifique, le samedi 19 mars 2011, à la place de l’Indépendance, qu’il a voulu rebaptiser ‘’place Tahrir’’. En réussissant une mobilisation monstre des citoyens sénégalais et de l’opposition de l’époque, le ‘’Mollah de Sacré-Cœur’’ avait ainsi balisé la voie vers les évènements du 23 juin de la même année qui ont été le point de départ de la chute d’Abdoulaye Wade.

Pionnier de la pluralité médiatique et démocratique

Avec la disparition du Pdg de Wal Fadjri, c’est un géant de la presse sénégalaise qui vient de s’effondrer. Militant infatigable de la démocratie, il a plus axé son combat sur le socle de la liberté d’expression et d’opinion des citoyens. Pour réussir son pari, il créa,  en 1984, le bimensuel ‘’Wal Fadjri’’. Trois ans plus tard, en 1987, le journal devient un hebdomadaire. Plus tard, en mai 1991, il passe semi-quotidien, paraissant trois fois par semaine, avant d’être un quotidien deux ans plus tard, en 1993. En novembre 1997, il obtient une bande Fm (Walf Fm) et en 2007, il lance la chaine de télé Walf Tv pour parachever la mise en place de son groupe de presse, désormais composé d’un quotidien, d’une radio, d’une télévision et d’un site internet.

Pendant longtemps, son groupe de presse a été le principal ‘’mur de lamentations’’ des citoyens sénégalais qui se sentent négligés dans la gestion des affaires publiques et dans le partage des ressources du pays. Mais aussi le médium des différents leaders de l’opposition sénégalaise qui n’ont pas souvent accès aux médias d’Etat. Ses éditions, que ce soit à la télé, à la radio ou dans le quotidien, se détachent le plus souvent de l’actualité politique pour se consacrer uniquement à relayer les revendications des populations des localités même les plus reculées du pays, en termes d’assainissement, de branchements sociaux ou d’accessibilité, entre autres besoins vitaux.

Sidy Lamine Niasse s’en est ainsi allé dans un contexte national assez particulier marqué par une crise quasi généralisée qui n’épargne aucun secteur d’activité de la vie publique et qui touche de plein fouet la presse dans sa globalité, mais en particulier son groupe. Il laisse ainsi derrière lui une entreprise de presse orpheline de son patron, mais confrontée à d’énormes difficultés qui hypothèquent complètement sa survie. Si cette situation plus ou moins difficile est la résultante d’une conjoncture nationale assez complexe, elle est en partie due à ses déboires avec le régime du président Macky Sall avec qui il n’a jamais été en odeur de sainteté jusqu’à la fin de ses jours.

ASSANE MBAYE

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