Publié le 4 Sep 2017 - 17:03

Dix espoirs font l’éloge de la politique

 

Le zapping aidant, un bref et exceptionnel moment de télévision attira notre attention sur un événement culturel inédit : dix jeunes (quatre filles et six garçons) firent parler d’eux en publiant un court essai collectif sur l’impérieuse nécessité de faire de la politique pour changer tout ce qui devrait l’être. Soucieux d’entraîner tout le monde, le collectif ne trouva pas mieux qu’une fracassante invite comme titre : « Politisez-vous ! » (United Editions, 2017).

Le plaisir d’entendre ce nouveau cri de ralliement ne nous empêcha pas de formuler dans notre esprit les questions grâce auxquelles nous rédigeâmes l’analyse critique sous vos yeux. Autour de quelle acception du vocable « Politique » tourne l’ouvrage ? Le tour de la question a-t-il été fait ? Sur quel levier dix jeunes auteurs gagent-ils un bel avenir en politique ? Que disent-ils de leurs aînés engagés en politique bien avant eux ? Quelle rigueur s’imposent-ils dans leur sentence ? Lieux communs ou stricte évocation des faits ? Quid du discours politique ?

Poncifs et excuse

Celles et ceux qui ont l’habitude de porter un jugement sur une œuvre littéraire avant de l’avoir lue sont priés de ne pas appliquer leur méthode paresseuse au travail, « salutairement pluriel », du collectif constitué par Ndèye Aminata Dia, Fary Ndao, Fanta Diallo, Mohamed Mbougar Sarr, Hamidou Anne, Youssou Owens Ndiaye, Racine Assane Demba, Fatima Zahra Sall, Abdoulaye Sène et Tabara Korka Ndiaye.

Planchant sur le « généreux geste d’amour » (p.35) auquel il assimile la politique, Youssou Owens Ndiaye écrit dans l’introduction à sa contribution : « Nous ferons abstraction des nuances entre les différentes acceptions du mot politique. » (p.36). Mohamed Mbougar Sarr prit le contrepied de son ami dans ce qu’il appelle « le degré zéro du pouvoir politique », qui, à ses yeux, consiste à « ne pas s’oublier comme citoyen, se rappeler que le destin politique se façonne au quotidien, avoir pleinement conscience que le pouvoir et la responsabilité politiques commencent en chacun (…) et s’exerce par tous (…) » (p.103). En distinguant « le politique » de « la politique » (« polity » de « politics ») et, plus loin encore, les deux premières acceptions de la dernière (« policy » pour désigner une « politique publique »), M. Sarr restaure la relation de pouvoir (du mandataire au mandant), essence même du politique. C’est à partir des propriétés mathématiques de la relation unidirectionnelle de pouvoir, du porteur de pouvoir au destinataire, que le philosophe politique Constantin Salavastru expliqua les changements observés dans les discours politiques. Pour Salavastru, les poncifs ou lieux communs qui alimentent les polémiques politiques sont une conséquence du caractère antisymétrique de la relation de pouvoir.

Il n’est donc pas surprenant que l’acte méritoire des dix auteurs soit truffé de lieux communs (polémiques) comme celui-ci : « La rupture de confiance entre la classe politique et les citoyens résulte d’un système essoufflé, incapable d’enrayer la montée des inégalités sociales et de répondre aux préoccupations de sa jeunesse. Les citoyens se sont détournés de la classe politique qu’ils jugent corrompue et immorale. » (p.19). Notre crainte est que le poncif de tous les moments politiques (préélectoraux, électoraux et post-électoraux) ne détourne la recherche en sciences sociales de la rigueur de l’investigation scientifique quand les espoirs d’aujourd’hui deviennent enfin les gouvernants rabougris par une sentence tout aussi universelle que fausse. S’éloignant du couperet du collectif dans l’espace qui lui est réservé, la créatrice de la marque de vêtements Modesty, Ndeye Aminata Dia, écrit : « Il ne s’agit pas de romancer le passé ni de décrier le présent, car le passé n’est pas sans ombres et le présent sans lumières. » (p.28). L’humilité scientifique dans le propos – même retiré de son contexte – redonne du sens à l’œuvre dont Aminata nuança avec panache les certitudes.

C’est à l’honneur du collectif d’avoir su passer d’une paresseuse excuse à la quête rigoureuse de faits probants. C’est à Fary Ndao que revient le mérite d’avoir relevé le défi lorsque son ami Hamidou Anne écrit : « La médiocrité, le pseudo-réalisme et la présence encombrante des experts et des communicants transforment la politique en espace de déclinaison de chiffres, statistiques et figures déconnectés du vécu des gens. » (p.19). Il suffit que les hommes et les femmes politiques deviennent les véritables proposés à la déclinaison pour que l’excuse de M. Anne s’évapore. C’est ce que Fary Ndao a compris lorsqu’il écrit : « (…) Lire, étudier l’histoire, connaître le rôle de l’Etat (exemple : le code de l’environnement), consulter des publications spécialisées (exemple : celles du GIEC), s’organiser en réseau avec d’autres associations, sont toutes des actions que mène un individu politisé pour ensuite diffuser son discours ([illustré]) au sein des masses. » (p.82).

La rigueur de Fary nous inspire une autre pour nuancer le propos de Mbougar lorsqu’il invoque (p.100) Rousseau et l’Américain Henry David Thoreau (1817-1862) dont l’œuvre majeure, Walden ou la vie dans les bois (1854), prône la simplicité volontaire à l’écart de la société. Le passage de l’individu de l’état de nature (vie sauvage) à l’état social (vie civile) est irréversible du fait du transfert de son indépendance au peuple. Soumis à l’état de nature aux lois inflexibles des choses, l’individu devient à l’état social un pur citoyen  soumis – en même temps que tous les autres citoyens – aux lois inflexibles de la république. L’égale soumission de tous à la loi générale est tout ce dont l’individu dénaturé se console.

Par loi générale, il faut comprendre celle dont tous les citoyens sont à la fois les législateurs et les sujets. Le retour à la nature n’est donc pas le propos de Rousseau dont l’œuvre inspira des révolutions au Nord comme au Sud. Bien sûr, Rousseau déduit de la confiscation progressive de la « res publica »  (chose publique) par le gouvernement d’un Etat l’impossibilité d’un exercice direct de la démocratie. Mais aucun des auteurs ne remet fondamentalement en cause la démocratie représentative. C’est que la crise de la représentation n’est pas l’horizon indépassable qui chagrine le collectif. Et tant mieux.

Nous ne savons pas de quoi est responsable l’excuse de Hamidou Anne dans la contribution (musclée) de Tabara Korka Ndiaye. On peut simplement regretter qu’elle ait pu, sans donner de chiffres précis, écrire qu’« il ne s’agit (…) nullement de construire des écoles pour que les filles soient davantage scolarisées. Il faudrait plutôt (…) faciliter l’accès à l’eau potable afin de leur éviter ainsi la corvée d’aller en chercher, ce qui, à la longue (…)  finira par aboutir au décrochage scolaire des filles comme le montrent les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD, RGPHAE 2013) (p. 49-50). A la suite de ce plaidoyer, Korka aurait mieux fait de donner elle-même les bons chiffres plutôt que de nous renvoyer à l’ANSD.

Devrions-nous abuser de son intérêt pour l’eau potable en milieu rural pour la renvoyer à notre tour aux données du premier rapport d’étape du Plan d’urgence pour le développement communautaire (PUDC) ? Bien sûr que non ! Mais une chose est sûre : les « chiffres, statistiques et figures [dudit rapport ne sont pas] déconnectés du vécu des gens ». Les « chiffres, statistiques et figures [de la Couverture maladie universelle, de l’Action sociale depuis avril 2012, de la Bourse de sécurité familiale et de la Bonification retraite ne sont pas non plus] déconnectés du vécu des gens ». En donnant l’impression d’être déconnectés de la société politique qui les a vus naître et de son devenir, les jeunes ont considérablement retardé leur politisation et longtemps différé leur ascension politique avec ou sans l’assentiment de leurs aînés.

De la fonction (politique) du discours

« Des années durant, écrit Tabara Korka Ndiaye (p.51-52), les dames Awa Thiam, Fatou Sow, Fatou Sow Sarr, Aminata Diaw et tant d’autres ont grandement contribué à faire comprendre les mécanismes d’asservissement qui existent et ôtent des droits aux femmes et à proposer des solutions pour y faire face. » « Les femmes au premier chef, ajoute-t-elle, doivent s’approprier ces contributions et les transposer autant que possible dans le champ politique. » Se pose alors le problème de la transposition et de la forme qu’elle doit prendre. La philosophe Aminata Diaw (Paix à son âme) plancha sur la question de la transposition dans un texte remarquable (Femmes, éthique et politique, 1999) où on peut lire : « Parce que la femme a été au service du développement et non une des finalités du développement, le discours politique n’a pu, dans une visée programmatique, circonscrire un espace public qui en fasse un élément opératoire et agissant du processus de délibération. »

S’y ajoute surtout que « (…) parce qu’il n’y a pas un discours de femme, en tant que la femme est objet et sujet de son propre discours, la femme ne peut être acteur politique et, du coup, la République se retrouve sans citoyennes ». Voilà ce dont Fanta Diallo a bien conscience lorsqu’elle soutient que « de nombreuses disruptions impliquent que nous nous formions pour être dignes des prochains défis. Ceux-ci requièrent la capacité de construire un discours politique cohérent et basé sur de fortes convictions. » (p.74). Si, enfin, « le discours est ce par quoi et pour quoi les acteurs sociaux luttent » (Foucault 1971), le levier discusif est bien celui sur lequel devrait être gagée la compétition politique saine à laquelle les membres du « Collectif d’août » - c’est nous qui les appelons ainsi – appellent la classe politique.

« Audace et Raison d’Espérer »

C’est au jeune membre – un peu moins de la trentaine – de la Convergence des jeunesses républicaines (COJER) de Pikine Ganaw Rail Sud, Pape Aïdara, que j’emprunte le slogan « Audace et Raion d’Espérer » avec lequel Pape clôture tous les messages politiques qu’il nous envoie depuis son téléphone portable et auquel nous répondons toujours pour ne jamais nous soustraire de la ferveur militante. Audacieux, raisonnable et optimiste, Pape s’invite à notre critique de l’opuscule des dix parce que Fatima Zhara Sall percevrait en lui « le don de soi pour le bien commun » (p.87) qui confère à la politique ce qu’elle a de « noble et de salvateur ». Au contact de Pape Aïdara, Zhara enrichirait son fatwa militant sur « l’absence de jeunes dans les instances représentatives » (p.90-91) et « l’assaut de la forteresse des partis politiques » (p.92-93) d’une expérience qui, jumelée à la sienne, rajeunirait les tours de table des grandes instances politiques. Les auteurs comme Zhara qui participent à l’animation des partis pour lesquels ils militent le font dans l’optique d’un exercice du pouvoir comparable à celui dont Racine Assane Demba – « au secours de la justice » sociale (p.55-65) et Abdoulaye Sène – arrimé à la « pensée de Cheikh Anta Diop » (p. 105-115) – louent la forme et le fond. Leurs chapelles politiques auraient dû être mentionnées dans la présentation (p.7-8) de chacun d’eux. L’éloge de la politique va de pair avec la transparence dans l’action politique.

Youssou Owens Ndiaye et Racine Assane Demba ont respectivement dédié leurs textes à Mamadou Dia et Cheikh Anta Diop. Même si le choix était fortuit, il aurait l’avantage d’unifier une œuvre plurielle qui réhabilite le langage politique et la « puissance publique ». S’agissant du langage, Cheikh rappelait, dans la préface aux « fondements économiques et culturels d’un état fédéral d’Afrique noire » (Présence Africaine, 1974) que « la qualité essentielle du langage authentiquement révolutionnaire est la clarté démonstrative fondée sur l’objectivité des faits, leurs rapports dialectiques, et qui entraîne irrésistiblement la conviction du lecteur ». Préférant le lexème « service public » à celui de « puissance publique », Dia, pour sa part, répondit aux contempteurs qui l’accusaient de vouloir le pouvoir pour le pouvoir : « Je regrette de ne pouvoir leur dire que je renonce au pouvoir ; parce que simplement le Pouvoir, je le conçois comme un service public. » (Lettres d’un vieux militant, 1991).

Cheikh et Dia ne se plaindraient pas beaucoup du contenu de l’œuvre sur laquelle nous venons de jeter un coup de projecteur. Pour cette raison et pour l’inattendu, nous encourageons le collectif et chacun de ses membres à poursuivre l’aventure littéraire et politique pour soigner la vie.

Abdoul Aziz DIOP

Diplômé de l’Ecole doctorale régionale africaine de droit et de science politique de l’UCAD

Conseiller spécial à la Présidence de la République

Membre du Secrétariat exécutif natio

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