Publié le 2 Apr 2019 - 20:13
DECLARATION DE PATRIMOINE

Forces et limites de la loi 

 

Réélu président de la République, Macky Sall devra, une nouvelle fois, se soumettre à l’exigence de déclarer son patrimoine. Au-delà des questions relatives au délai, nos interlocuteurs s’interrogent sur l’efficacité même d’un tel mécanisme et demande sa réforme.

 

Bis repetita ! Comme en 2012, le débat sur la déclaration de patrimoine du président de la République fait rage. Une partie de la société civile fait feu de tout bois et interpelle déjà le chef de l’Etat sur cette exigence à lui faite par la Constitution. Celle-ci prévoit, en effet, en son article 37 alinéa 3 que : ‘’Le président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique.’’ Interprété par certains comme une avancée non négligeable en matière de transparence dans la gouvernance des affaires publiques, ce texte est jugé ‘’très laconique’’ par plusieurs autres observateurs avertis. Une chose est sûre, c’est là un réel acquis, soulignent certains membres de la société civile. Le Conseil constitutionnel devra forcément porter à la connaissance de l’opinion le patrimoine du président de la République. Une question qui taraude déjà bien des esprits.

En 2012, la déclaration de patrimoine du président Macky Sall avait défrayé la chronique. Il avait même transcendé les frontières du Sénégal et avait été relatée par bien des organes de presse étrangers. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Réélu président de la République, le Sénégal s’impatiente de voir Macky Sall se soumettre à la même obligation. El Hadj Hamidou Kassé rassure dans l’émission hebdomadaire de la radio Sud Fm : ‘’Le président l’a fait (en 2012) et il le refera…’’ Le ministre conseiller en charge de la Communication du président de la République ne s’en limite pas. Il affirme, comme pour attester de la bonne volonté de son mentor : ‘’Le président Macky Sall a été le premier à s’imposer cette obligation, au moment même où rien ne lui était nullement exigé.’’

Une déclaration qu’il faut toutefois nuancer. Puisque le locataire actuel du palais était bien tenu de faire cette déclaration en 2012, conformément à la disposition constitutionnelle précitée. Aussi, selon un article de ‘’Jeune Afrique’’ publié en mai 2012, même le président Abdoulaye Wade, en 2001, s’était astreint à la même exigence, bien qu’il ait été élu en 2000 sous l’emprise de l’ancienne Constitution. A la fin de son mandat également, acculé par des accusations d’enrichissement illicite, il est revenu à la charge, en publiant l’ensemble de ses biens. Ce qui entre en contradiction avec les allégations de la voix de la présidence. Mieux, cette déclaration, non seulement doit être faite, mais elle doit être rendue publique. Une prérogative qui incombe cependant au Conseil constitutionnel, à la lecture de la charte fondamentale.

Une efficacité sérieusement remise en cause

Récemment, le Forum du justiciable avait fait une sortie pour exiger que la déclaration se fasse avant même la prestation de serment prévue aujourd’hui. Mais, à ce niveau, nos sources relativisent et affirment que rien n’impose au chef de l’Etat de faire sa déclaration à pareil moment. D’autres vont même plus loin en défendant un point de vue contraire. D’abord, soutiennent-ils, la déclaration doit être faite par le président de la République, d’après la Constitution. Or, c’est à partir de la prestation de serment que la personne élue au suffrage universel prend véritablement fonction. Aussi, ajoutent-ils, dans l’ordonnancement même des dispositions constitutionnelles, les textes traitant de la prestation de serment viennent avant ceux qui régissent la déclaration de patrimoine. Pour toutes ces raisons, argue ce responsable de la société civile, les gens devraient encore patienter. Toutefois, il précise que la publication ne devrait pas non plus trop tarder. ‘’Il faut, souligne-t-il, un délai raisonnable. Et le délai raisonnable, c’est généralement 30 jours’’.

La vraie question qui se pose est de savoir si Macky Sall va le faire, vu tout le tollé suscité en 2012. Le Conseil constitutionnel est-il légalement fondé à exiger du chef de l’Etat qu’il dépose son patrimoine ? Les juristes sont interpellés. Et c’est justement à ce niveau que la loi comporte de nombreuses limites.

Ce qui est sûr, c’est qu’en l’état actuel des choses, il ne pèse sur le président ni condition ni sanction, en cas de non-respect de la disposition constitutionnelle.

Par ailleurs, d’aucuns mettent l’accent sur le grand désordre autour des textes qui régissent la déclaration de patrimoine. Outre la Constitution qui, elle, ne s’intéresse que de manière lapidaire au président de la République, il y a la loi 2014-17 et son décret d’application qui régissent de manière beaucoup plus complète toutes les autres autorités publiques. Des autorités qui, contrairement au président de la République, doivent faire leur déclaration devant l’Ofnac. L’autre préoccupation porte sur l’efficacité même de la déclaration par le chef de l’Etat. Un interlocuteur renvoie au procès de Karim Wade comme pour montrer que les détenteurs de deniers publics disposent suffisamment de moyens pour faire passer des pans entiers de leur patrimoine entre les mailles. Le modus operandi étant de déclarer une quantité raisonnable de biens. Au moment où une bonne partie est entre les mains de prête-noms. La question des conjoints et des enfants est aussi soulevée. Au-delà du président, qu’en est-il des biens du conjoint et de leur descendance ? Autant de questions qui imposent, selon notre interlocuteur, des réformes beaucoup plus approfondies, si les autorités souhaitent vraiment jouer la carte de la transparence. 

C’est au Conseil constitutionnel de rendre publique la déclaration

Le ton était pourtant donné dans la loi 2014-17 précitée. Le législateur, dans l’exposé des motifs, énonçait que le mécanisme de la déclaration de patrimoine ‘’vise, d'une part, à prévenir tout risque d'enrichissement illicite de titulaires de hautes fonctions et, d'autre part, à satisfaire au besoin légitime d'information des citoyens sur la situation et le comportement des dirigeants publics, dans un contexte de transparence’’.

Elu pour la première fois président de la République du Sénégal en 2012, Macky Sall avait bien déposé son patrimoine devant le Conseil constitutionnel. Réélu, il est soumis au même exercice fatidique. Il s’agira certainement de dire au peuple sénégalais qu’est-ce qui s’est ajouté dans son patrimoine déclaré en 2012. Laquelle déclaration avait fait l’objet d’une vive polémique. Dans un article paru dans ‘’Jeune Afrique’’ en mai 2012, il est indiqué que le ‘’Journal officiel’’ renseignait que le successeur de Wade avait, entre autres biens, une villa de 699 mètres carrés d’une valeur de 350 millions de F Cfa (533 000 euros) et un terrain de plus de 2 000 mètres carrés (200 millions de F Cfa, soit 304 000 euros) dans un quartier chic de Dakar. Il était également propriétaire d’un appartement de 300 mètres carrés à Houston, aux États-Unis, évalué à 220 000 dollars (169 000 euros) et qui ferait l’objet d’un remboursement bancaire en cours jusqu’en 2017. D’autres villas et terrains au Sénégal, ainsi que des parts dans deux sociétés immobilières et de consultants figurent sur la liste. ‘’Celles-ci s’ajoutent à un parc automobile de 35 véhicules ‘’servant essentiellement aux activités politiques de son parti…‘’, informait le journal.

A l’époque, cela avait suscité une vive controverse en ce qui concerne la valeur de tous les biens du président. D’aucuns parlaient de 8 milliards de F Cfa. D’autres de 1,3 milliard. Par rapport aux comptes bancaires, c’était presque l’omerta. Beaucoup plus tard, en 2015, ‘’Libération’’ publiait in extenso la déclaration. On y apprenait que Macky Sall avait aussi révélait les biens immobiliers de son épouse Marième Faye. ‘’Mon épouse, Madame Marième Faye Sall, est propriétaire de deux villas R+1 : une à Sacré-Cœur 3 servant de siège à l’Alliance pour la République (Apr), d’une valeur estimée à 80 millions, et l’autre à Comico III, d’une valeur estimée à 90 millions.’’ 

Dans une contribution publiée hier sur ‘’Seneweb’’, le constitutionnaliste estime, lui, que le chef de l’Etat doit procéder à la déclaration ‘’aussitôt sa prestation de serment’’. ‘’… La déclaration de patrimoine doit se faire sans délai, ni excuse. Les retards accusés, à cet effet, constituent une violation manifeste de la Constitution’’, informe-t-il. Il regrette cependant le fait que la loi n’ait pas prévu une déclaration à la fin du ou des mandats du président de la République. En droit comparé, fait-il savoir, ‘’même en cours de mandat, la variation du patrimoine présidentiel impose au concerné de faire une déclaration modificative, voire complémentaire auprès du juge constitutionnel’’. Il en veut pour exemple le Niger où, rapporte le spécialiste, ‘’l’actuel président Mahamadou Issoufou a eu à faire une déclaration complémentaire en raison de la variation de son patrimoine en cours de mandat’’. Le professeur demande enfin que la disposition constitutionnelle soit réformée et donne un pouvoir de contrôle et de vérification au Conseil constitutionnel.    

MOR AMAR

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