Publié le 6 Apr 2019 - 22:15
DIALOGUE POLITIQUE

Les germes de l’espoir

 

Rarement, depuis son accession à la magistrature suprême, le président Macky Sall a été aussi proche de son objectif de dialoguer avec toute son opposition. Déjà, plusieurs voix se montrent favorables à cette concertation.

 

L’heure du dialogue a peut-être sonné. Depuis quelque temps, le président de la République ne rate pas d’occasion pour réitérer sa main tendue à l’opposition. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa pugnacité commence à porter ses fruits. En plus d’opposants supposés jusque-là irréductibles qui se disent finalement favorables, des personnalités qui avaient disparu des radars refont surface et bénissent le dialogue. Parmi eux, l’ancien ministre d’Etat et ‘’ami’’ d’Abdoulaye Wade, Cheikh Tidiane Sy. Ce dernier, revisitant l’histoire politique du Sénégal, explique pourquoi l’opposition devrait répondre positivement à l’appel du président de la République. Avec forces convictions, il affirme : ‘’Comme le dit l’adage, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Je ne suis pas de ceux qui regardent dans le rétroviseur et se demandent pourquoi maintenant et pas durant les sept années qu’il vient de passer à la tête du pays ! Lui seul peut répondre à cette question.’’

L’ancien ministre ne se pose donc pas de question. Pour lui, pendant sept ans, Macky Sall a agi de la sorte, et cela n’a pas empêché les Sénégalais de lui renouveler leur confiance. Ainsi, signale-t-il, en décidant de s’assoir avec l’opposition, il se place au-dessus de la mêlée et se présente sous les habits de l’homme politique capable de décoder les messages qui viennent de la base. ‘’Cette politesse civique, dit-il, ne saurait être ignorée. Elle a son importance et doit être accueillie comme une volonté de vouloir vivre et agir ensemble. Nous Sénégalais, nous nous réclamons de la tradition démocratique certes, mais nous avons, avant tout, nos traditions, nos valeurs et bien sûr nos insuffisances ! Notre culture nous enseigne d’être toujours à l’écoute de l’autre, de dialoguer ; c’est une des significations de l’adage “Nit Nitay Garabam”.

Le jeu trouble de Wade

Cette sortie intervient dans un contexte marqué par un vent de dégel entre républicains et libéraux. Du moins, plusieurs indices le laissent croire. Le premier, c’est le silence bruissant de l’ancien chef d’Etat, depuis la campagne électorale pour la Présidentielle. Le secrétaire général du Pds est plongé dans un long silence qui ne manque pas de susciter moult commentaires. Dans la même veine, il y a l’appel de Macky, juste après la confirmation de sa réélection. Citant Wade parmi les potentiels superviseurs du dialogue, alors même que ce dernier n’a pas encore quitté la sphère politique. Enfin, rappellent certains observateurs, pourquoi le Pds qui, en 2016 déjà, avait répondu au dialogue, alors même que la confrontation était beaucoup plus vive, qu’il y avait des élections en vue, refuserait de dialoguer en 2019, pendant qu’aucune échéance majeure n’est en vue, que Macky Sall a les coudées franches.

D’autant plus, soulignent les analystes, que le combat premier de Wade et du Pds reste la ‘’libération’’ de son fils ou de son leader, afin qu’il recouvre la plénitude de ses droits civiques et politiques. Ce qui n’est pas forcément le souci des autres membres de l’opposition. D’ailleurs, pour le moment, aucun des grands leaders de l’opposition n’a été catégorique dans sa position contre des concertations. En marge du défilé du 4 Avril à Thiès, Idrissa Seck, lui, a informé que sa coalition n’a pas encore abordé la question. Quant à Ousmane Sonko, troisième à la Présidentielle, il disait, dans ‘’Jeune Afrique’’ : ‘’Il n’y a ni pertinence ni urgence à dialoguer.’’ La plupart des leaders renvoient ainsi leur réponse sine die. Peut-être que chacun veut épier ce qu’en pense son rival, avant de se fixer sur cet énième appel. En 2016, c’est au dernier moment que le Pds avait rendu publique sa position de répondre au dialogue, au grand dam des autres membres de l’opposition dite significative.

En tout cas, cette fois, s’il y a dialogue, les libéraux ne seront pas seuls à la table des négociations. Bougane Guèye Dani, aussi, se dit prêt à répondre à l’appel du président de la République. Dans une interview parue, hier, au journal ‘’l’Observateur’’, l’allié d’Idrissa Seck déclare : ‘’Soyons légalistes et oublions la campagne électorale. Je suis dans une coalition d’actions et j’ai eu à défendre ma position. Aujourd’hui, il faut qu’on comprenne de manière très claire, après la prestation de serment du président Macky Sall pour les 5 années à venir, que c’est lui le président de la République.’’ Un discours réaliste et pragmatique, qui a suscité beaucoup de commentaires. Et le leader de Gueum sa Bopp ne manque pas d’arguments. A l’en croire, le dialogue, c’est le cadre idéal pour poser les véritables doléances de la classe politique, ainsi que les préoccupations des Sénégalais. A savoir, entre autres, l’amnistie de Khalifa Ababacar Sall, la révision du processus électoral… mais aussi des conditions d’existence des Sénégalais. Il craint qu’un boycott sonne le glas de l’opposition, avec les risques que les partisans de Khalifa Sall et de Karim Wade rejoignent la table des négociations.

Le mince espoir de Bocoum

Dans une contribution, hier, le président du mouvement Agir, Thierno Bocoum, a préféré, pour sa part, mettre l’accent sur les chances de Macky Sall de sortir par la grande porte. Il estime que ce dernier ‘’pourrait être le premier président à ne pas avoir d’opposition ou plutôt à avoir une opposition sans arguments solides’’. En effet, d’après Bocoum, Macky Sall a l’opportunité de fournir au pays ce dont des générations ont toujours rêvé : ‘’L’ère d’un président de transition.’’ Ainsi, souhaite-t-il que le chef de l’Etat se comporte comme ‘’un président qui remet tout à plat, qui amorce de vraies ruptures et reste sourd aux complaintes des lobbies et autres centres d’intérêt. Un président qui consacre la séparation des pouvoirs, qui les rééquilibre. Un président qui honore les populations en défendant leurs intérêts majeurs en toute circonstance, en tout lieu et face à quiconque’’. Et ce n’est pas tout. Il ajoute : ‘’Il doit être un président qui s’isole des querelles de chapelles politiques et partisanes pour faire vivre la République dans toute son essence et lui donne un sens… Pour tout dire, un président qui nous honorera pour le reste de son dernier mandat, malgré ses erreurs du passé, ses péchés contre la République, ses démarches guerrières inutiles de combat contre sa propre génération, ses velléités dictatoriales, ses abus de pouvoir’’.

Le membre de la coalition Idy2019 estime, par ailleurs, que les premiers actes posés ne rassurent guère. Il cite, pour exemple, le licenciement des proches de Maître Madické Niang… Pour Bocoum, avant de dialoguer avec son opposition, Macky Sall gagnerait à dialoguer d’abord et avant tout avec sa propre conscience. Un tel dialogue, à l’en croire, devrait lui permettre d’exclure ‘’d’être à la fois une colombe et un faucon, de vouloir ressembler à Mandela et à Mobutu en même temps, de vouloir sortir par la grande porte et de lorgner le trou de la serrure...’’

Toutefois, le jeune leader ne perd pas totalement espoir que dans un sursaut d’orgueil, l’actuel chef de l’Etat change d’orientation.

Quant à Cheikh Tidiane Sy, il rassure et met en garde : ‘’La démarche est plutôt un moyen d’oxygéner l’espace politique et de construire les plages de convergence nécessaires au maintien de la solidarité nationale. Le moment est certainement venu de sortir de l’emprise de la ‘guerre des tranchées’ pour s’engager résolument dans la voie de la construction d’un futur commun. Dès lors, l’idée de dialoguer en posant des conditions devient saugrenue, car pour un État qui se respecte, le dialogue a aussi ses limites.’’

MOR AMAR 

 

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