Publié le 7 Aug 2019 - 22:26
DETTE INTERIEURE, INFLATION, ARRET DES TRAVAUX DE L’ETAT

Zoom sur le marasme économique

 

Dans ce contexte de raréfaction des ressources, tous les moyens semblent bons pour renflouer les caisses de l’Etat. Et comme souvent, ce sont les ménages qui trinquent.

 

Des coupes budgétaires par-ci, des augmentations de taxes par-là… Aujourd’hui, c’est un euphémisme de dire que l’Etat est dans une situation plus que difficile. Les signaux sont au rouge et ils sont nombreux, les économistes qui n’ont eu de cesse de lancer des alertes. Meissa Babou, Professeur à la faculté des Sciences économiques et de gestion de l’Ucad, fait partie de ces spécialistes. Par rapport à la hausse presque généralisée des prix de certains produits, il explique : ‘’C’est parce que l’Etat n’a que son budget qui est essentiellement alimenté à partir des taxes et droits de douane. Avant, il pouvait aller s’endetter auprès des marchés financiers, mais aujourd’hui ses marges de manœuvre sont limitées. La Banque mondiale comme le Fmi ne lui permettent plus de continuer à s’endetter de manière incontrôlée et les recettes propres ne suffisent plus. C’est pourquoi l’Etat cherche, par des micmacs fiscaux, à trouver des ressources pour ses besoins. Tous ces facteurs entrent dans ce qu’on appelle un ajustement structurel qui ne dit pas son nom. C’est dommage et c’est dommage pour les consommateurs que nous sommes.’’

En fait, Babou estime que ces derniers se verront dans l’obligation de payer pour des pots qu’ils n’ont nullement cassés. Il s’agit précisément, selon lui, ‘’des erreurs d’emprunts d’Amadou Ba’’ ainsi que des ‘’mauvais choix du gouvernement’’.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les faits semblent lui donner raison, avec la hausse presque généralisée de certains produits de consommation courante. C’est le cas, par exemple, du ciment et du carburant qui font l’actualité. Deux produits essentiels qui touchent presque tous les acteurs. Certains redoutent d’ailleurs une hausse potentielle d’autres produits dont l’électricité et le gaz butane.

Comment en est-on arrivé là ? L’économiste explique : ‘’Il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est les mauvais choix de gouvernance avec des travaux comme le Ter qui nous coûte près de mille milliards de F Cfa. Avec un tel montant, on aurait quand même pu choisir de construire 5 universités et 20 hôpitaux. C’est ce qui me pousse à dire que les choix politiques ne sont pas rationnels. Le deuxième facteur, c’est l’endettement chronique d’Amadou Ba. On est presque à un service de la dette de près de 80 milliards que le Sénégal ne peut pas supporter. Sans compter le train de vie très élevé de l’Etat.’’

Selon l’enseignant, le Sénégal, ‘’petit pays’’, ne peut pas se permettre d’avoir plus de 80 ministres et ministres conseillers, un Hcct de 150 personnes qui ont presque rang de députés, avec tout ce que ça coûte, plus de 300 milliards pour des véhicules. Avant de poursuivre : ‘’J’ai failli tomber des nues quand j’ai appris qu’un ministre a plus de 500 mille francs de crédit dans son téléphone. Voilà ce que nous sommes en train de payer, nous pauvres ‘goorgoorlu’. C’est aussi ce qui nous vaut d’ailleurs les brimades de la Banque mondiale et du Fmi.’’

Ainsi, le spécialiste dit accorder plus de crédit à la réalité du marché et au ressenti des Sénégalais plutôt qu’aux chiffres officiels annoncés çà et là. ‘’Ce qui est sûr, et que personne ne peut contester, c’est que la situation est difficile. L’Etat, qui est le principal promoteur de cette économie, est dans une situation critique avec un déficit de trésorerie énorme. Les dettes s’accumulent et poussent même des acteurs que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre comme les Btp ruer dans les brancards. Cela montre, à suffisance, que la situation est difficile pour tout le monde’’.

‘’Les conséquences sont désastreuses’’

Ce travailleur des Btp, qui a préféré garder l’anonymat, ne dit pas autre chose. Très amer et remonté contre l’Etat qu’il accuse d’être responsable de ses maux, il pleure un salaire qui ne tombe pas depuis plus de deux mois. ‘’Cela avait démarré avec des retards, c’est par la suite qu’on est allé vers des arriérés. C’est très difficile. Imaginez un chef de famille qui reste sans salaire pendant plus de deux mois. C’est vraiment infernale la situation que nous sommes en train de vivre’’, souffle-t-il désespéré.

A en croire le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de la construction, Jaraf Ndao, ce cas est loin d’être isolé. Les travailleurs du secteur des Btp souffrent, selon lui, le martyre, à cause de la dette abyssale de l’Etat qui doit à leurs employeurs plus de 250 milliards F Cfa. ‘’Les conséquences, souligne-t-il, sont désastreuses. Aujourd’hui, il y a des travailleurs qui ont été purement et simplement licenciés. D’autres envoyés au chômage technique et ceux qui ont été retenus cumulent les arriérés de salaires. C’est une situation explosive et nous demandons à l’Etat de le résoudre au plus vite’’.

Du fait de cette dette due aux entreprises du secteur des bâtiments et travaux publics, plusieurs chantiers sont aujourd’hui à l’arrêt, au grand malheur des usagers. Dans les localités concernées, c’est le chaos et la grande inquiétude. Monsieur Ndao confirme et précise : ‘’Les entreprises se sont retrouvées dans une situation telle qu’elles ne pouvaient plus continuer à supporter certaines charges. C’est ce qui explique l’arrêt de ces chantiers. Rien que pour le groupement des entreprises qui interviennent dans la réalisation du Train express régional, l’Etat doit plus de 70 milliards, aux dernières évaluations.’’ Parmi les plus grands créanciers, renseigne-t-il, il y a ce qu’on appelle les cinq majors, à savoir : Cde, Eiffage, Cse, Getran et Ecotra.  Il précise : ‘’L’Etat doit au minimum 25 milliards à chacune de ces entreprises.’’ Et les conséquences sont tout simplement néfastes, et pour les entreprises et pour les employés, mais également pour l’économie. Jaraf Ndao ajoute : ‘’Cette situation est à l’origine de tensions dans les foyers. Des ménages risquent même d’éclater. Imaginez quelqu’un dont la famille est au village. Si le chef ou le soutien n’envoie pas d’argent, les gens restés au village pensent qu’il l’utilise à d’autres fins. Alors qu’il n’en est rien. Les gens peinent même à payer leur loyer.’’

Avant d’alerter dernièrement l’opinion publique, via la presse, les travailleurs, par divers moyens, avaient essayé de sensibiliser l’Etat par rapport à leur sort. Mais celui-ci semble plutôt sourd, insensible ou à tout le moins impuissant quant à une éventuelle résorption de la dette. ‘’D’abord, c’est le secrétaire général national Mody Guiro qui avait envoyé une correspondance au ministre pour lui expliquer la gravité de la situation. Mais cela n’avait pas abouti à du concret. C’est ainsi que nous avons tenu la conférence de presse’’, souligne le syndicaliste.

Sous réserve de vérifications ultérieures, il rapporte avoir vu sur un site d’informations générales que le ministre a finalement annoncé, hier, qu’il va payer à hauteur de 100 milliards une partie de la dette. ‘’Je n’ai pas pu vérifier cette information, mais, en tout cas, nous attendons de voir. Ce qui est sûr, c’est que si l’Etat paie, nous serons informés. Nous espérons que cela se fasse dès demain (aujourd’hui) si l’info est avérée’’, s’empresse-t-il d’ajouter.

Mais c’est à croire que ce même virus qui infecte le Btp n’épargne aujourd’hui aucun des secteurs qui contractent avec le gouvernement du Sénégal. En tout cas, si le Btp crie son désarroi, les établissements privés d’enseignement supérieur, eux, se sont vus contraints de renvoyer les étudiants orientés par l’Etat en dehors des salles de classe. Ces derniers s’étaient d’ailleurs jetés sur l’avenue Cheikh Anta Diop, avant-hier, pour accroitre la pression sur le gouvernement qu’ils somment de payer la dette en vue de leur permettre de reprendre les cours.

En tout, c’est, selon certaines sources, plus d’une dizaine de milliards de F Cfa que l’Etat doit depuis l’année dernière. Compte non tenu des états de 2018-2019. Engagement a été pris de verser 8 milliards au cours du premier semestre de l’année 2019. Le ministre, avant-hier à l’Ugb, annonçait, pour ce qui est de cet engagement, que c’est déjà dans le circuit. Mais, à en croire un de nos interlocuteurs, jusque-là, rien n’a été matérialisé. Ce qui a fini d’exaspérer les établissements privés qui avaient juré d’en découdre.

Même l’Institut africain de management (Iam) dont les étudiants avaient jusque-là été épargnés par ces exclusions, du fait d’une assise financière assez solide, commence à réfléchir sérieusement sur cette lancinante question. Son directeur général, Zacharia Tiemotoré, confie : ‘’C’est vrai que nous n’avons jamais voulu mettre dehors les étudiants qui ne sont responsables de rien. Grâce à la compréhension des enseignants qui interviennent dans ces classes et à nos ressources propres, nous avons toujours réussi à fonctionner et à couvrir les charges. Mais aujourd’hui, la situation est devenue intenable. Les gens ne sont plus sûrs de continuer à garder les étudiants dans les salles, si rien n’est fait.’’

Selon lui, l’établissement tout comme les enseignants avaient jusque-là fait preuve de solidarité et d’engagement patriotique. ‘’Mais nous sommes dans la même situation que toutes les autres entreprises à qui l’Etat doit de l’argent. Nous sommes en train d’examiner la situation pour voir quelle est la nouvelle posture à adopter. Conformément aux directives des organisations regroupant les établissements dont nous sommes membres’’.

En fait, si l’Iam en est arrivé là, selon le directeur général, c’est parce que depuis deux ans, l’Etat ne lui a rien donné. ‘’Nous n’avons rien reçu, aucun centime, je dis bien. La situation est ainsi devenue impossible’’, regrette-t-il.

Autrefois très couru par les étudiants, l’établissement, ces dernières années, a été obligé de réduire drastiquement le nombre d’étudiants qu’il prend. ‘’Au début, nous étions à plus de 1 000. Aujourd’hui à 200 étudiants seulement. Vous voyez qu’on a nettement réduit, pour éviter de se retrouver dans des situations extrêmement difficiles’’. Il renchérit : ‘’C’est difficile pour les étudiants. C’est difficile pour les parents, pour les enseignants qui donnent des cours pendant des mois sans être rémunérés. Mais surtout pour les étudiants que nous essayons de comprendre. Nous ne savons pas combien de temps encore nous allons pouvoir tenir.’’

Par ailleurs, les acteurs du Btp comme ceux des établissements privés en appellent à plus d’informations et de respect des engagements. ‘’Nous essayons d’apporter notre contribution au mieux à l’effort national d’éducation et de formation de notre jeunesse. Nous souhaitons que l’Etat puisse aider en instaurant un dialogue permanent. Ce qui est parfois difficile, c’est de n’avoir aucune information. L’Etat doit se dire : voilà ce que je dois aux établissements, voilà comment je vais payer et voilà les délais. Ensuite, il se doit de les respecter. Ce déficit d’informations fiables nous empêche de nous organiser’’.

Rencontre, jeudi et vendredi, entre les établissements privés et la tutelle

Pour sa part, Jaraf Ndao souligne : ‘’La gestion de l’Etat, c’est une planification. L’Etat sait bien qu’il doit payer aux entreprises selon un échéancier bien établi. Comment, dans ces conditions, il a choisi de dépenser autant d’argent pour acheter des véhicules ou bien payer des factures téléphoniques ? Si on avait assez rationnalisé, on aurait pu éviter au travailleurs ce calvaire.’’

Aussi, faut-il le rappeler, l’Etat est aujourd’hui en train de se démener comme un beau diable pour arriver à bout de cette bête noire de la dette intérieure. Si nous ne sommes pas en mesure de confirmer l’engagement du ministre en charge des Finances envers le secteur des Btp, il nous a été confirmé que les établissements privés, eux, ont rencontré hier le ministre de tutelle. D’ailleurs, indique Daour Diop, ils vont se rencontrer jeudi ou vendredi au plus tard, pour apporter une réponse commune aux propositions qui leur ont été faites.

Pour rappel, alors qu’on n’a pas fini d’épiloguer sur les hausses possibles des tarifs douaniers, l’Etat, par le biais des dernières lois de finances rectificatives, a pris une batterie de taxes nouvelles qui frappent un certain nombre de produits de consommation courante. Les prémices s’étaient pourtant fait sentir déjà en 2018, avec plusieurs nouvelles taxes dont la contribution spéciale du secteur des télécommunications, un prélèvement sur les compagnies d’assurance ainsi que le prélèvement sur les opérations de consignation de produits pétroliers.

Bien avant cela, d’autres taxes avaient été instituées, notamment en ce qui concerne le ciment.

Un malheur ne venant jamais seul, l’enseignant à la Faseg craint même que les choses aillent crescendo. ‘’Les dégâts risquent, dit-il, d’être incommensurables. Et cela peut affecter tout le tissu économique et même le taux de croissance’’.

En fait, fait-il remarquer, ‘’cette situation risque de toucher les ménages qui vont perdre en termes de pouvoir d’achat. Les entreprises du Btp, pendant ce temps, sont déjà dans le gouffre économique. Les boulangers, n’en parlons même pas avec la hausse du carburant qui va les affecter. Tout cela risque d’impacter le taux de croissance du Pib. Prions simplement que l’hivernage vienne nous sauver’’.

Monsieur Babou de railler les statisticiens de l’Etat : ‘’Dans tous les cas, comme ils sont très forts, je suis sûr qu’ils vont encore venir nous parler d’un taux de 9 % par exemple.’’  

MOR AMAR

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