Publié le 24 Jan 2015 - 01:33
DEMISSION YAYA DIA

Sous le sceau de la bouderie

 

Le procès de Karim Wade a pris un coup d’accélérateur, depuis les événements du mercredi 14 janvier. Alors que les avocats de la défense suspendent leur participation aux débats, un assesseur du juge Henri Grégoire Diop a démissionné hier. Un nouveau rebondissement qui confirme que les poursuites sont à leur tournant le plus décisif.

 

Au rythme où vont les désertions, la salle d’audience numéro 4 du tribunal de Dakar risque de se dégarnir complètement. Un nouvel épisode de ce feuilleton judiciaire vient de se jouer. Du pain béni pour les détracteurs du procès pour enrichissement illicite et corruption portant sur 117 milliards de Fcfa. L’assesseur Yaya Amadou Dia a ‘‘démissionné’’ hier en pleine audience et a été suppléé derechef par Tahirou Ka. Le juge qui occupait le premier des cinq sièges à partir de la droite du président Henri Grégoire Diop a été piqué au vif par le rappel à l’ordre de ce dernier.

Tout est parti de la confrontation entre le prévenu Pape Mamadou Pouye et le témoin Ely Manel Diop. Après des réponses accablantes du dernier nommé, l’assesseur Dia formula cette question à l’intention du prévenu Mamadou Pouye : ‘‘Vous êtes promoteur de Ahs. Vous avez dit que c’est votre bébé à votre audition du 31juillet, que les 10 %, c’est votre apport en industrie…’’. On ne saura jamais où il en voulait venir, puisque l’immixtion du juge Henri Grégoire Diop l’a coupé net.

‘‘Vous devez poser des questions concernant la constitution de la société. On parle de la constitution de la société, pas de l’augmentation de capital’’, déclara-t-il. Piqué au vif, l’assesseur rouspéta quelque chose d’inaudible. Puis  ralluma son micro et annonça de manière fracassante son abandon. ‘‘Puisque c’est comme ça, je démissionne. Et ce, de façon définitive’’, dit-il, provoquant étonnement, incompréhension, commentaires, et une suspension de séance d’une dizaine de minutes. Le temps que Tahirou Ka prenne sa place, devant un public toujours médusé. L’incident fut clos, sans autre forme de procès.

Me El Hadji Diouf fait bouder Mamadou Pouye

Dans la configuration actuelle du procès Karim Wade, ceux qui pensaient que la partie civile allait avoir de la compassion pour des prévenus sans défense n’ont qu’à déchanter. Me Yérim Thiam et compagnie n’ont cédé aucun pouce de terrain aux prévenus et avocats de circonstance, Alioune Samba Diassé et Pape Mamadou Pouye. Ces défenseurs néophytes en matière correctionnelle se sont fait recadrer sur les modalités du métier, à chaque intervention, par la partie civile. En effet, Pape Mamadou Pouye s’est présenté à la barre et a voulu lire un dossier d’accusation. La partie civile a posé son veto. ‘‘Un prévenu n’a pas à sa disposition le procès-verbal d’audience. Il peut poser des questions, car ses avocats ne se sont pas déportés’’, l’a recadré Me Yérim Thiam. L’avocat lui a ensuite demandé de communiquer les documents au président.

Fidèle à lui-même, Me El Hadji Diouf qui s’est également opposé à la lecture du dossier, est allé s’asseoir dans le box réservé d’habitude aux avocats de la défense. Mamadou Pouye demanda alors au président de la cour de faire quitter Me Diouf. ‘‘C’est la place des avocats’’, lui a répondu Henri Grégoire Diop. Devant cette ‘’provocation’’, le prévenu, qui avait commencé à cuisiner Ely Manel Diop, a préféré abandonner.

‘‘Si vous ne voulez pas que je pose des questions, je retourne au box. Je renonce à poser des questions’’, a-t-il déclaré en s’arrachant de son siège avec ses documents. Son co-prévenu, Alioune Samba Diassé, dont l’avocat a introduit une demande de renvoi, a également essuyé un refus. ‘‘Il n’y a pas de motif de renvoi. Pour un nouvel avocat, on aurait accepté. Il ne peut demander un renvoi, car il s’est absenté de son propre gré’’, a répondu Henri Grégoire Diop. ‘‘Je suis très surpris de la demande de l’avocat. J’ai demandé une fois, vous avez refusé, je ne réitère pas’’, a alors déclaré le prévenu visiblement pas en accord avec son conseiller.

Mamadou Pouye acculé

Hier, le procès a démarré dans l’après-midi, à cause de la rentrée solennelle des cours et tribunaux. Comme la veille, Ely Manel Diop a chargé ses anciens condisciples Pape Mamadou Pouye et Karim Wade, ainsi qu’Alioune Samba Diassé. En effet, les débats ont porté sur l’identité de la personne qui l’a embauché à la direction générale de Ahs. Ely Manel Diop soutient qu’il a été proposé à la tête de la société par Wade-fils qui lui avait fait miroiter une entreprise suisse pour l’attirer. Une thèse que réfute Mamadou Pouye.

Le coïnculpé de Karim Wade soutient mordicus que c’est lui-même qui l’a présenté à Ibrahim Aboukhalil pour qu’il le nomme à la tête de Ahs. Pour les départager, le substitut du procureur, Antoine Félix Diome, a donné lecture des déclarations de Karim Wade, faites lors de l’instruction du dossier à la cote D92, du 22 novembre 2012. ‘‘J’ai effectivement aidé et recommandé Ely Manel pour un travail au niveau de Ahs, en le recommandant au groupe Bourgi qui développait le projet au Sénégal’’, disait-il. Ensuite, le 9 avril 2014, le fils de l’ancien président avait refusé de répondre, lors d’une nouvelle confrontation, sur les circonstances du recrutement d’Ely Manel Diop.

Hier soir, Pape Mamadou Pouye a nié être ‘‘actionnaire’’ à Ahs, mais ‘‘promoteur du projet’’. Ce qui fait qu’il n’avait aucun pouvoir de nommer un directeur général. Les seules actions qu’il détient sont celles de Menzies Afrique, société-mère des Ahs. A ce titre, il a déclaré n’avoir jamais perçu des dividendes de Ahs Sénégal, mais des dividendes de Ahs Bénin, Ahs Niger, et ADGE. Sur les sommes que lui aurait donné le témoin, entre ‘‘ 2002 et 2007, et qui dépassent la centaine de millions, il s’est répandu en dénégations véhémentes. ‘‘Il ne m’a jamais remis de l’argent. Il a parlé d’une liste de décaissements, mais il ne l’a pas. Plus tard, il a admis la détenir, mais c’est une liste totalement fausse qu’il a fournie’’, s’est défendu Mamadou Pouye.

Alioune Samba Diassé marque un point

L’autre co-prévenu, actionnaire majoritaire de la société Abs, a réussi à mettre le témoin dans les cordes. Ely Manel Diop a déclaré avoir vu, à plusieurs reprises, des documents à en-tête de Airport bus services (Abs), dont le volume l’intriguait, dans les bureaux où siégeaient Mamadou Pouye et Ibrahim Aboukhalil, immeuble ABM. Alioune Samba Diassé a toujours nié connaître Mamadou Pouye, mais travaillait bel et bien avec Ibrahim Aboukhalil. A la question de savoir si c’était des en-têtes de Abs ou Abs Corporate Ltd., deux sociétés partenaires, le témoin a varié dans ses propos. ‘‘Je n’ai jamais cherché à savoir’’, a-t-il déclaré. Invité par le prévenu à identifier de visu l’en-tête à laquelle il faisait référence, Ely Manel Diop s’est rétracté. ‘‘Je ne me souviens pas’’.

Émotion excessive ou santé fragile ? Alioune Samba Diassé a été saisi d’un léger malaise et a dû prendre appui sur son accompagnateur pour continuer son interrogatoire. ‘‘La cour vous dispense de la comparution’’, lui a alors signifié Henri Grégoire Diop. Mais le prévenu a tenu à rester.

Ousmane Laye Diop (stagiaire)

 

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