Publié le 24 Mar 2015 - 12:54
DELIBERE

CREI Le jour le plus long

 

Karim et compagnie sont finalement fixés sur leur sort. Le fils de l’ancien président de la République prend 6 ans pour enrichissement illicite. Il est relaxé du délit de corruption. Trois de ses coïnculpés ont connu des infortunes diverses. Quant à Mbaye Ndiaye et Pierre Agbobga, ils voient le bout du tunnel. Plus un blackout total d’Henri Grégoire Diop sur l’article 34.

 

‘‘Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront noir ou blanc’’, moralisait le fabuliste Jean de la Fontaine. Le verdict de la Crei a noirci l’avenir politique naissant de Karim Wade, ainsi que celui de ses coaccusés. Porté au pinacle, samedi passé, par le Pds, il a été cloué au pilori par la Crei, hier. Le candidat investi des libéraux va passer les 6 prochaines années en prison, ‘‘atteint et convaincu d’enrichissement illicite’’, compte non tenu de la détention déjà effectuée. La sentence de Henri Grégoire Diop a été moins corsée que le réquisitoire du parquet spécial, mais reste lourde néanmoins. Les 250 milliards d’amende du procureur spécial tombent à 138 milliards 239 millions ; plus 10 milliards à payer solidairement avec tous ses coïnculpés ; ainsi que la confiscation de tous les biens présents.

Les autres ne sont pas moins nantis, puisque Ibrahim Aboukhalil dit Bibo, Mamadou Pouye dit Pape, et Alioune Samba Diassé, ‘‘atteints et convaincus d’enrichissement illicite’’, prennent 5 ans avec des sanctions pécuniaires différentes. Si Bibo connaît une amende similaire à Karim, Pouye doit payer 69 milliards 119 millions, et Diassé 69 milliards 119 millions. Les prévenus en cabale, Karim Aboukhalil, Mamadou Aïdara dit Vieux, Mballo Thiam et Evelyne Riout-Delattre, dont le verdict a été prononcé par défaut à leur endroit, prennent 10 ans et une sanction de 138 milliards chacun. Les deux grands gagnants sont l’ancien directeur général des Aéroports du Sénégal (Ads) Mbaye Ndiaye et l’ex-numéro 2 d’Air Afrique, Pierre Goudjo Agbogba, pour lesquels ‘‘la Cour estime que les faits qui leur sont reprochés ne sont pas établis’’, dixit Henri Grégoire Diop.

Hier, l’attente a été longue, avant l’arrivée de la cour à 10 heures pétantes. Dans une salle 4 acquise à la cause de Karim Wade, les hourras ont ponctué l’arrivée de chaque responsable du Parti démocratique sénégalais. La palme à Wade-père bien sûr ! Trois quarts d’heure avant la venue de Henri Grégoire, l’ancien chef de l’Etat est apparu, sombrement vêtu d’un sabador et d’une écharpe noire assortie d’une chéchia de velours, sous les acclamations de ses supporters. ‘‘Gorgui mo défar Sénégal’’,  ‘‘Dieuredieufé Serigne Touba’’ ‘‘Ohé Ohé Bour Yalla gnou ngi lay niaane Karim dieul ndam li’’, et son fameux hymne de la renaissance ont été entonnés en chœur par des militants libéraux sous les clics des appareils photos de certains avocats.

Chaleureuses poignées de mains par-ci, accolades à Bibo par-là, le pape du Sopi s’est assis sur l’un des sièges matelassés derrière le box des avocats, entre Amadou Tidiane Wone et Mamadou Diop Decroix. Puis, le calme est revenu après cette surchauffe éphémère. L’ambiance devenant de plus en plus lourde, le calme dans la salle n’était rompu que par les chuchotements dans l’assistance. Une situation que le président de la cour a tenu à mettre au point, dès le début de l’audience : ‘‘Pas de signe d’approbation ou d’improbation. Celui qui perturbe l’audience, faites le sortir !’’ a martelé Henri Grégoire Diop, en s’asseyant sur son fauteuil.

De 117 à 69 milliards

Des éléments cruciaux de l’accusation contre Karim Wade ont été rognés avant que ne tombe le couperet. En plus d’être relaxé du chef d’inculpation de corruption, le fils de l’ancien président et ses coaccusés ont vu le montant total de l’enrichissement illicite fondre comme beurre au soleil. De 117 milliards dans l’arrêt de renvoi, il est finalement passé à 69 milliards 149 millions. Les 47 milliards du compte de Singapour ont été défalqués des montants de l’accusation. Un véritable camouflet pour l’expert financier Alboury Ndao.

‘‘Ces informations n’ont pu être confirmées. Il n’y a aucune preuve. Aucune réponse ne nous est parvenue des autorités de ce pays. Donc, il y a lieu de ne pas retenir les sommes comme faisant partie de l’enrichissement illicite’’, a justifié Henri Grégoire Diop. Autre cas, autre baisse, puisque les 90 milliards du compte de Monaco ont été corrigés drastiquement passant à 10 milliards. Des révisions qui font dire à l’avocat du prévenu, Me Ciré Clédor Ly, que cette affaire a ‘‘accouché d’une misérable petite souris’’.

En tout cas, dans un monologue qui a duré plus de deux tours d’horloge, le président de la cour n’a pas fait que rendre le verdict. Les 17 exceptions de nullité soulevées par la défense ont été rejetées par le juge, à l’entame de la séance. A part le sursis à statuer, pour lequel existe un pourvoi en cassation, toutes les autres n’ont connu aucune suite favorable à la défense. Ainsi, les minces voies de recours de la défense, comme les violations du droit à un procès équitable, la constitutionnalité de la Crei, l’absence de mise en demeure aux complices,  les sorties du territoire, la désignation des experts et administrateurs provisoires des sociétés incriminées, la nomination d’Antoine Diome comme substitut etc., ont été déclarées non fondés.

Motivations

‘‘La Cour de céans ne peut pas se satisfaire de ces explications’’. Cette rengaine a été servie par le juge après l’énumération de chaque cas frauduleux dans ce procès d’enrichissement illicite. Pour Henri Grégoire Diop, le principal prévenu n’a pas été en mesure de justifier l’origine licite de ses biens. La somme majorée de ses revenus légaux, pendant son exercice d’agent public de l’Etat, entre 2002 et 2012, aurait dû être de 504 millions de F Cfa. A commencer par le versement cumulé de 910 millions 230 mille F dans des comptes à la SGBS et à CBAO, entre 2008 et 2012. Le milliard à la banque Julius Baer de Monaco qui aurait été versé par Wade-père, don d’un dirigeant arabe, n’a pas été justifié non plus.

‘‘Un président de la République n’a pas à verser de l’argent dans le compte de son fils, mais celui du Trésor public. De toute façon, ça ne permet pas de justifier la licéité des biens’’, a lancé le président de la cour. Les cartes grises d’une demi-douzaine de voitures de luxe, un autre compte de 48 millions de francs en France, une assurance-vie au Luxembourg de 421 millions de Fcfa, appartement de la Faisanderie à Paris à 245 millions, un immeuble à la Sicap de 291 millions… les avoirs non justifiés de Karim ‘‘s’élèvent à 4 milliards 34 millions 305 mille 119 francs Cfa’’, souligne le juge.

Mais, c’est certainement les preuves testimoniales qui auront servi à étayer les accusations. ‘‘Tout le long du procès, la notaire Patricia Lake Diop, parent par alliance du prévenu, a constamment soutenu que c’est Karim Wade qui lui a demandé de créer les sociétés Istar, Terravision, Sénégal distribution, Ahs Sa, sans qu’aucune contradiction ne lui soit portée’’, a déclaré le juge. La constitution et la tenue de cette société de handling, ainsi que les revenus de ses 18 stations, à travers le monde, planqués dans les paradis fiscaux (Iles Vierges Britanniques, Panama) n’ont pas fait l’objet d’une justification claire, selon Henri Grégoire Diop.

En ce qui concerne ABS, le juge trouve ‘‘bizarre qu’une société, née quinze jours avant, obtienne le marché de transport des passagers de l’aéronef vers l’aérogare’’. Black Pearl finance a par ailleurs obtenu ‘‘des mandats publics et a été grassement payé à ne rien faire’’. Quant à la société Daport, elle n’a fourni aucune prestation, alors qu’elle a perçu 2 milliards 500 millions. Fort de cela, ‘‘Karim Wade, en tant qu’agent public, s’est servi des sociétés précitées pour se retrouver avec un patrimoine qui n’a rien à voir avec ses revenus légaux’’, en a déduit le juge. Une intime conviction qui lui a fait prendre la décision de mettre à l’ombre Karim, Ibrahim Aboukhalil, Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé.

Ousmane Laye Diop

 

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