Publié le 14 Sep 2018 - 05:44
DESTINS CROISES DE BAMBA DIOP ET DJIBY SECK

Unis pour la drogue et pour le pire

 

Il y a de ces vies qui se ressemblent à telle enseigne qu’on se demande si c’est le fruit du hasard. C’est le cas de celles de Bamba Diop et Djiby Seck qui, bien que vivant à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, ont eu exactement le même parcours, ruinés par la drogue.

 

Si Bamba Diop et Djiby Seck n’avait pas joué avec le feu, leurs chemins auraient pu ne jamais se croiser. Et chacun aurait pu vivre heureux, en faisant l’économie de certaines expériences douloureuses. Mais la drogue, l’addiction qu’ils ont en commun, les a conduits au chômage, puis en prison, avant qu’ils ne retrouvent la voie de la rédemption. Aujourd’hui, ces deux messieurs sont des médiateurs au Centre de prise en charge intégré des addictions de Dakar (Cpiad) et membre de l’association ‘’Save’’ (santé espoir vivre), qui regroupe les personnes qui consomment les drogues injectables. Pourtant, leur chemin semblait tout tracé pour une réussite sociale.

Bamba, très timide dans sa tenue traditionnelle, a aujourd’hui 55 ans et Djiby trois ans de moins que lui. Tous les deux ont eu leur baccalauréat dans les années 80. Le premier s’est inscrit à l’Université Cheikh Anta Diop, le second est allé en Hexagone poursuivre ses études supérieures. L’an 1986 marque un tournant décisif dans la vie de Bamba Diop. C’est à cette date qu’il a commencé à flirté avec le danger que représente la drogue. Et pourtant, il venait de décrocher son premier poste de travail à la société ‘’Sénégal Equipe’’, alors qu’il était jeune étudiant à la faculté de Droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Une opportunité offerte sur un plateau d’argent par le propriétaire de ladite entreprise, grâce à l’amitié qu’il tissait avec son fils.

Cependant, tous les deux se feront perdre par un mauvais compagnonnage. Bamba touchait du cannabis de temps à autre, par l’intermédiaire d’un de ses amis. ‘’Chaque fois que je passais là-bas, je fumais un joint. Je voyais la drogue tous les jours, surtout l’héroïne. Par curiosité, j’ai commencé à consommer. Quand j’ai goûté, pour la première fois, j’ai eu une sensation terrible que je n’arrive pas à expliquer’’, confie-t-il. Même si Djiby Seck se trouvait en France à des milliers de kilomètres, le scénario était presque le même. ‘’J’allais dans les Ghettos pour chercher du cannabis. Quand vous arrivez dans les ghettos, vous trouvez des amis qui ne sont pas des étudiants, mais qui vendent de l’héroïne et autres. A chaque fois que je m’y rendais, ils me donnaient beaucoup d’argent’’, raconte ce père de famille. Tous deux pensaient alors vivre le paradis sur terre. Mais les sirènes de l’enfer ne tarderont pas à retentir.

En effet, au fil du temps, la consommation de Bamba est devenue beaucoup plus fréquente. Le pensionnaire de l’Ucad finira par tomber dans le gouffre. Les produits toxiques faisant leurs effets, il ne tardera pas à changer de comportement. Son patron lui fait la remarque. Voulant se réfugier dans son monde de rêve et de fortes sensations, il profite de la remarque de son boss pour arrêter le travail. Quant à la famille, elle aura droit à une toute autre version. ‘’Arrivé à la maison, j’ai dit que mon patron me faisait chanter. Mon père, comme tout bon parent, m’a encouragé, en me disant que j’ai bien agi et qu’il ne fallait pas que j’accepte d’être acheté, car un homme doit rester digne’’, raconte-t-il, dans un hochement de tête. Comme il avait gardé une somme d’argent à la banque, Bamba Diop n’a pas pensé à son avenir. Il s’est empressé de retourner dans son nouveau royaume, celui de la drogue, pour y retrouver ses amis.

 Ses parents ignorant tout de ses agissements, Bamba, le nanti, faisait la pluie et le beau temps avec ses économies. ‘’J’étais dans un tunnel si sombre. On ne voyait pas l’avenir encore moins la lumière. On était dans l’obscurité totale. Au lieu de me concentrer sur mon travail, je préférais passer mon temps dans les endroits où se trouve la drogue’’, explique-il.

La vente et la prison

Comme Bamba, Djiby aussi ne tardera pas à entamer une descente en enfer. Un jour, le principal ami à qui il rendait visite a eu des déboires avec la police. A peine le dealer est-il embarqué par la police que ses camarades se sont mis à se battre pour les affaires qu’il avait laissées. ‘’C’est comme ça que je suis entré dans la vente de drogue’’. Mais contrairement à Bamba, Djiby a eu le temps de terminer ses études pour devenir ingénieur en informatique. Un métier qui l’a toujours aidé à avoir une activité professionnelle par intermittence. En plus de lui faire perdre son boulot très souvent, le stupéfiant finira par bouleverser sa vie. ‘’Vous savez, la drogue dure ne pardonne pas.  Elle est une femme très jalouse. Elle te prend ton temps, ton argent, tes amis. Lorsque vous êtes dans l’héroïne, vous n’aimez même plus les femmes. Le matin, entre une femme et une dose, vous préférez la dose’’, se confie Djiby Seck.

Un jour, M. Seck touche le fond. Il est arrêté par la police française. Sa vie carcérale sera cependant moins dure, grâce au soutien de sa famille, informée de la raison de son incarcération. Il s’y ajoute qu’il avait aussi une fenêtre de liberté dans le cachot. ‘’En prison j’avais la possibilité de travailler. J’envoyais même de l’argent au Sénégal. Après, je suis rentré et j’ai eu du travail’’, se souvient-il.

‘’Boy, prends un taft’’

A l’image de Djiby Seck, son ‘’jumeau’’ Bamba aussi se retrouva dans un centre fermé. Non pas dans une prison, mais une structure de prise en charge médicale. En fait, une fois informés des agissements de leur fils, les parents ont décidé de l’amener à Fann. Il est interné plus d’un mois au service de psychiatrie du Chu. Il y est resté plus de 41 jours sans toucher à la drogue. ‘’Quand je suis sorti de l’hôpital, je suis resté deux à trois ans sans y toucher’’, relate-t-il. Un beau jour, à cause d’une mauvaise fréquentation, il choppe à nouveau le virus. Il habitait à l’époque à la Médina. Un vieil ami qui venait juste de se ravitailler l’a invité chez lui. ‘’Il a commencé à fumer. Il me dit : boy, prends un taft. Il ne fera pas d’effet. Je lui ai signifié que j’avais arrêté. Il a insisté. Quand j’ai commencé à fumer, automatiquement cela a réveillé mes vieilles sensations. J’ai replongé’’, avoue-t-il.

C’était en 2010. Il avait trouvé un autre travail à l’Africaine de l’automobile (Ford) comme responsable de département d’acteurs. Il fuguait de la maison familiale pendant des mois. ‘’Ma maman était désemparée. Mon papa a tout fait pour que j’arrête, que Dieu ait pitié de son âme. Ma famille m’a mis en quarantaine. Tout le monde disait que je ne valais rien. Alors que quand on entre dans le monde de la drogue, on n’en sort pas facilement’’, soutient-il d’une voix mélancolique. Ce rejet de la famille et de la société a été difficilement vécu. Si l’on en croit Djiby, le regard des autres ne permet pas aux consommateurs de drogue de se confier à leurs proches.

Comme Djiby, Bamba non plus ne s’est pas limité à la consommation. Lui aussi a voulu en faire une activité lucrative. ‘’Un jour, un vendeur de drogue qui fréquentait notre quartier m’a envoyé lui chercher le produit chez son fournisseur. Dès que je suis arrivé, j’ai trouvé la police qui était à ses trousses, mais il était absent des lieux. Les policiers ont su que je suis venu voir le gars et que je connais l’endroit où il cache sa drogue. Ils m’ont demandé de leur montrer la cachette, j’ai refusé et ils m’ont embarqué. J’ai fait deux ans de prison pour avoir refusé de dénoncer le fournisseur. Finalement, ils ont cru que j’étais le vendeur.’’

‘’La drogue a consommé la majeure partie de ma vie’’

Maintenant que le temps est venu de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, on ne peut manquer de regretter des erreurs de jeunesse. Aujourd’hui père de famille, Bamba se rend compte que les stupéfiants ont complètement changé sa vie. ‘’Si c’était à refaire, je ne toucherais pas à la drogue. Mais j’ai cru que c’était mon destin, parce que j’ai perdu beaucoup d’amis à cause de cela’’, gémit-il. Ce repenti connaît pratiquement tous les modes d’utilisation. ‘’On peut la sniffer, la mettre sur la cigarette, l’injecter ou la mettre sur du papier’’, explique-t-il. En plus de ces techniques, Bamba s’est aussi essayé à la seringue, réputée très dangereuse. D’ailleurs, cet interlocuteur se réjouit aujourd’hui d’avoir été découvert, trois semaines après qu’il a commencé avec les injections puisque, pense-t-il, il filait droit vers la mort. ‘’Je peux dire que c’est La Main de Dieu qui m’a sauvé, parce que toutes les personnes avec qui je partageais la seringue sont décédées. Ils mouraient comme des mouches’’, se souvient-il.

Mais comme le dit l’adage, tout est bien qui fini bien. En effet, depuis son intégration en 2015 au Cpiad, il a arrêté la consommation. Il a même réussi à baisser la dose consommée en méthadone. ‘’J’étais à 75 mg, maintenant je suis à 20 mg. Je ne me plains pas. Je ne sens pas que je touche la méthadone. Parfois, j’oublie même d’en prendre. Je rends grâce à Dieu. Ma vie a changé et beaucoup de choses également. Toutes les personnes qui ne voulaient pas me fréquenter viennent vers moi. Je n’ai plus de problème dans la famille. On essaie de rattraper le temps perdu. J’ai 55 ans, la drogue a consommé la majeure partie de ma vie’’, déclare-t-il.

Même mots de la part de Djiby Seck. ‘’On dit que quand tu es bien né et que tu fréquentes de bonnes écoles, tu dois devenir quelqu’un. Mais la drogue a tout cassé’’, s’apitoie-t-il. Le Cpiad est donc venu comme un rédempteur, pense Djiby.  L’informaticien pense que si le Cpiad avait été créé un peu plus tôt, beaucoup de vies auraient été sauvées. L’homme dit avoir connu des amis morts de l’hépatite C et D, de la tuberculose et du Vih, principales pathologies qui tournent autour de la drogue. 

VIVIANE DIATTA

 

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