Publié le 7 Mar 2019 - 23:33
DIALOGUE AVEC LE POUVOIR

Charivari dans les rangs de l’opposition

 

Même si l’idée de dialoguer avec le camp du pouvoir ne la déplait pas, l’opposition fixe tout de même des préalables au dialogue national auquel appelle le président de la République Macky Sall. Entre autres conditions, elle exige d’abord la libération de Khalifa Sall et l’amnistie pour Karim Wade, et ensuite la nomination d’une personnalité neutre pour conduire ce dialogue.

 

La main tendue du président de la République nouvellement réélu à l’opposition sénégalaise, n’a pas encore trouvé de répondant. L’heure, dans les différents états-majors, est à la concertation pour voir quelle suite donner à cet appel. Mais, d’ores et déjà, certaines formations politiques commencent à réagir. C’est le cas de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act). Dans une déclaration rendue publique hier, le parti d’Abdoul Mbaye rejette la main tendue du président de la République, en soutenant que la priorité est ailleurs.

‘’L’urgence n’est pas au dialogue. L’heure est à l’audit indépendant du fichier électoral, au respect du droit de manifester et de protester, à l’arrêt de toutes les mesures d’intimidation et à la libération des prisonniers politiques’’, déclarent l’ancien Premier ministre et ses camarades. Selon qui, ‘’si comme Macky Sall le prétend, il a mis le Sénégal en émergence économique et gagné l’élection présidentielle avec 58,26 % des voix, il n’a pas besoin de l’opposition comme alliée pour poursuivre sa route ; à moins que ce ne soit pour participer à une nouvelle curée selon la motivation traditionnelle des coalitions et autres agrégats politiques dans notre pays’’.

Ainsi, ils refusent tout rapprochement avec le régime et réitèrent leur choix de rester dans l’opposition. ‘’L’Act restera dans l’opposition, libre de constater et de dénoncer les dérives, force de propositions pour aller dans le sens des intérêts des Sénégalais. Il applaudira, par contre, lorsque les directions prises par le régime en place iront dans le sens de la défense des intérêts de la patrie et de notre peuple’’, précisent-ils.

Mamadou Ndoye : ‘’L’opposition n’acceptera pas un dialogue conduit pas Macky Sall’’

Dans un contexte post-électoral assez tendu, pouvoir et opposition se regardent en chiens de faïence. Au sortir du scrutin présidentiel dont le verdict fait d’ailleurs l’objet d’un rejet par les quatre autres adversaires du président de la République, la rupture de confiance est, en effet, le sentiment le mieux partagé dans le landerneau politique sénégalais. Cela, même s’il y a énormément de problèmes à discuter et à résoudre. ‘’Il y a des problèmes dans ce pays qui, certainement, vont nécessiter un dialogue pour pouvoir les résoudre, notamment la question électorale. Parce qu’on ne peut pas continuer à avoir un compétiteur qui décide des règles de la compétition, de l’organisation des élections et des résultats. On ne peut pas continuer comme ça, c’est impossible. La question électorale est une question à résoudre et, pour ce faire, il faut nécessairement s’assoir autour d’une table’’, déclare l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique passé, entre-temps, militant de la Ld/Debout.

Selon Mamadou Ndoye ‘’Mendoza’’, il y a aussi la question des pouvoirs du président de la République qu’il faut discuter. ‘’Cette question, tant qu’elle n’est pas réglée, on ne peut pas avoir un Etat de droit, parce que la justice ne sera pas indépendante et l’Assemblée nationale ne pourra pas jouer son rôle. Donc, il nous faut un dialogue pour régler cette question’’, croit-il savoir. Il souligne qu’il y a d’autres préoccupations qui sont des questions de gouvernance qu’il faudra aussi régler, comme les questions de liberté qui sont devenues brûlantes, compte tenu notamment du fait qu’‘’un droit constitutionnel qui est le droit de manifester est presque impossible à exercer au Sénégal, puisque dès qu’on parle de manifestation, c’est même dans les domiciles des gens qu’on vient les arrêter. Donc, il y a des problèmes qui méritent un dialogue’’.

Maintenant, relève-t-il, le problème, ce sont les conditions du dialogue. Dans tous les cas, poursuit-il, si c’est un dialogue qui est conduit par le gouvernement ou par Macky Sall, ce dialogue ne sera jamais crédible. ‘’S’il y a une personnalité indépendante pour conduire le dialogue, pour pouvoir arriver à des conclusions acceptables par tous, il n’y a pas de problème. Mais l’opposition n’acceptera pas un dialogue conduit pas Macky Sall ou par le gouvernement’’, conditionne-t-il. Estimant ainsi qu’il n’y a aucun problème particulier à ce que Diouf et Wade s’impliquent pour faciliter le dialogue, Mamadou Ndoye soutient tout de même que ce n’est pas à eux de conduire le dialogue. ‘’Il faut trouver une personnalité consensuelle pour conduire le dialogue’’, insiste-t-il. Non sans soutenir que le président de la République ne peut pas restreindre les termes du dialogue. ‘’Macky Sall ne peut pas dire je veux dialoguer, mais sur telle et telle question. Il y a aujourd’hui des revendications qui se posent au niveau de divers secteurs de la société, qui sont urgentes et qu’il faut nécessairement évoquer dans le cadre du dialogue’’, déclare l’ex-leader ‘’jallarbiste’’.

Pr. Moussa Diaw : ‘’L’opposition doit répondre à ce dialogue’’

Au-delà des questions électorales, le dialogue auquel appelle le président de la République Macky Sall doit prendre en charge toutes les questions qui concernent la vie nationale. Mais il y a, selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, des préalables à ce dialogue. ‘’A mon avis, l’opposition doit répondre à ce dialogue. Puisque, comme c’est le président de la République qui a fait un appel de dialogue républicain et que l’opposition veut s’inscrire dans une logique de paix, il est tout à fait normal qu’elle réponde à ce dialogue. Mais le seul préalable serait qu’on pacifie l’espace politique, c’est-à-dire qu’on sorte de prison Khalifa Sall et qu’on vote une loi d’amnistie pour Karim Wade. Cela va créer des conditions de paix pour l’instauration d’un dialogue franc et sincère entre les différentes parties. Cela permettrait de régler énormément de questions’’, rétorque Moussa Diaw, lorsqu’il a été interpellé sur la question hier par ‘’EnQuête’’.

Etant donné que la situation du pays est assez tendue, il estime que le président Macky Sall a intérêt à dialoguer. ‘’Les gens avaient du mal à accepter sa victoire, parce qu’ils dénoncent beaucoup d’anomalies dans le processus électoral qui a été géré de façon personnelle par le président de la République. Ce qui lui aurait permis d’avoir beaucoup d’atouts pour remporter l’élection présidentielle. Certains expliquent leur défaite, parce qu’ils n’ont pas la mainmise sur le processus électoral qui a été piloté, de bout en bout, par le président de la République et sa majorité. Cette mise à l’écart du processus électoral leur a coûté cher et a été la conséquence des résultats et de cette victoire du président de la République. Il faut discuter de tout cela pour aller vers une décrispation’’, estime-t-il.

Sur les termes du dialogue, l’enseignant-chercheur en science politique pense qu’il faut voir comment procéder. Parce que, dit-il, il ne faut pas que ça ressemble au dialogue qu’on avait vu. ‘’Il faut que ça change, qu’on implique davantage tous les acteurs, qu’on les écoute, s’il le faut, les associer dans une commission à mettre en place, décliner les termes de référence pour un dialogue fructueux qui pourrait déboucher sur un consensus’’, déclare-t-il.

A partir du moment où il y a une volonté de discussion et de s’ouvrir aux autres, Moussa Diaw pense que l’attitude la plus convenable, pour l’opposition, c’est de répondre à ce dialogue, aborder les questions de fond et faire des propositions concrètes. ‘’Je pense que cela est nécessaire, à partir du moment qu’il y a une volonté politique de la part du chef de l’Etat, les autres doivent suivre. S’ils restent dans le radicalisme, ça ne fait qu’envenimer la situation et on ne peut pas gouverner un pays dans le désordre’’, soutient-il. Il ajoute que maintenant qu’il n’y a plus d’enjeu électoral pour le président, l’opposition a plus intérêt à répondre à ce dialogue qu’à bouder la table des négociations.

 ‘’Il y avait l’élection présidentielle et pour le président Macky Sall, c’était un enjeu crucial. Maintenant, il n’y a plus cet enjeu, donc, il a une marge de manœuvre. Comme il ne se présente pas pour les prochaines échéances, il est ouvert à tout dialogue. Il est beaucoup plus ouvert et il est disposé à discuter de tous les problèmes. Il faut saisir cette opportunité’’, estime-t-il.

ASSANE MBAYE

 

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