Publié le 8 Jul 2014 - 02:49
DIALE NDIAYE – VEUVE DE FEU BOUTEYE KOUNTA NDIAYE

‘’Ce que je soupçonne dans ce dossier…’’

 

Pour une Porsche Cayenne d’une valeur de 30 millions de francs CFA, Bouteye Kounta Ndiaye, vendeur de voitures de luxe, a perdu la vie le 9 mai 2011. L’un de ses présumés meurtriers, Pape Mor Djité, avait été arrêté par la gendarmerie alors qu’il tentait de sortir du pays, avec le précieux véhicule. La Division des investigations criminelles (DIC) qui avait hérité de l’enquête, avait tiré des conclusions qui  ont conduit Pape Mor Djité à la Maison centrale d’arrêt et de correction de Rebeuss, alors que d’autres gros calibres dénoncés dans la première phase de l’enquête n’ont pas été inquiétés. C’est ce même Pape Mor Djité, qui avait étranglé à mort sa victime, caché le corps à Thiès, qui s’est évadé le vendredi 27 juin dernier de l’hôpital Le Dantec où il était en consultation en Cardiologie. Les circonstances dans lesquelles il s’est fondu alors qu’il était accompagné d’un garde pénitentiaire intriguent la famille de feu Boutèye Kounta Ndiaye qui sonne l’alerte. Dialé Ndiaye, veuve du défunt, s’est entretenue avec EnQuête. Elle soupçonne le principal suspect, qui devrait être jugé en Assises, de bénéficier de ‘’beaucoup d’appuis’’, dit toute sa douleur et exhorte la justice à mener l’enquête avec fermeté.

 

Pouvez-vous revenir sur les circonstances du décès de votre mari ?

Le matin du 9 mai 2011, mon mari est sorti de la maison le matin, parce qu’il avait rendez-vous avec un potentiel acheteur d’une voiture, une Porsche Cayenne. On devait voyager le même jour dans la soirée. On devait aller aux USA assister à la cérémonie de graduation de notre fille. Vers 10h, on s’est parlé au téléphone. C’est à partir de 11h que j’ai commencé à avoir quelqu’un d’autre au bout du fil. Il m’a dit d’abord que mon mari avait oublié son téléphone au niveau de leur bureau. Après, quand j’ai rappelé, la personne qui a répondu m’a dit être à la banque avec mon mari. En fait, je crois qu’elle voulait juste me divertir. C’est à partir de 13h que j’ai commencé à tomber sur sa boîte vocale. J’ai attendu jusqu’à 17h sans avoir de feedback. J’ai alerté la DIC (Ndlr Division des investigations criminelles). Au début, on croyait à un kidnapping. Mon mari a disparu un lundi et jusqu’au jeudi, on n’a pas arrêté de chercher avec les différents services de sécurité. C’est le jeudi que son corps a été découvert.

Comment aviez-vous vécu ces trois jours ?

C’était dramatique. Imaginez le jour même où il a disparu, on devait voyager. Il sort et ne revient pas. C’était une grosse surprise, un émoi inexplicable et du suspense. Les enfants m’appelaient pour savoir si on était à l’aéroport, si on se préparait à venir. En ce moment, j’étais à la DIC, mais je ne pouvais pas leur en parler. C’étaient des moments inoubliables et douloureux.

Lorsque le corps de feu votre mari a été découvert, aviez-vous eu des soupçons sur des personnes particulières ?

Pas spécialement, car vraiment, je ne connaissais pas quelqu’un avec qui il avait des problèmes particuliers. Non, on n’a pensé à personne à ce moment précis, vraiment.

Connaissez-vous les motivations des meurtriers de feu votre mari ?

Comme on l’a relaté dans les journaux, à l’époque, ce sont des motivations de banditisme et pécuniaires. Ils voulaient juste voler le véhicule et le vendre. J’ignore s’ils sont dans le milieu de la drogue ou du grand banditisme, mais les motivations, c’était vraiment de voler le véhicule, l’amener en Guinée-Bissau, l’échanger contre de la cocaïne et ramener cette drogue au Sénégal. C’était ça. Moi je crois que voler pour voler, ils auraient pu prendre la voiture et le laisser sauf, mais ils l’ont éliminé. Ce sont des méthodes un peu particulières.

 Comme vous dites, si c’était juste voler pour voler, ils auraient dû peut-être laisser le défunt en vie. Ne croyez-vous donc pas qu’ils avaient vraiment quelque chose contre lui ?

Cela, je ne peux pas le dire, vraiment. C’était quelqu’un qui était très affable. Si vous menez une petite enquête dans son entourage, vous verrez que c’était quelqu’un qui n’avait pas de problèmes. Alors, quelqu’un qui lui en voulait peut-être dans ce milieu, franchement, je ne le connais pas.

Aujourd’hui, comment vivez-vous ce crime jugé odieux par certains ?

Je le vis avec amertume. Mais, on est des musulmans et comme on dit, on s’en remet à Dieu. Nul ne peut échapper à son destin. Ça, c’est la réaction première d’un musulman. Au-delà de cela, il faut aussi chercher quelque part s’il y a injustice. Et il faut que les coupables paient, parce que la justice est là pour tout le monde. Attaquer de paisibles citoyens, prendre leurs biens et non contents de cela les assassiner, c’est trop facile. On ne doit pas laisser ces choses-là comme çà. La justice doit sévir et tout le monde doit comprendre cela...

Combien de personnes sont arrêtées dans le cadre de cette affaire ?

Je crois qu’au début, on avait arrêté pas mal de personnes, 5 ou 6. Au fur et à mesure que l’enquête avançait, on a vu que le principal suspect a usé de subterfuges. Il a pris des passagers en cours de route pour meubler le véhicule, pour ne pas passer suspect. Il a été appréhendé à hauteur de la frontière avec la Guinée- Bissau. En définitive, 3 personnes ont été arrêtées. L’une a bénéficié d’une liberté provisoire avant un non-lieu. Les deux autres étaient encore en prison. Aujourd’hui, le présumé coupable s’est évadé et il reste l’autre.

C’est le principal suspect Pape Mor Djité qui s’est évadé aujourd’hui, comment vivez-vous cette histoire ?

Je n’ai pas trop peur. Je me dis que je suis dans un pays de justice. On ne peut pas se faire justice soi-même. Si je devais me faire justice, c’est moi qui serais aujourd’hui à ses trousses, mais pas le contraire. Ce sont des bandits, j’en suis certaine et j’en suis consciente aussi.

Ne pensez-vous pas qu’ils puissent s’attaquer à vous ou votre famille ?

Dans quel but ? Ils nous ont déjà fait du mal. Là, je pense qu’ils vont essayer de brouiller des pistes en aidant le principal suspect à s’évader. Ils ne veulent pas qu’ils les dénoncent. C’est un schéma. Je sais qu’il y a toujours des inconnus dans ce dossier. C’est regrettable.

Vous pensez donc que le prisonnier évadé n’est pas le seul trempé dans ce crime ?

Je le soupçonne fortement, mais seule la justice nous le dira. A l’audition première, Pape Mor Djité avait donné des noms. Il avait dénoncé des gens présentés comme des commanditaires. Donc, je me dis qu’il n’était pas seul dans cette affaire. Quand on a arrêté Pape Mor Djité, le véhicule avait déjà des papiers guinéens. Ce qui est surprenant. C’était un coup bien ficelé. Ils avaient tout préparé et il ne restait qu’à passer à l’acte. Et ils ont exécuté le plan de sang-froid.

Quels sont les noms qu’il avait cités ?

Il avait cité les noms d’El Hadji Mar et d’El Hadji Malick Guèye. Je crois que ce Mar est l’élément central. Plus tard, il a dit que c’est lui qui a pris l’identité d’El Hadji Mar, mais moi je ne suis pas convaincue par çà.

Et pourquoi ?

Parce que ce Mar existe bel et bien. Il est venu au parking discuter avec mon mari et mon fils ainé qui était aux USA. Il voulait des spécifications sur le véhicule. Ce même Mar avait un jour demandé à mon mari d’aller voir un autre potentiel acheteur qui est à Thiès et qui voulait le véhicule. En cours de route, il lui a demandé de prendre un mécanicien, ce que mon mari a refusé de faire. Dans le deuxième schéma, les potentiels nouveaux acheteurs l’ont pris ici et lui ont encore parlé de mécanicien. Vous voyez, le mécanicien revient toujours. Lui-même m’a dit, avant de partir : ‘’je pense que la voiture va être achetée mais je passe d’abord voir le mécanicien avant’’. Donc, à l’évidence, il connaissait les gens avec qui il avait rendez-vous.

Il ne vous a pas dit avec qui il avait rendez-vous ?

Il avait rendez-vous avec ce Mar. J’étais dans la chambre quand il l’appelait, la veille au soir. C’est comme ça que j’ai su que c’est avec lui qu’il avait rendez-vous.

Quand vous vous êtes rapprochée de la DIC  lors de la disparition de feu votre mari, leur avez-vous dit qu’il avait rendez-vous avec Mar ?

Ce jour-là, j’ai fait ma déposition spécifiquement. Je ne sais plus ce que j’ai dit sur Mar. Le suspect a aussi parlé de Mar.

Et ce dernier n’a jamais été inquiété ?

A ma connaissance, je ne sais pas. A-t-il été recherché, était-il au Sénégal ? Je ne sais pas. Je sais que le plan était bien ficelé. Ils ne sont pas assez bêtes pour se faire démasquer. El Hadji Malick Guèye dont il a parlé, lui, était à l’étranger. On dirait que Mar était dans un cercle, un réseau dont il était l’élément central. Ça, c’est mon sentiment.

Vous soupçonnez qui dans cette évasion ?

Seule l’enquête nous le dira et lui-même, peut-être, quand il sera rattrapé. Il devra dire qui l’a aidé et comment il s’est évadé. Je pense qu’une enquête sérieuse doit être menée. C’est quelqu’un de très intelligent. La preuve, quand on l’a arrêté pour la première fois, il a servi aux éléments de la DIC et ceux qui l’ont arrêté plusieurs versions. Il changeait de version comme il voulait. Il a raconté pas mal de contrevérités. Il a dit que mon mari a sorti son pistolet pour lui tirer dessus, alors que lui avait laissé son arme à la maison. Je l’ai montré aux éléments de la DIC.

Aujourd’hui qu’attendez-vous de la justice ?

Que la justice fasse son travail. Je crois qu’un détenu aussi dangereux que lui ne devait pas pouvoir s’évader. Il y a une certaine catégorie de prisonniers qui doit être particulièrement surveillée. Cela en fonction de la nature de ce qu’ils ont commis comme acte criminel. Quelqu’un qui tue comme çà de sang-froid mérite surveillance. Aujourd’hui, il s’est évadé avec l’aide de qui ? Est-il dans le pays ? C’est beaucoup d’interrogations. Il devait être surveillé de près. Mais on l’a conduit dans un vaste hôpital comme Le Dantec sans une stricte surveillance.

C’est à déplorer. Le Sénégal est un pays de droit. Il a lâché des noms je crois que la moindre des choses, c’est de suivre certaines pistes. Les gens qu’il a cités, on ne doit pas les laisser libres dans la nature. Et ça, c’est le travail de la justice. Je ne peux pas me substituer à elle. On est face à un dossier compliqué, parce que le suspect est très intelligent, très habile et qui de surcroît bénéficie d’appuis. Qui l’appuie ? Je ne sais pas. 

BIGUE BOB

 

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