Publié le 17 Oct 2016 - 23:15
DEFICIT DE RESSOURCES HUMAINES, ABSENCE D’APPAREILS ET DE MOYENS, MATERIELS VETUSTES…

Le grand dénuement de l’hôpital régional de Kolda

 

Le déficit de ressources humaines et le manque d’appareils et de matériels constituent un véritable casse-tête pour les blouses blanches du centre hospitalier régional de Kolda. Les spécialistes de la santé et les populations du Fouladou demandent à l’Etat de leur venir en aide, afin que l’hôpital puisse « guérir » ses maux et satisfaire la demande sociale.

Reportage

En cette matinée ensoleillée, nous franchissons le portail du centre hospitalier régional de la capitale du Fouladou. A l’entrée, un vigile canalise le flux continu de patients et de visiteurs. Quelques malades, en majorité accompagnés de parents, s’identifient au poste de triage. Ibrahima Thiam, chef du service hygiène et sécurité de l’hôpital explique : « Au niveau de la porte, nous faisons des fouilles systématiques pour éviter l’introduction de certains articles qui sont prohibés au sein de l’hôpital. Par exemple, les moustiquaires qui peuvent être source d’infection, des oreillers, des draps, des fourneaux à gaz ou à charbon. Tout ça entre dans le cadre de la sécurité ».

Ici, malgré, la confection des badges mis à la disposition des populations pour identifier les accompagnants et les visiteurs, la question de l’envahissement des locaux de l’hôpital se pose avec acuité. « Nous sommes confrontés à un envahissement de patients et d’accompagnants. Ça pose un problème d’insécurité. Parfois, les accompagnants sont stressés, surtout quand il s’agit des hommes. Ils peuvent agresser les sages-femmes. C’est pourquoi nous avons pris une mesure qui consiste à identifier ceux qui doivent rester auprès du malade », précise toujours Ibrahima Thiam dont le service souffre d’un manque d’effectifs, de chariots et de brancards.

A l’intérieur, loin du chaos qui règne dehors, c’est le calme. Le sol est bien nettoyé et les fleurs bien taillées. Par contre, la voirie est constituée de nids de poules remplis de flaques d’eau qui accueillent des colonies de moustiques. Conscient de tous ces dangers, le directeur de l’hôpital régional de Kolda, Martial Koly Bopp, rassure que les solutions sont en train d’être trouvées. « Nous sommes en train de trouver des solutions pour pouvoir résoudre le problème. Parce que nous voulons que les malades soient évacués dans de très bonnes conditions au sein de l’hôpital », soutient-il.

Pour rendre le centre hospitalier régional attrayant, plusieurs activités sont menées au quotidien. Il s’agit du nettoyage, de la gestion des déchets biomédicaux, de la lutte contre les insectes et des infections nosocomiales et de la formation des techniciens de surface axée sur l’hygiène hospitalière. « Chaque jour, les femmes de ménage qui sont toujours là font le nettoyage. Elles désinfectent les lieux », assure Ibrahima Thiam. Qui note des insuffisances du point de vue du matériel et des produits phytosanitaires. ‘’Nous faisons le maximum que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons. L’hôpital n’a pas de moyens financiers.’’

Le bloc opératoire manque de matériels et d’effectifs

Au sein de l’hôpital régional de Kolda, parmi les services les plus éprouvés, il y a le bloc opératoire. D’ailleurs, les techniciens supérieurs en anesthésie et réanimation crient leur ras-le-bol. Ils manquent de matériels médicaux et d’effectifs alors que les patients ne cessent d’affluer. « Le bloc opératoire enregistre parfois 60 à 70 patients par mois. Et par semaine, il peut enregistrer entre 08 et 10 patients. Le bloc opératoire dispose d’une salle où l’opération se fait. Après cette étape, le malade est transféré dans une autre salle appelée salle de réveil qui ne compte que trois lits. Comme son nom l’indique, c’est à ce niveau que le malade est assisté par les docteurs pour son réveil complet. Ensuite, il est acheminé vers la structure d’accueil », explique Nfally Mané, technicien supérieur en anesthésie et réanimation au service du bloc opératoire.

Toutefois, les difficultés ne manquent pas. Le service manque de matériels de travail, notamment « d’un respirateur qui est un appareil utilisé lorsque les techniciens endorment un malade. Cet appareil permet au patient de bien respirer jusqu’à la fin de l’intervention. Quand on anesthésie un malade, on est obligé de l’assister. Donc, en l’assistant, on est obligé de l’adapter au respirateur qui a des paramètres préréglés par rapport au poids du malade et qui l’aide à respirer jusqu’à la fin de l’intervention », renseigne M. Mané.

 

Le casse-tête des évacuations tardives

Les évacuations tardives sont un autre casse-tête chinois pour les travailleurs de l’hôpital. « Vous avez touché la plaie du doigt », s’exclame Mané dès que le sujet est abordé. « Vraiment ! Les évacuations tardives compliquent notre tâche. Par exemple, s’il s’agit d’Aunimatum Rétro Plasintum. On n’est souvent confronté à un problème de saignement. Le malade saigne à la maison de telle sorte que, quand il nous parvient, il vient avec un taux de globules trop bas. Donc, un tel malade nous complique notre travail. Ce malade risque d’être confronté également à d’autres problèmes liés au sang. Parce que parfois l’hôpital est confronté à un manque de sang. »

Fort de ce constat, le technicien supérieur en anesthésie et réanimation exhorte les populations à amener leurs malades très tôt à l’hôpital. « C’est notre cri du cœur. Parce que quand les populations nous donnent très tôt leurs malades, la prise en charge est correcte et nous également, nous sommes satisfaits. L’hôpital de Kolda est toujours confronté à une rupture de sang. Face à ce manque, nous sommes obligés de demander aux accompagnants du malade de donner du sang. Des fois, on ne parvient pas avoir satisfaction. Parce que parfois, les accompagnants refusent de donner leur sang, en nous disant qu’ils n’ont pas de sang à donner », regrette-t-il. A la question de savoir ce que font les techniciens de la santé pour convaincre les récalcitrants, Nfally Mané répond : « Dans ces cas, on essaie de les convaincre. Aussi, faisons-nous appel aux services sociaux pour qu’ils nous indiquent les donneurs potentiels. »

 

‘’Il arrive d’opérer et que l’électricité coupe »

En cette période d’hivernage, les coupures d’électricité sont récurrentes et l’hôpital régional est aussi confronté à un problème d’électrogène qui tombe toujours en panne. « Voilà presque un à deux mois que les techniciens supérieurs en anesthésie et réanimation n’ont pas installé de malades en programme préréglé. Parce que le malade peut quitter chez lui en bon état, il entre au bloc opératoire et pour un petit problème de coupure d’électricité, il y a une catastrophe. C’est pourquoi, nous avons jugé nécessaire de ne prendre que les cas urgents. Même avec les cas urgents, il arrive d’opérer et que l’électricité coupe », confirme Mamadou Bayo Sy, technicien supérieur en anesthésie et réanimation dudit hôpital.

Selon lui, en cas de coupure d’électricité, ils utilisent des lampes torches pour terminer les interventions. « Nous courons de gauche à droit pour appeler les agents de la Senelec afin qu’ils remettent l’électricité, le temps de finir l’intervention. Ce qui est très risqué pour le malade », affirme-t-il. A l’en croire, la Senelec avait promis d’avertir l’administration de l’hôpital avant de procéder au délestage. Mais jusqu’ici, cette promesse n’a été respectée. « Jusqu’à présent, les agents de la Senelec continuent de nous couper le courant sans nous avertir. Parce qu’à chaque fois, il nous arrive d’installer un malade et qu’en pleine intervention, le courant coupe. Nous sommes obligés d’appeler le directeur qui va à son tour appeler la Senelec afin qu’elle remette le courant », se désole Dr Sy.

‘’Le matériel médical est vétuste’’

A ces problèmes viennent s’agréger d’autres au niveau de la réanimation. « Nous avons un problème d’effectif. Pour le moment, on est que trois techniciens dans le bloc pour neuf chirurgiens : gynécologie, oreille, orthopédie, la chirurgie générale et pédiatrie. Nous sommes obligés de faire fonctionner le service 24h/24. Ce qui rend difficile notre tâche », souligne-t-il, avant d’ajouter que « si l’Etat pouvait aussi les aider à avoir un médecin réanimateur qui manque dans la zone, cela permettrait une meilleure prise en charge des patients ».

Le responsable du bloc opératoire, Dr Emmanuel Kazub Wengué, pointe lui la vétusté du matériel médical mis à leur disposition. « Le minimum de matériel pour travailler, ce sont des matériels qui datent de la création de l’hôpital. Donc, ce matériel commence à être usé et vieux. Mais aussi, nous n’avons pas tout ce dont nous avons besoin », souligne le chirurgien. Avant d’ajouter qu’il y a « sept chirurgiens ». Là, il souligne que des efforts ont été consentis par l’administration, avec cette augmentation du nombre de chirurgiens. En attendant la résolution des difficultés, les techniciens supérieurs en anesthésie et réanimation de l’hôpital régional de Kolda prennent leur mal en patience.

Insuffisance du personnel paramédical

Après le service du bloc opératoire et de la médecine générale, cap sur celui de la pédiatrie. Ici, chaque jour, les médecins et infirmiers du service reçoivent énormément de patients. Il leur faut une attention particulière, car la moindre seconde d’inattention conduit parfois au drame : doigt coupé, objet avalé, membre fracturé après une chute etc. Ici, les jeunes patients souffrent de paludisme, d’infections respiratoires, de  malnutrition aigüe et sévère, d’infections néonatales chez les nouveau-nés et d’affections rénales.

Chaque jour, le service de la pédiatrie de l’hôpital régional de Kolda peut accueillir 20 à 40 patients au minimum pour 30 lits disponibles. « Il y a une insuffisance du personnel paramédical, c’est-à-dire des infirmiers et des assistantes. Je suis le seul pédiatre de l’hôpital. Actuellement, il y a deux stagiaires. Le plateau technique reste à améliorer. Nous n’avons pas actuellement de couveuses pour mettre les prématurés, c’est-à-dire, les faibles poids de naissance. Nous n’avons pas de lampes chauffantes, dans le cadre de la prise en charge de nouveau-nés qui, parfois, ont besoin d’être réchauffés. Nous n’avons pas de salles néonatales. C’est une petite cabine que nous utilisons pour la prise en charge de ces nouveau-nés »,  déplore Daouda Djiba, docteur en médecine et spécialiste en pédiatrie.

Le médecin de renseigner que « certaines affections rénales qui ont besoin de dialyse, surtout la dialyse péritonéale, on n’en a pas ici. On est obligé d’évacuer les patients à Dakar. On n’a pas assez d’embus pour les ventilations en cas d’arrêt cardiaque ou arrêt cardio-respiratoire ». Pour parer à l’essentiel des problèmes, le spécialiste lance cet appel aux populations : « Nous demandons aux populations de prendre des précautions, de dormir sous moustiquaires imprégnées, de pulvériser les maisons d’insecticides pour éviter les piqûres de moustiques. En ce qui concerne la prévention de la malnutrition aigüe sévère, l’enfant de six mois a besoin de la bouillie, de la viande, du poisson, du lait, du yaourt, des œufs entre autres, qui lui permettent de prévenir la survenue de la malnutrition aigüe ». En cette période de la saison des pluies, les malades ne cessent d’affluer.

L’accueil fait défaut à l’hôpital

Comme nombre de structures de santé dans le pays, celle de Kolda a un vrai problème d’accueil des malades. « Les blouses blanches de l’hôpital régional ne nous respectent pas. Regardez, depuis plus d’une heure, ils nous font attendre. Ils ne nous regardent même pas. Regardez, certains parmi eux sont dans cette salle en train de regarder la télévision. Ce n’est pas normal », martèle Boubacar Baldé, un accompagnant trouvé dans le hall de la médecine générale. A côté de lui, son oncle se torde de douleurs. A la question de savoir de quoi il souffre, il répond : « Je ne suis pas médecin. Les personnes qui sont habilitées à nous dire de quoi notre oncle souffre ne nous regardent même pas », fulmine-t-il.

Cette complainte à la médecine générale est la même au bloc opératoire, à la maternité et au service de la pédiatrie. Patients et accompagnants déplorent le manque de considération. Une situation que certains spécialistes de la santé dudit l’hôpital ne réfutent pas.  « L’accueil est un réel problème qui est là. Il ne faut pas s’en cacher. Maintenant, les gens sont en train de faire un énorme travail pour essayer d’améliorer cela », soutient Papa Malick Sarr, gynécologue à l’hôpital régional de Kolda. Toutefois, il tempère pour dire qu’il y a « aussi un problème de comportement des patients ».

Le combat du directeur

Ainsi, pour mettre les usagers au cœur des services offerts par le système de santé, l’administration a organisé, le 30 juillet dernier, une rencontre de validation de son plan de communication. A en croire Dr Martial Koli Bopp, l’hôpital régional a véritablement besoin d’un tel outil de communication pour « renforcer la paix au sein de l’établissement. Mais aussi pour utiliser et informer sur un certain nombre d’outils et innovations, comme l’informatisation du système d’information, la comptabilité analytique, le règlement intérieur, le manuel de procédures…. ». « Ce plan de communication, ajoute-t-il, s’inscrit dans la dynamique de renforcement de la transparence dans la gestion et la gouvernance de l’hôpital en vue de le rendre plus performant dans ce contexte de gestion axée sur les résultats ». Pour y arriver, les partenaires techniques et financiers et les collectivités locales sont appelés à jouer pleinement leur partition afin de permettre à ce plan d’atteindre les résultats escomptés.

Spécialiste en Management des Organisations de santé, Dr Martial Koli Bopp a réussi d’une main de maître à sortir l’établissement de son marasme. Aujourd’hui, la plupart des populations s’accordent à dire que le directeur de l’hôpital de Kolda, c’est le « consensus et la transparence personnifiés ». Pendant longtemps, l’établissement s’est retrouvé dans une zone de turbulences indescriptibles. Il commence à sortir le nez hors de l’eau. Toutefois, et au grand dam des populations, Dr Martial Koli Bopp est nommé Directeur du centre hospitalier régional de Ziguinchor, d’après le communiqué du Conseil des ministres du mercredi 14 septembre dernier. Il est remplacé à ce poste par Monsieur Cheikh Mbaye Seck, titulaire d’un Master professionnel en Science de gestion, précédemment Directeur de l’Etablissement public de santé de niveau 1 de Sédhiou.

Quelques chiffres

D’après Théodore Senghor, chef du service des soins infirmiers,  le centre hospitalier régional de Kolda (CHRK) a enregistré 800 accouchements en 2015, 324 césariennes et 20 accouchements à domicile. Contrairement à 2014 où l’hôpital a enregistré 674 accouchements, 295 césariennes et 13 accouchements à domicile. « Actuellement, au niveau de l’hôpital de Kolda, il y a huit (8) sages-femmes qui s’occupent des accouchements et de l’hospitalisation au niveau du service de la gynécologie, cinq (5) matrones et une assistante infirmière qui est au niveau de la maternité. » Le rapport des activités de 2014, poursuit-il, renseigne que le service des urgences a reçu 5 121 malades. En 2015, il y a eu 7 736 malades reçus aux urgences. Tous les services réunis ont totalisé 31 592 malades consultés en 2015. Un chiffre supérieur aux 26 216 consultations faites en 2014.

EMMANUEL BOUBA YANGA 

 

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