Publié le 14 Dec 2018 - 20:54
DELIBERE RENVOYE AU 27 DECEMBRE

Ngaka Blindé et son acolytes libérés, l’Etat leur réclame 50 millions

 

Après 361 jours passés en prison pour faux monnayage, le rappeur Ngaka Blindé né Baba Ndiaye et son ami Khadim Thiam ont recouvré la liberté, hier. Le tribunal correctionnel de Dakar leur a accordé la liberté provisoire, en attendant de rendre sa décision le 27 décembre prochain. L’Etat réclame 50 millions de francs Cfa aux prévenus.

 

‘’Enfin !’’ C'est par ce cri accompagné d'une salve d'applaudissements que les proches de Ngaka Blindé ont accueilli, hier, la libération de l’artiste. Le rappeur et son ami Khadim Thiam ont bénéficié de la liberté provisoire, à l'issue de leur procès devant le tribunal correctionnel de Dakar. Toutefois, ils devront se présenter à la barre, le 27 décembre prochain, date à laquelle le tribunal les édifiera sur leur sort. Le parquet n’a pas requis de peine contre eux, mais l’agent judiciaire de l’Etat leur réclame la somme de 50 millions de francs Cfa.    

Poursuivi pour complicité de contrefaçon, falsification et altération de signes monétaires, le jeune artiste a été arrêté par la police des Parcelles-Assainies, à l’aube du 19 décembre 2017. Il était en compagnie de trois individus et était en possession de la somme de 5 730 000 F Cfa en faux billets dans une enveloppe. Un autre montant de 630 000 F Cfa a été découvert, lors de la perquisition effectuée chez son co-prévenu. Les deux comparses ont, ainsi, été écroués en même temps que les nommés Talla Guèye, Awa Ndiaye et Cheikh Sarr qui ont finalement bénéficié d’un non-lieu. Renvoyés devant la chambre criminelle, le juge s’était déclaré incompétent, suite au réquisitoire du parquet. Ainsi, le parquet a renvoyé l’affaire en police correctionnelle.

Hier, à la barre, Ngaka Blindé et Khadim Thiam ont maintenu la ligne de défense adoptée depuis l'enquête et l'instruction. Ils ont encore soutenu que les faux billets étaient destinés à embellir un clip. Encore que, selon Khadim Thiam, les billets ne sont pas de ‘’vrais faux’’. ‘’Comme il voulait une simulation pour un clip, il m’a sollicité parce que je dispose d’une imprimante. Ainsi, j’ai imprimé un billet à partir de Google. J’en ai fait plusieurs photocopies en couleur sur des feuilles blanches’’, s’est défendu l’étudiant en Master de sciences économiques. Cependant, il a expliqué que les billets ne peuvent pas être commercialisés, car ils comportent un seul numéro. ‘’Ma grand-mère qui vend du ‘thiaff’ (cacahuètes) dans un coin de la rue, ne pourrait pas différencier les billets des authentiques’’, fait remarquer l’Aje Cheikhouna Hanne. ‘’Si, elle le pourra, parce que les billets sont imprimés sur des feuilles blanches’’, a rétorqué le sérigraphe. Qui justifie les 630 000 F trouvés chez lui par l’oubli. ‘’J’avais commencé le découpage. Lorsque Ngaka m’a fait savoir que la date avait été reportée, j’ai découpé d’autres faux billets, oubliant les premiers’’, a avancé Khadim.

Entendu à son tour, Ngaka Blindé a précisé que le tournage était prévu le 6 décembre, puis a été repoussé au 19, parce que la caméra dont dispose le réalisateur n’était pas très sophistiquée. Il a indiqué que le tournage devait être effectué à Saly et que des mannequins et des artistes comme Sanex devaient y figurer ainsi que la mère d’Awa Ndiaye. Le regroupement était prévu à la cité Mixta où le chanteur avait donné rendez-vous à tous les participants. Malheureusement, c’est en s’y rendant qu’il a été appréhendé à hauteur de la Brioche Dorée de Diamalaye. ‘’Je ne pensais pas que c'était une infraction, car j'ai posé l'enveloppe contenant les faux billets sur le tableau de bord. Je rassurais même ma mère, en lui disant que nous allions être libérés’’, a déclaré le rappeur qui trouve curieux que les policiers se soient dirigés vers l’enveloppe. ‘’L'enveloppe était fermée. Ce qui m'intrigue, c’est comment ils ont su son contenu’’, a-t-il lancé d’un air dépité.

A l’Aje qui lui a demandé pourquoi il n’a pas saisi les autorités pour les besoins du tournage, Ngaka a rétorqué : ‘’J'ignore qu’il me fallait une autorisation, car j’ai fait 10 vidéos dans les mêmes circonstances, sauf une fois où je devais tourner à un rond-point, car les policiers voulaient interrompre le tournage.’’

M. Hanne de revenir à la charge en lui demandant est-ce qu’il avait besoin d’autant d'argent pour le clip, alors qu’il suffisait juste de faire un montage. ‘’J'ignorais le montant’’, a répliqué le prévenu.

Quoi qu’il en soit, l’Aje considère que l’on cherche à banaliser cette affaire. ‘’Il y a un danger qui guette le Sénégal, car on prend à la légère des infractions qui ont conséquence sur l'économie’’, a-t-il fulminé. Et d’ajouter : ‘’Si vous voulez anéantir un pays, il faut développer le faux monnayage. Car aucune entreprise ne viendra au Sénégal et il entraîne une inflation, sans compter qu’il existe des liens avec les réseaux de criminalité organisée.’’

Revenant sur les faits, M. Hanne a soutenu que dans cette affaire, le délit est constitué et que le législateur n'a pas cherché l'intention. Mais, a-t-il argué, ‘’le simple fait d'imprimer ou de photocopier est un délit’’.

‘’Est-ce que la photocopie est une allitération ?‘’, s’est interrogée Me Anta Mbaye Kane. Pour elle, Ngaka Blindé ne peut pas être condamné pour complicité, parce qu’il n’y a pas d’auteur principal, dès lors que les faits n’existent pas. Apportant la réplique à l’Aje, Me Aboubacry Barro a martelé à son endroit : ‘’C'est vous qui sombrez l'État avec les poursuites sélectives.’’ ‘’Où est Thione Seck ?’’, a-t-il tonné, suscitant une vague d’acquiescements dans le public composé surtout d’artistes venus en masse soutenir les prévenus. A son avis, les prévenus devaient être félicités et non poursuivis. Me Djiby Diallo estime que, si tant est que le maitre des poursuites veut poursuivre, il devrait commencer par Google, mais également tous ceux qui ont des porte-clés en faux billets. ‘’Les ennemis de l'économie, ce sont ceux qui envoient leurs artistes en prison’’, a-t-il soutenu à l’endroit de l’Aje.

 Soulignant que leurs clients ont fait preuve de créativité avec une ‘’imitation parfaite’’, Me Diallo a déclaré que le droit doit être au service de la créativité. C’est pourquoi il a plaidé la relaxe pure et simple. Surtout que, de l’avis de Me Moustapha Dieng, les 361 jours que leurs clients ont passés en prison, c’est trop. ‘’Libérons-les. Le pays va certes mal, mais les auteurs de ce malaise ne sont pas dans cette salle’’, a-t-il conclu.

Un message entendu par le tribunal qui, après avoir mis l’affaire en délibéré le 27 décembre prochain, a accordé la liberté provisoire à Ngaka Blindé et à Khadim Thiam.

FATOU SY

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