Publié le 23 Nov 2016 - 21:50
DOCTEUR DEMBA MOUSSA DEMBELE (FORUM DES ALTERNATIVES)

‘’Nous ne déterminons pas notre politique’’

 

Le directeur du Forum africain des alternatives ne se retrouve pas dans la politique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (Fmi). Accroché avant-hier en marge d’une table ronde organisée au Codesria sur le modèle chinois de développement, Docteur Demba Moussa Dembélé a émis des réserves sur la politique développée par le Président Macky Sall, à travers le Plan Sénégal émergent (Pse), notamment à travers la présence intrusive du FMI et de la Banque mondiale. Du bruit qui entoure la découverte du gaz et du pétrole au Sénégal à la récente visite du Président Macky Sall aux Etats-Unis, en passant par le taux de croissance chiffré à 6,5%..., dans cet entretien, Dr Dembélé dissèque l’actualité sans langue de bois. 

 

A votre avis, comment l’Afrique doit-elle se comporter pour tirer profit de ce monde mondialisé ?

D’emblée, je pense que les dirigeants africains doivent repenser leur politique à l’interne, mais aussi leurs relations avec le monde extérieur. Aujourd’hui, toutes les régions du monde s’interrogent sur la voie à suivre, étant donné que les limites du ‘’modèle néolibéral’’ sont là, présentes. A cet égard, les Africains doivent mener cette lutte qui consiste à définir leur propre développement par eux-mêmes. Il s’agit donc de sortir de cette tutelle qui a été imposée sur les pays africains depuis près de trois décennies par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ; d’avoir un projet souverain au niveau sous régional, avec les 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest  (CEDEAO).

Vous vous intéressez aux progrès qui ont permis à l’Empire du milieu de faire un ‘’bond en avant’’. L’Afrique peut-elle copier le modèle chinois de développement ?

Non, on ne peut pas copier la Chine, parce que chaque pays a ses caractéristiques. Les cultures, les histoires…sont différentes d’un pays à un autre, y compris en Afrique. Par contre et cela, c’est l’histoire, on peut apprendre des choses utiles par rapport à l’expérience chinoise pour les mettre dans notre contexte. D’ailleurs, la Chine, elle-même, applique cette démarche. Elle s’est inspirée de l’expérience occidentale. Aussi, les pays développés font la même chose. De plus en plus, les Occidentaux envoient des étudiants en Chine, en Asie, pour apprendre et s’imprégner des expériences de ces pays-là. Donc nous aussi, en tant qu’Afrique, mère de l’humanité, nous ne pouvons pas échapper à ces phénomènes.

La pauvreté règne dans le continent africain, malgré les richesses naturelles dont elle regorge. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

C’est parce qu’on n’a pas mis en place les politiques de développement adéquates pour transformer, à l’interne, ces matières premières abondantes. Présentement, tout le monde parle de transformation structurelle. La commission économique des Nations unies pour l’Afrique, la Conférence pour le commerce et le développement des Nations unies, les dirigeants africains, de même que nos chercheurs ont tous reconnu que nous devons travailler cette voie relative à la transformation structurelle. Alors, ça veut dire qu’il faut mettre en place des politiques d’industrialisation propres à notre continent, éviter de vendre nos matières premières à l’extérieur ou bien d’importer tout ce qui est fabriqué à l’extérieur avec les mêmes matières premières du continent. Il n’y a que la politique d’industrialisation pour transformer l’Afrique, créer de la valeur ajoutée, des emplois pour retenir tous ces jeunes diplômés qui veulent servir leur continent. Malheureusement, ils n’arrivent pas à trouver les emplois qu’il faut. C’est ce qui fait qu’ils vont dans l’immigration clandestine avec toutes les tragédies que nous vivons.

Avec le recul, quel commentaire faites-vous de la découverte du pétrole et du gaz au Sénégal ?

Bon, tout le monde le dit. Evitons la malédiction des ressources naturelles. Autrement dit, nous devons faire en sorte que cette découverte du pétrole et du gaz ne soit pas confisquée par une minorité au détriment de l’écrasante majorité de la population sénégalaise, surtout, qu’elle n’aggrave pas la corruption, le népotisme ou asphyxie les autres secteurs de l’économie. A cet égard, elle doit aider à faire un entraînement dynamique pour que les revenus du pétrole et du gaz puissent impacter positivement sur les conditions de vie des populations dans le domaine de la santé, de l’éducation, des infrastructures. Sinon, ce sera la malédiction des ressources naturelles. De ce point de vue, la situation risque d’être ingérable au Sénégal.

Justement, par rapport à cette préoccupation, ces deux ressources soulèvent beaucoup de bruits dans ce pays. Comment expliquez-vous cette polémique qui les entoure ?

Oui, ça soulève beaucoup de bruits pour deux raisons majeures. La première, c’est qu’Aliou Sall (Ndlr), le frère du président de la République, est impliqué dans cette affaire du pétrole et du gaz. C’est donc normal que les gens en parlent. Partout, dans n’importe quel pays du monde, quand on voit la famille du chef de l’Etat mouillée dans ce genre d’activités, il y aura nécessairement débat. Deuxièmement, la société désignée n’a pas les capacités pour faire le travail pour lequel elle est attendue. Il s’y ajoute que la personne qui est derrière cette dernière, Frank Timis, est un personnage controversé. Alors, je dis que c’est presque un repris de Justice. Toutes ces considérations contribuent à alimenter le débat. Tant que le frère du président de la République continue à être mêlé à cette affaire, et qu’on laisse l’exploitation à Frank Timis, il est, de ce point de vue, évident que le débat ne va pas stopper.

Vous dénoncez la politique de la Banque mondiale et du FMI dans les pays africains. Récemment, le Président Macky Sall, en visite aux Etats-Unis, a sollicité le financement du FMI pour son projet de train Dakar-Bamako. Etes-vous en phase avec lui ?

Vous savez, il y a plus de 30 ans, la Banque mondiale et le FMI sont venus au Sénégal. Depuis les années 80, ces deux institutions ont dicté au pays toutes les politiques qu’on a suivies. Elles vont du Président Abdou Diouf à Macky Sall en passant par Abdoulaye Wade. Malheureusement, on est allé nulle part. Elles sont des instruments au service des pays occidentaux, notamment les Etats-Unis et l’Union Européenne. Elles ne développeront jamais l’Afrique. Pourtant, elles ont été créées après la deuxième guerre mondiale. Et malheureusement, tout le monde constate qu’elles n’ont jamais développé un pays. Alors, si le Président Macky Sall est invité là-bas, c’est pour qu’il applique davantage les politiques néolibérales dictées par ces institutions. Ce qui n’est pas dans l’intérêt du Sénégal.

Que dire de leurs financements?

Les financements de ces instituions viennent toujours avec des conditionnalités. Elles ne donnent jamais l’argent et vous disent : ‘’Faites ce que vous en voulez’’. Il y a des conditionnalités macroéconomiques, les privatisations de vos entreprises, l’austérité budgétaire etc. Donc, cet argent vient avec des conditionnalités draconiennes qui contribuent à détériorer la situation économique et sociale de nos pays. Sous ce rapport, croire que le Président Macky Sall a été invité pour qu’on lui donne de l’argent dans le but de nous développer, c’est se faire beaucoup d’illusions.

Vous remettez en cause l’apport de ces institutions qui encouragent le Sénégal à avoir un taux de croissance de 6,5%. Et les gouvernants s’en félicitent également.

Le taux de croissance dont ils parlent, il bénéficie à qui ? Les millions de Sénégalais ont-ils mangé ce taux de croissance ? Quel est son impact sur l’emploi, les revenus, sur l’amélioration des conditions de vie ? Oui, on peut en  parler. Mais il est porté par quel secteur ? Même si c’est 10%, qui en tire profit ? Si ce sont les entreprises étrangères établies au Sénégal, je dis qu’il ne sert à rien. Malheureusement, c’est ça la réalité. Ils ont beau dire 6 ou 7% de taux de croissance, ils ne feront jamais état du nombre d’emplois qu’il a créés ou les revenus générés par ce taux de croissance au grand bénéfice de tous les Sénégalais. Vous voyez dans quel état se trouve notre système éducatif, sanitaire, y compris le chômage de masse qui fait fuir des jeunes sur la Méditerranée, avec toutes les tragédies que nous connaissons. Ceci étant dit, le taux de croissance qu’ils nous servent ne prend en compte les intérêts du peuple sénégalais. Peut-être celui d’une petite minorité que j’appelle 0,1 %.

A votre avis, la politique du Président Macky Sall, à travers le Plan Sénégal émergent (Pse), n’est-elle pas viable?

Elle est ne l’est pas, parce que nous ne déterminons pas notre politique. N’oubliez pas que le Sénégal a passé un accord avec le FMI, à travers l’Instrument de soutien aux politiques économiques (l’ISPE). Vous le savez bien, de temps en temps, le FMI envoie des missions ici, au Sénégal, pour vérifier si le pays est conforme par rapport à ce qui a été arrêté. Donc, il ne détermine pas ses politiques macroéconomiques. C’est pour cette raison que nous n’irons jamais loin. La commission économique des Nations unies pour l’Afrique a dit que le continent africain est la seule région du monde à qui on a imposé 9 modèles de développement, depuis plus d’un demi-siècle. Et les résultats de cette politique ont été désastreux. Donc, c’est facile de parler du Pse, du Sénégal émergent. Chacun peut venir avec ses slogans. Mais la réalité, elle est là. Si le ‘’Sénégal émergent’’ se résume à construire quelques infrastructures, des ponts ou bâtiments, je dis que tout le monde est émergent. Cette émergence, c’est un simple slogan qu’on utilise. 

PAPE NOUHA SOUANE 

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