Publié le 10 Aug 2012 - 08:10
DJIBO KÂ, DÉPUTÉ NON INSCRIT, ANCIEN MINISTRE

«Gérer ensemble, ce n'est pas possible»

 

Retour à l'Assemblée nationale pour le secrétaire général de l'URD. Qui, dans cet entretien, étale des regrets accumulés sous Wade non sans mettre en garde Macky Sall contre ses alliés.

 

 

L'autre jour, vous avez boudé la plénière à l'Assemblée nationale. Est-ce un signal par rapport à ce que sera votre comportement dans l'hémicycle ?

 

 

En tout cas, il ne faut pas compter sur moi pour des compromissions aussi dramatiques que celle d’hier matin. Ce sont des porte-voix des Sénégalais dans d’hémicycle et hors de l’hémicycle. Les problèmes sociaux, c’est important. Là, il n’y a pas d’eau, ni de courant, les semences ne sont pas bonnes. Certainement, elles seront renvoyées à l’envoyeur. L’école ne marche pas. Il y a tellement de problèmes importants sur lesquels on peut débattre, s’entendre. Ce n’est pas la peine de s’amuser comme ça.

 

 

C'est votre héritage, tout cela.

 

 

Ils sont là pour régler ces problèmes. On est partis, ils sont là. Ce sont les Sénégalais qui les ont choisis espérant qu’ils vont réussir. C’est mal parti. Il y a des hommes et des femmes de valeurs là-bas (dans le groupe Benno Bokk Yaakaar), c’est sûr. Mais Bokk Yaakaar, c’est Bokk Tass Yaakaar. C’est de l’humour !

 

 

En 1998, vous obtenez 11 députés contre 1 en 2012, et encore vous n'êtes élu qu'à la faveur du plus fort reste. C'est votre crépuscule politique ?

 

 

(Il pouffe de rire) C’est méchant ! C’est courant. L’élection présidentielle est tellement importante que lorsqu'un chef d’Etat est installé, il ramasse tout. Avant 2000, le PDS avait eu 90 députés, ensuite il est tombé à 10. C’est courant. Depuis 12 ans, on n'a jamais été aux élections tout seul. J’ai été piégé par l’alliance avec Sopi.

 

 

Pourquoi piégé ?

 

 

On a eu tort d’être sur une même liste. En 2007, j’avais voulu qu’on aille chacun (aux élections) sous sa propre bannière. On n’a pas fait ça ; c’était une erreur grossière, une contre-performance. On ne s’attendait même pas à avoir un seul poste... Je rends grâce à Dieu.

 

 

Vous êtes allé aux élections sans conviction alors…

 

 

Non, c’est une question de méthode, d’option. On devait aller aux élections. Depuis dix ans, on n’a pas été aux élections. C’est tellement grave pour un parti de rester comme ça, comme un wagon qui est transporté par une locomotive. C’est une illusion forte. Tu négocies des quotas comme Benno Bokk Yaakaar. C’est une grosse erreur.

 

 

Là, vous vous tirez une balle…

 

 

Bien sûr ! J’ai eu tort de ne pas aller aux élections. C’est ma faute. C’est une question de stratégie. Ce n’est pas la peine de tourner autour du pot. J‘avais annoncé que cette année, on irait aux élections. C’est une première étape. On verra plus tard. En octobre, je vais faire le tour du pays pour reprendre en main le parti. J’ai fait deux ou trois fois le tour du Sénégal. Je saurai qui est qui. Nos militants nous ont quitté au lendemain de l’alternance. Ils sont tous partis à l’APR. Moo xew ci rewmi (NDLR : c’est à la mode). Je vais faire une proposition de loi pour encadrer cette transhumance. Il faut régler cette question majeure qui gangrène le Sénégal.

 

 

Mais qu’appelez-vous transhumance ?

 

 

Toi Momar Dieng, tu es membre d’un parti X, un autre crée son parti. Tu quittes ton parti pour aller dans ce parti. C’est ça la transhumance. Mais quand vous avez votre parti, vous vous alliez avec un autre parti, ce n’est pas de la transhumance. Mais lorsque vous militez dans un parti pendant longtemps, et qu'un jour vous le quittez parce qu’il y a un nouveau chef avec qui vous espérez être promu quelque part, c’est grave ! L’opportunisme, c’est une gangrène qu’il faut extirper du Sénégal.

 

 

Vous, vous ne bougerez pas ?

 

 

C’est une insulte. Quelle question !

 

 

Est-ce que le scénario post 2000 est possible, c’est-à-dire que vous rejoigniez le parti présidentiel ?

 

 

Je ne pense pas. Pour l’instant, je travaille pour le Sénégal. C’est aux Sénégalais de dire ce qu’ils veulent que je pose comme problème à l’assemblée, comment faire pour que mon message soit porté à l’Assemblée et en dehors. C’est cela qui me taraude l’esprit.

 

 

Et si Macky Sall vous tend la main ?

 

 

Il n'a qu'à essayer pour voir.

 

 

Pour vous, rien n’est exclu comme d'habitude ?

 

 

Je ne l’ai pas dit. Ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est ce que veulent les Sénégalais. Ils m’ont élu pour quoi faire ? Les problèmes sont là : il y a l’eau, l'électricité, l’école, la santé, l’agriculture... C’est tout ce qui me préoccupe. Mais aussi reprendre en main mon parti en le renforçant dans les zones où il est faible. Ensuite la jeunesse et les femmes (...)

 

 

Comment expliquez-vous la débâcle de Wade le 25 mars ?

 

 

C’est parce que dafa xew (NDLR : C’est à la mode). Les gens en avaient marre de Wade.

 

 

Cette réponse, est-ce un moyen de ne pas dire les vraies raisons de votre défaite ?

 

 

Le 23 juin a marqué une date importante. On avait tort de proposer un ticket. C’est une grosse erreur qu’on a commise là. Wade a fini par le retirer, ce texte-là.… C’est le début de sa chute. C’est mon avis.

 

 

C’était le début de la chute de Wade ?

 

Oui, tout a fait

 

 

Quel rôle avez-vous joué dans ce projet de loi controversé ?

 

 

Ça, je ne le dirai jamais. C’est hors micro. Un chef d’Etat qui t’appelle pour te consulter, ce n’est pas dans la presse que vous allez dire ce qu’il a raconté. Ce n’est pas la peine.

 

 

On vous a présenté comme l’inspirateur de nombreux projets de loi controversés.

 

Je ne confirme ni n’infirme. C’est lui et moi devant Dieu.

 

 

Vous nous opposez la bonne vieille discrétion senghorienne.

 

 

Elle est très efficace. Il n’y a pas quoi se glorifier. L’Etat est au-dessus de tout le monde. C’est un chef de l’Etat à respecter. C’était mon chef de l’Etat qui me consultait de temps en temps...

 

 

Le président Macky Sall est là depuis avril. Percevez-vous une vision opérationnelle dans ce qu’il est en train de décliner ?

 

Il y a une bonne volonté de changer le pays. C’est une question de démarche et de méthode. Mais ce qui me fait peur surtout, c’est l’encadrement du président Macky Sall en tant que Sénégalais. Parce qu’on ne peut gérer ensemble un Etat. On gagne ensemble, on ne gère jamais ensemble. Il y a un seul chef qui définit sa politique sur la base de laquelle il est élu.

 

 

Il a dit qu’il est le chef.

 

 

Mais quand on dit qu’on gagne ensemble et qu'on gère ensemble, ce n’est pas possible.

 

 

C’est peut-être un simple un slogan politique.

 

 

On ne gère jamais ensemble un Etat. Il y a un seul Monsieur qui est élu. La présidentielle, c’est le rendez-vous d’un homme avec son peuple. On est élu ensemble pour être député sur la base d’une liste commune. Mais il y a un seul président élu dans tous les pays du monde. Il définit la politique de la Nation. Actuellement, quel est le programme de Macky Sall ? On ne le connaît pas. Je connais bien le Yoonu Yokkuté sur la base duquel il est élu certainement. J’entends parler des Assises nationales, ce n’est pas un programme politique. Ce n’est pas possible ! Bokk Yaakaar n’a pas un programme commun. C’était une alliance électorale qui voulait que Wade parte. C’est fait. On tourne la page. On laisse le Monsieur 65% tranquillement gérer son Etat et son mandat. On peut être associé au pouvoir, mais ce n’est pas une gestion collective.

 

 

Qu’est-ce qui explique que Macky Sall s'accroche à rester avec Niasse, Tanor, Idrissa…

 

 

Vous posez la question à Macky. Il est tellement intelligent ce monsieur-là.

 

 

Cela veut dire qu’il sait où il va ?

 

Sans doute, j’espère bien. Je prie pour ça.

 

 

Vous pensez qu’il est capable de gérer ces grosses pointures ?

 

 

J’espère bien. Pour l’instant j’observe. J’attends la déclaration d'Abdoul Mbaye (le Premier ministre).

 

 

Mais il y a des actes forts posés, notamment la réduction des denrées de première nécessité, la promesse de réduire son mandant de 7 à 5 ans, la réactivation des audits…

 

 

Il y a deux choses. Pour les denrées, cette baisse n’est pas significative. Allez voir les ménagères, allez au marché. Il y a une volonté certaine, mais s’il y avait une vraie baisse, j’en n'aurais pas débattu. Deuxièmement, sur les audits, tous ceux qui ont eu à gérer des deniers publics doivent être audités, même ses alliés. Il y en a beaucoup là-bas ! Tous doivent rendre compte, et pas un seul camp. Sinon c’est l’air d’un règlement de comptes politicien. Troisièmement, il a posé des actes politiques importants, mais ce n’est pas clair dans ma tête. J’attends la DPG (déclaration de politique générale).

 

 

Sur l’encadrement politique de Macky Sall, qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il laisse à désirer ?

 

 

Elle m’inquiète j’ai dit.

 

 

Qu’est-ce qui vous inquiète ?

 

 

Beaucoup de choses. C’est une question de méthode encore une fois. L’APR n’a même pas la majorité à l’assemblée. Il n’a que 65 députés sur 150, c’est important. Deuxièmement, ceux qui sont aux côtés de Macky étaient hier ses adversaires. Demain, ils seront ses adversaires peut-être. En tout cas, ça pose problème pour un Etat qui a besoin de stabilité durable. En tant que patriote, ça me pose problème. Il y a de grosses pointures que je ne n’ai pas vues dans le gouvernement. Pourquoi ? C’est une question que Macky Sall est en train de régler.

 

 

Pour vous, Bathily, Tanor Dieng, Niasse et autres leaders devraient être dans le gouvernement ?

 

Vous les avez cités. Je n’ai cité personne, moi.

 

 

Avec ces absences, comme vous dites, il y aurait des choses qui se trameraient de l'extérieur du gouvernement contre le chef de l'Etat ?

 

 

Plutôt des choses qui pourraient être contre-productives pour Sa gestion, pour Sa gouvernance, pour son Pouvoir, ce pouvoir que le peuple lui a confié. Ce pouvoir doit être non partagé, c'est un pouvoir souverain.

 

 

Ne jamais être candidat à une présidentielle tant que Wade serait là, c'est vous qui l'aviez déclaré.

 

C'est une grosse faute.

 

Et pour 2017 ?

 

C'est trop tôt, mais je suis encore là.

 

 

Dans cinq ans, vous aurez déjà passé la main peut-être.

 

 

Je suis le plus jeune des leaders politiques actuellement ! Il n'y a que Idrissa Seck qui est plus jeune que moi. Niasse a dix ans de plus que moi, Tanor Dieng, un an de plus, de même que Bathily. Un jeune comme moi ne peut pas déposer les armes si tôt. Niasse est encore là, lui ; Tanor Dieng est encore là, lui aussi. Pourquoi je devrais partir, moi ? Je refuse de partir. Tant que Dieu me donne un souffle de vie, et tant que les Sénégalais votent pour moi, je servirai le Sénégal.

 

 

N'avez-vous pas l'impression d'avoir été un professionnel de la politique ?

 

 

En tout cas, j'ai mon métier : consultant financier. Un économiste de formation comme moi doublé d'administrateur civil ne peut pas chômer. J'ai un cabinet de consultance qui s'appelle Cap Africa, que tout le monde connaît et qui est là depuis 1995. je l'avais arrêté, mais je le reprends. Je vis de ça.

 

 

PAR MOMAR DIENG ET DAOUDA GBAYA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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