Publié le 9 Jun 2017 - 13:44
DIX ANS APRES LE DECES DE L’AINE DES ANCIENS

L’héritage de Sembène en péril

 

Il est aujourd’hui plus qu’urgent de réagir. Le legs d’Ousmane Sembène décédé le 9 juin 2007 est en train de s’effriter. Il ne reste plus que ses œuvres cinématographiques et littéraires pour se rappeler de l’homme. Sa maison ‘’Galle Ceddo’’ est en ruines. EnQuête y a fait un tour à l’occasion des dix ans de la disparition de ce pionnier du cinéma et de la littérature africaines.

 

Un véritable gourbi, c’est ce qu’est devenu ‘’Galle Ceddo’’. L’antre du réalisateur et écrivain sénégalais Ousmane Sembène n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. Les murs sont défraîchis. Ce qu’il reste de la porte principale en bois ne se ferme pas. De petites plantes qui ressemblent plus à des herbes entourent ce galetas situé à quelques jets de pierre de l’hôtel Océan de Yoff. Dans la cour, une Jeep devenue un tas de ferraille y est garée. A l’entrée, à gauche, un bâtiment qui ressemble à un hangar est dans un état de délabrement très avancé. Au fond de la maison, une petite terrasse avec quelques tables. Vu leur état, elles n’ont pas reçu du monde depuis des lustres. En effet, le bois de ces meubles est devenu gris. L’effet de la mer que surplombe la maison y est sûrement pour quelque chose, ajouté à cela le manque d’entretien. Malgré son piteux état et les dix années de la mort de Sembène, Galle Ceddo reste célèbre à Yoff. Il suffit de demander à quelqu’un pour être orienté.

Devant la maison, on a hésité à entrer à cause de son état. Pourtant, deux âmes se réveillent au milieu de ce bouge. Il s’agit d’un des fils d’Ousmane Sembène et sa mère. Le bâtiment leur servant d’habitation est situé à droite de l’entrée principale. L’une des fenêtres de ce qui semble être une bicoque à étage est ouverte. En s’approchant, on se rend compte qu’un scooter est garé dans le patio, même si le perron crasseux veut faire croire que personne n’habite ici. Entendant des voix, un jeune homme, torse nu,  se dirige vers la porte du bâtiment. En nous apercevant, il appelle ‘’sa mère’’. Une dame, teint noir, la soixantaine entamée, vêtue d’une robe en ‘’Ndokette’’ orange, sort pour connaître l’objet de la visite des ‘’hôtes indésirables’’. Après exposé des motifs, elle rétorque d’une petite voix : ‘’ Il est impossible que vous fassiez un reportage ici’’. ‘’Vous êtes la femme de Sembène ?’’ lui demande-t-on. ‘’Je suis la mère de son fils. Le dossier de la succession est au tribunal et pour l’instant, on ne peut rien dire. Il ne nous est pas permis de refaire ou réfectionner quoi que ce soit ici tant que le tribunal n’aura pas tranché’’, explique-t-elle. Ainsi, il est difficile de savoir depuis quand la bataille juridique est engagée, c’est quoi le litige exactement, etc.

Mais de sources concordantes, l’on apprend qu’un an après le décès du cinéaste, l’un de ses fils établi à l’étranger, Alain Sembène, avait émis le souhait de voir la maison de son défunt père érigée en musée. Une proposition rejetée par son frère qui squatte actuellement la maison avec sa mère, selon toujours certains proches du dossier. Quoi qu’il en soit, à ce qu’il semble, tant qu’une décision juridique n’est pas prise, rien ne peut être fait. Même si, à maintes reprises, des voix se sont élevées pour réclamer l’achat de cette maison par l’Etat du Sénégal. Parmi ces dernières, celle de l’écrivaine Ken Bugul : ‘’Au Burkina Faso, une suite de l’hôtel où Sembène descendait pour le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) porte son nom.

Pendant les émeutes récentes (ndlr 2015), lorsqu’on a saccagé l’hôtel, quelqu’un s’est emparé d’un grand portrait de lui, qui faisait 1 mètre 50 sur 2 mètres, et au milieu des bombes lacrymogènes, il tenait son tableau. Lorsqu’on lui a demandé qui c’était, il a dit : ‘’C’est Sembène Ousmane, il faut le protéger.’’ C’était au milieu des bombes et des balles, Ouagadougou était en émeute. Il fallait sauver la photo de Sembène Ousmane qui était dans l’hôtel saccagé. Que d’autres le fassent ? Mais que représente-t-il chez lui ? ‘’Je pense que l’Etat sénégalais doit racheter la maison de Sembène, comme Abdou Diouf l’avait fait en rachetant la maison de Birago Diop à ses héritiers pour en faire le siège de l’Association des écrivains du Sénégal, comme l’a fait aussi Abdoulaye Wade avec la maison de Senghor qui est transformée aujourd’hui en musée. L’Etat doit acheter la maison de Sembène pour en faire un musée du cinéma, où il y aurait une salle de cinéma, où il y aurait de la formation en montage, en caméra, etc. car il y a de l’espace’’, confiait-elle en 2015 après le salon du livre de Genève.

A cette même occasion, elle dénonçait l’état dans lequel la maison est abandonnée. Si elle passait devant cette même demeure en 2017, elle risquerait d’avoir le cœur fendu. La situation est allée de mal en pis.

Par ailleurs, de Sembène, il n’y a pas que sa maison qui est laissée à l’abandon. Même si on évoque son nom et son œuvre à chaque rencontre cinématographique, jusque-là, rien n’est vraiment fait pour lui rendre hommage. Comme l’a dit Ken Bugul, au Burkina Faso, Ousmane Sembène est un monument dans tous les sens. Une énorme statue le représentant trône à la Place des cinéastes à Ouagadougou. Et là-bas, quand on sait que vous venez du Sénégal, on ne demande pas Youssou Ndour, mais plutôt Sembène. Par contre ici, dans son pays natal, rien n’est fait dans ce sens.

A la commémoration de sa première année de décès, il était annoncé le baptême d’une grande avenue de Dakar en son nom. C’était en 2008. En 2017, rien n’est encore fait dans ce sens. Pis, l’on ne prend même pas soin de son patrimoine cinématographique. D’après la fille spirituelle du cinéaste, Adja Maï Niang, un an après le décès de son père, on lui avait fait part d’un risque d’expédition de l’œuvre de ce dernier aux Usa. Dans ce patrimoine, on compte le film déjà écrit mais pas tourné du réalisateur, ‘’La confrérie des rats’’. Il devait être le 3e de la trilogie qu’il voulait réaliser après ‘’Faat Kiné’’ et ‘’Molaadé’’. Un an après son décès, en 2008, Abdoulaye Wade, Président d’alors, promettait de financer le tournage à hauteur de 3 milliards. Une promesse non tenue. Le projet est encore dans les tiroirs.

‘’Le patrimoine de Sembène ne mérite pas ce sort. Le Sénégal doit tout faire pour avoir le patrimoine de Sembène Ousmane. Le pays pouvait l’acheter. C’est au Sénégal de le conserver ’’, plaide-t-elle. Car ‘’il fait partie des pionniers tant sur le plan littéraire que cinématographique et aujourd’hui, l’héritage de Sembène reflète les 3P c’est-à-dire populaire, polémique, et politique’’, ajoute-t-elle.

 Adja Maï Niang qui a fait l’effort d’ériger un monument en l’honneur de son papa attend aujourd’hui des autorités qu’elles sauvegardent le legs culturel de celui que ses pairs appelaient affectueusement ‘’L’aîné des anciens’’. Elle espère voir un jour une structure portant le nom de son parrain. Que cette dernière ne soit pas seulement une salle de cinéma.

BIGUE BOB

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