Publié le 6 Feb 2016 - 01:50

Des pyramides aux sacs

 

30 ans, telle une fusée entre les pyramides des trois empires d’Égypte ! C’est déjà une bonne nouvelle de savoir que Cheikh Anta Diop, brillant scientifique et puissant idéologue, est encore vivant, au moins dans le cœur de quelques vivants de ce pays. Ils sont malheureusement peu nombreux. Voilà donc comment l’Histoire peut être cruelle avec ses enfants !

Et pourtant que n’a-t-il fait pour que l’Afrique retrouve sa fierté perdue ? Cheikh Anta Diop ne s’est pas seulement investi intellectuellement. Physiquement aussi il mouilla le maillot. Comme le vaillant Karl Marx qui couronna son œuvre avec l’énergie de son sang, Cheikh Anta Diop, selon les confidences de ceux qui l’ont connu et fréquenté, partit non pas paisiblement, mais comme un guerrier dans un champ de bataille : les armes à la main et le regard fier.

C’est cet élan, cette fierté, que dis-je cette soif de grandeur qu’on retrouve dans la splendeur des pyramides que Cheikh Anta Diop a voulu figer dans nos cœurs. Quiconque parcourt les musées du Caïre ou de façon initiatique retourne sur les terres arides et chaudes d’Egypte pour y  contempler les pyramides encore solidement assises, comprendra pourquoi Cheikh Anta Diop a passé sa vie à vouloir décrypter le mythe des origines de cette civilisation. Quiconque observe attentivement les momies des pharaons encore merveilleusement gardés, comprendra d’instinct qu’il y a dans ces traits, ces pieds plats et ces visages trop larges pour être descendants d’Hélène, une partie nègre que Cheikh Anta Diop a, à raison, revendiquée. Le jeu en valait bien la chandelle.

Ceux qui pensent aujourd’hui encore que cette posture intellectuelle n’était pas scientifique, qu’elle était trop émotive,  engagée dans le sens d’un combat politique, ne savent pas ce que Science veut dire. C’est un faux procès que d’instruire celui-là. Car la science a toujours été idéologiquement teintée, servant les intérêts d’un groupe, même si le plus grand nombre peut ensuite en profiter. Elle ne nous dit pas toujours pour qui elle travaille. Ou encore, c’est avec le temps qu’elle finit par nous l’avouer.

Cheikh Anta Diop a justement voulu rendre à la jeunesse africaine de son temps sa fierté perdue, par le canal d’une Histoire revisitée et nettoyée de tout racisme. Il faut savoir que Lucien Lévy-Bruhl, un des anthropologues les plus influents de ces 100 dernières années qui théorisa l’infériorité de la race nègre et qui est mort en 1939 à Paris, a partagé une bonne tranche de vie sur terre avec Cheikh Anta né un 29 décembre 1923. 

Ses œuvres en portent les stigmates. Cheikh Anta a vécu cette orientation de la Science, fondée en grande partie sur des préjugés comme un cauchemar. Pire, il s’agit d’un véritable traumatisme qu’il a cherché à conjurer en… se sacrifiant. Mais que lui a-t-on rendu aujourd’hui ? L’Université de Dakar qui porte son nom a du mal à être un foyer d’excellence. Pire, le niveau des étudiants baisse d’année en année au point d’ailleurs qu’un étudiant en année de maîtrise a aujourd’hui le niveau ou presque d’un étudiant de deuxième année des années 80. Et encore ! On ne dira objectivement pas que la graine a germé lorsqu’on voit les modèles auxquels se réfèrent les jeunes d’aujourd’hui, totalement acculturés, perdus dans un monde qui n’est pas le leur. Et sans aucune foi en l’avenir !

L’autre jour, me promenant sur une plage très fréquentée avec mon ‘’caaya’’, je surpris derrière moi des regards amusés et des rires étouffés. Je me suis demandé ce qu’il y avait de ridicule à porter une tenue emblématique de sa culture. La réponse m’a été donnée plus tard par les sacs de Waly que je ne déteste pas non plus. Mais que je trouve tout simplement… ridicules ! Cheikh Anta supporterait-il de vivre notre temps ?

Caaya : pantalon large spécifique à l’espace sénégalo-mauritanien (pantalon bouffant).

 

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