Publié le 10 Jan 2012 - 14:49
DEVANT DIOUF ET SENGHOR

Wade champion des tripatouillages constitutionnels

Ismaïla Madior Fall

 

Dans ''le Sénégal : un exemple de stabilité politique et d’instabilité constitutionnelle'' (une des parties de l'étude), Ismaïla Madior Fall décrit le ''paradoxe'' du Sénégal ; ce ''pays détenteur de record de stabilité politique en Afrique (jamais de coup d’État, jamais de guerre civile, jamais de changement anticonstitutionnel de gouvernement), mais champion en matière d‘instabilité constitutionnelle''.

 

 

Et ceci est le dada de tous les trois présidents du Sénégal. Mais d'après M. Fall, les révisions constitutionnelles sont perçues ''tantôt comme un outil de modernisation politique tantôt comme un instrument de conservation du pouvoir par les régimes successifs''.

 

 

37 révisions constitutionnelles depuis 1960

 

De 1960 à nos jours, le spécialiste du droit a dénombré ''37 révisions constitutionnelles (dont) une seule, à savoir celle de février 1970 (qui a ramené le poste de Premier ministre, NDLR), a emprunté la voie référendaire''. C'est-à-dire que les différents pouvoirs se sont toujours appuyés sur leurs majorités mécaniques pour faire modifier la Constitution. Parce que ''le président choisit toujours la voie non risquée de l'approbation parlementaire pour la validation des révisions''.

 

 

 

Prenant pour angle d'attaque la dynamique de démocratisation, l'analyse du contenu des révisions distingue ''révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie'', d'après l'auteur du rapport qui s'explique : ''La révision consolidante s'entend ici, dans la forme de sa mise en œuvre, d'une réforme constitutionnelle plus ou moins consensuelle, à tout le moins non controversée.

 

 

Progressiste dans son fond, elle consacre l‘amélioration qualitative du fonctionnement des institutions et/ou un progrès de la démocratie et de l'Etat de droit. A l'inverse, peuvent être considérées comme des révisions déconsolidantes ou régressives, les révisions non consensuelles dont les motivations réelles sont difficilement rattachables à des préoccupations de l'amélioration du fonctionnement des institutions, à la rationalité démocratique et au progrès de l'Etat de droit''.

 

 

Wade N°1 des révisions attentatoires à la démocratie

 

Les révisions consolidantes sont initiées pour ''d'une part, l‘élargissement des libertés et l'approfondissement de l'Etat de droit et de la démocratie, et d‘autre part, pour l'amélioration du fonctionnement des institutions''. Ismaïla Madior Fall en a dénombré 23.

 

 

''Vu sous l'angle de la personnalité des présidents, tous les présidents sénégalais : Senghor (1960-1980), Diouf (1980-2000), Wade (2000 à nos jours) ont, tous, initié des révisions consolidantes. Toutefois, si l'on doit procéder à une comparaison qui aboutit à un classement, celui-ci suit l'ordre de passage des trois présidents : le meilleur initiateur de révisions consolidantes par rapport à celles déconsolidantes, autrement dit, celui qui a, d‘après le chiffre des révisions, le plus consolidé que déconsolidé la démocratie demeure Senghor suivi de Diouf et de Wade'', fait-il savoir.

 

À l'en croire, ''sur 8 révisions initiées par Senghor, 7 peuvent être qualifiées de consolidantes ; sur les 14 révisions initiées par Diouf, 10 sont des révisions consolidantes ; sur les 15 révisions adoptées sous son magistère, Wade ne compte à son actif que 5 consolidantes''.

 

 

''Actionner le levier constitutionnel pour résoudre les problèmes''

 

En effet, les révisions dites déconsolidantes relèvent ''dans leur modus operandi et leur contenu au moins deux types de logique : une logique de conservation du pouvoir et une logique de règlement de comptes ; toutes choses générant l‘instabilité constitutionnelle, caractéristique notoire du système politique sénégalais, préjudiciables à la crédibilité du droit et des institutions''.

 

 

Dans le premier cas, on peut citer la loi instaurant le ''dauphinat constitutionnel au profit d‘Abdou Diouf'' (sous Senghor), la ''suppression de la limitation des mandats présidentiels et du quart bloquant'' (sous Diouf) ou l'instauration du septennat, de l'annualisation du mandat du président de l'Assemblée nationale ou du poste de Vice-président (sous Wade). Sans compter la résurrection d'institutions dissoutes (CRAES, Sénat ou Conseil économique et social) pour caser une clientèle politique.

 

Mais aussi des logiques de règlements de comptes ont prévalu ''à travers l'exemple récurrent du statut du président de l'Assemblée nationale, mais aussi d‘autres exemples remarquables aussi bien sous le mandat d'Abdou Diouf (cabale parlementaire contre le président de l‘Assemblée Habib Thiam en 1984) que de celui d'Abdoulaye Wade (éviction du Président du CRAES en 2008 et cabale parlementaire contre le président de l‘Assemblée Macky Sall en 2007)''.

 

 

D'après M. Fall, ''mis en situation politique, le président Wade préfère actionner le levier constitutionnel pour résoudre les problèmes. En vérité, l'instabilité constitutionnelle n'est qu'une des facettes de l'instabilité globale dans l'action politique du héros de l'alternance de 2000''. C'est ''un avocat qui mobilise le droit au service d‘une cause, la sienne''. À contrario, ''Senghor en poète et helléniste est un contemplateur du droit, convaincu, comme le pensaient les grecs, que les pays qui légifèrent peu sont des pays heureux'' et ''Diouf est un administrateur civil vouant un respect révérenciel aux textes, qu'il considère comme un corset dans lequel il faut se contenir …''

 

Bachir FOFANA

 

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