Publié le 23 Oct 2019 - 22:51
DOCTEUR MAHINE NDIAYE, SUR LES MEDICAMENTS DE LA RUE

‘’Seul le khalife peut régler le problème de Touba’’

 

Il est difficile de gérer le problème de la vente de faux médicaments au Sénégal, à cause, entre autres, d’un manque de volonté politique. Selon les acteurs de la lutte, pour Touba, qui constitue la plaque tournante, seul le khalife général des mourides, à travers son interlocuteur Macky Sall, est en mesure de le régler.

 

La vente illicite des médicaments est un phénomène qui prend des proportions inquiétantes. Partout en Afrique, se développent des réseaux de vente de médicaments en dehors des circuits officiels. Pour lutter contre ce trafic, l’Ong AcDev, dans le cadre de la formation sur la promotion de la santé de la 12e édition de l’Université francophone de Dakar, a organisé hier un panel sur la question. Pour docteur Mahine Ndiaye, membre du Comité de lutte contre les faux médicaments et l’exercice illégal de la pharmacie, c’est un fléau mondial. A son avis, ceux qui vendent les faux médicaments ne sont rien d’autres que des marchands de la mort.  

‘’De plus en plus, on compte qu’il y a les faux médicaments, avec l’entremise de l’Internet. Le problème devient crucial. Cinquante pour cent des médicaments qui passent par Internet sont des faux. Quand on regarde dans nos pays africains, on peut dire que 25 % des médicaments sont des faux. En Afrique, c’est surtout les antipaludéens, le sildénafil qui est utilisé par les hommes pour des performances sexuelles. Ce faux médicaments cause problème et entrainent la mort des populations. Il y a les antibiotiques qui entrainent un problème extrêmement important de résistance. Parce que si vous prenez des antibiotiques, à un moment, quand vous le prenez, les bactéries sont immunisées contre cette antibiotique ; c’est une mort certaine’’, fait-il savoir.

S’agissant de Touba où la situation est plus inquiétante au Sénégal, Dr Ndiaye soutient que seul le khalife général peut régler le problème. ‘’Quand le khalife général a dit qu’il ne veut plus de mèches, il n’y a plus eu de mèches. Touba se réglera par le khalife. C’est le président de la République, Macky Sall, son interlocuteur. C’est à lui de lui parler, lui expliquer les enjeux. Parce qu’il y a 850 insuffisants rénaux dans cette ville avec 26 lits dans la structure du néphrologue docteur Daha Bâ. En plus de cela, chacun essaie de se remplir les poches’’, dénonce Dr Mahine Ndiaye. Qui souligne, toutefois, que les médicaments ne sont pas fabriqués à Touba. ‘’Il n’y a pas d’industrie pharmaceutique à Touba. Les médicaments rentrent à Touba. Donc, il faut tarir les sources. Qui tarit les sources, c’est la gendarmerie, la police, la douane et tout cela c’est l’Etat. Mais il faut une volonté politique’’, précise-t-il. Avant d’ajouter qu’il faisait partie de la mission de lutte à Darou Mousty, quand on a restitué le médicament. ‘’On est allé même voir le khalife. Aujourd’hui, il n’y a plus de dépôt à Darou Mousty. Il n’y a que des pharmacies’’.

‘’Il faut criminaliser la vente de médicaments’’

Mais, de l’avis du président de Sos consommateurs, Me Massokhna Kane, l’éradication de ce fléau n’est pas pour demain. Car il y a un énorme manque de volonté politique. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il a quitté le comité, quand il a senti que l’Etat n’est pas dans les dispositions de régler ce trafic. ‘’Il y a une certaine complicité à des niveaux insoupçonnés, religieux, constitutionnel, sociétal. Ce trafic va continuer à exister, malgré les efforts faits.  Parce que, dans le cas de Darou Mousty, des instructions sont venues d’en haut pour qu’on relâche les trafiquants, mais aussi qu’on leur restitue les médicaments. Nous devons défendre la population. Il faut sanctionner sévèrement les trafiquants. On a beau sensibiliser, tant qu’on ne sanctionne pas sévèrement, cela va continuer’’, fustige Me Kane.

 Concernant les rumeurs sur la complicité de certains pharmaciens, Dr Ndiaye, soutient qu’il y a 300 à 400 dépôts à Touba sur 50 pharmacies. Donc, ‘’même s’il y en a, je ne dédoine pas l’ensemble des pharmaciens. Mais c’est une quantité vraiment infime par rapport à ces faux médicaments. Il y a peut-être des pharmaciens véreux, il y a des Ong, des complicités à des niveaux insoupçonnés. C’est une affaire de milliards. Le dernier camion qu’on a pris à Touba Belel, c’était 1 milliard 400 millions de francs Cfa. C’est beaucoup d’argent. Les vendeurs de drogue se transforment en vendeur de médicaments, parce que, quand on vous prend avec la drogue, vous allez en prison pour 15 ou 20 ans. Alors qu’avec le médicament, c’est juste des broutilles’’, assène Dr Mahine Ndiaye.  

A son avis, ‘’il faut signer la convention Médicrime qui criminalise la vente de médicaments de la rue. Parce que, dès que le médicament sort du circuit officiel, c’est un faux. Quand on prend un médicament qui doit être sur 30°, vous le mettez sur 45°, le principe actif est dénaturé. Entre le médicament et la drogue, ce n’est qu’un problème de dosage’’, fait-il savoir.  

Selon le docteur Mahine Ndiaye, le médicament est plus lucratif que la vente d’héroïne, de cigarette. Le commerce du médicament est 25 % plus rentable que celui de l’héroïne et 5 % plus rentable que celui de la cigarette.

Par ailleurs, Me Massokhna Kane a pointé du doigt la naïveté et la facilité des Sénégalais. ‘’La population ne peut continuer à s’adosser sur des raisons pécuniaires pour aller au suicide. Parce que dans les dépôts, les produits sont vendus à bas prix. Il faut prendre ses responsabilités. Nous devons dépasser ce stade’’, fulmine l’avocat des consommateurs.

VIVIANE DIATTA

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