Publié le 5 Aug 2015 - 03:16
DOCTEUR MBAYE PAYE

‘’Je vais porter plainte contre Babacar Mbengue pour diffamation’’

 

Après son limogeage du poste de médecin-chef du Centre de Santé Hann, les médecins ont décrété une grève de 48 heures. Dans cet entretien, Docteur Mbaye Paye bat en brèche les ‘’accusations’’ faites par le maire Babacar Mbengue et annonce une plainte pour diffamation, dès aujourd’hui.

 

Votre limogeage par le maire Babacar Mbengue a créé la  polémique. Que s’est-il réellement passé ?

J’étais vraiment étonné, le vendredi 24 juillet, d’apprendre par ma secrétaire que le maire m’a mis à la disposition d’une Direction des Ressources Humaines qui n’existe pas, en attendant d’être affecté à d’autres fonctions. J’ai appelé le secrétaire municipal, il m’a dit d’attendre le maire parce qu’il était absent du territoire. J’ai envoyé la note au syndicat autonome des médecins du Sénégal. Parce que c’est un licenciement qui ne dit pas son nom. Nous nous sommes réunis au niveau de mon syndicat, parce que tout cela, ce sont les conséquences de l’Acte III de la décentralisation. Avec l’Acte III, les communes sont devenues des communes de plein exercice, mais cela ne veut pas dire que le maire a le droit de recruter et de démettre qui il veut, à tout moment. J’ai été médecin-chef du centre de santé de Ouakam, de 2001 à 2004, puis médecin-chef du centre de santé des Parcelles Assainies Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh, de 2004 à 2010. A Ouakam, il y avait un comité de santé et un maire, pareil pour les Parcelles. On ne m’a jamais reproché de faute de gestion dans les deux districts où je suis passé.

J’ai été affecté à Hann en 2010. Lorsque je suis arrivé, le centre de Santé Hann sur Mer était dans un état de délabrement, de dégradation très avancé. Il y a une fosse septique qui est dans le centre, qui se déverse continuellement. Avant mon arrivée, le comité de santé s’occupait de sa vidange et cela coûtait cher. Quand je suis arrivé, nous avons acheté 4 pompes immersibles qui coûtent cher et ces pompes sont détériorées du fait du circuit électrique du centre qui n’est pas bon. Quand je suis arrivé, il n’y avait pas de split climatiseur. J’en ai installé dans tous les bureaux. J’ai installé un nouveau fauteuil dentaire, plus une radiologie. A partir de là, j’ai adressé des courriers. D’abord, le 25 avril 2013, un courrier de demande de révision du circuit électrique au directeur de la DASS. Le 8 novembre 2013, j’ai adressé un autre courrier au maire de la commune de Hann, Babacar Mbengue ; et le 17 décembre, j’ai encore envoyé une lettre à Khalifa Sall. Le 16 juillet 2015, j’ai adressé une demande de révision du circuit électrique et de dérivation de la fosse septique à l’égout, et on m’a dit que c’est cette lettre qui a précipité mon limogeage, parce que le maire était très fâché. Alors que celle-ci ne fait que rapporter les anciennes que j’avais écrites pour la révision du circuit électrique du centre. Cette lettre est logique.

Selon le maire, il y a plus de 10 millions dépensés que vous n’arrivez pas à justifier ?

Le médecin-chef du centre de santé, du district ou de poste de santé ne gère pas les recettes. Il faut qu’on l’explique bien aux populations. Dans les centres de santé, postes et districts, il y a des comités de santé. Le comité de santé est régi par la loi 92-07 qui régit le fonctionnement des comités de santé. Ce comité est formé de quatre membres : il y a un président et son adjoint, le trésorier et son adjoint et deux commissaires aux comptes. Il est écrit dans ce document que c’est le président du comité de santé qui ordonne les dépenses, le tresorier est dépositaire des fonds et le médecin-chef garde le chéquier. Le rôle du médecin dans le centre, c’est d’orienter le plan d’action pour la résolution des problèmes de santé, d’organiser des activités sanitaires, assurer le lien entre la population et la formation sanitaire, assister le président dans la mobilisation sociale (...).

Dans le centre de santé, le médecin-chef et son adjoint travaillent en collaboration avec ce comité de santé qui est autonome. C’est le comité de santé qui gère les recettes. Par conséquent, s’il y a détournement ou autre, ce n’est pas le médecin qui répond, mais c’est le comité qui répond. Pour éviter des détournements, le médecin et le bureau du comité se réunissent tous les deux jours pour voir la situation financière. J’ai même dit, à un moment, à Babacar Mbengue de venir lui-même ou de m’envoyer quelqu’un pour venir assister aux réunions. Il ne l’a jamais fait. Nous avions deux comptes : la Banque islamique et la SGBS. Comme la société générale est très loin, on a fermé ce compte pour ouvrir à la Banque islamique. Donc, nous avons tout ce qu’il faut. Vous voyez qu’un médecin ne peut même pas prendre de l’argent, parce qu’on ne touche pas à l’argent. Notre rôle, ce sont les tâches curatives et préventives. Le comité verse régulièrement et j’ai ici tous les bordereaux des versements. Donc ce qu’il dit, ce sont des allégations mensongères.

Mais dans le rapport, il est noté que le relevé bancaire mis à la disposition des enquêteurs ne reflète pas les recettes réelles collectées ?

Les relevés bancaires que je reçois, c’est le comité qui me les donne. Le maire est le président du comité de gestion. Depuis son installation en 2011, il n’a jamais convoqué une réunion du comité de gestion. Donc, s’il parle de détournement, lui-même il est impliqué, parce qu’il est le président. Quand je fais la situation financière, le trésorier verse aux comptes et m’amène les bordereaux. Je les garde. Il a fait un audit. Alors qu’il ne devait pas le faire. C’est moi qui suis allé dans son centre pour lui dire de venir jouer son rôle de maire et de président du comité de gestion. Il m’a dit qu’avant de mettre de l’argent dans le centre, il faut faire un audit.

Je lui ai dit de venir, parce que nous n’avons rien à cacher. Quand il est venu, j’ai tout mis à sa disposition, et le comité de santé a fait pareil. Ce matin même, le comité de santé a fait une sortie pour lui dire de venir les voir, parce que Mbaye Paye ne gère pas les recettes. Nous sommes mêmes déficitaires. Quand je suis arrivé en 2010, il y avait 8 millions de factures de technologie service et d’autres fournisseurs à payer. Ce que j’ai résorbé avec l’appareil électrocardiogramme et mes consultations. S’il veut savoir la situation financière, qu’il s’en réfère au comité de santé. Maintenant, quand il a fait la mission d’étude, normalement, il devait m’envoyer le rapport. Il ne l’a pas fait. Il l’a envoyé au district. Je suis venu prendre le rapport plus ma lettre de licenciement. Dans le rapport, il y a beaucoup d’allégations mensongères. C’est pourquoi je vais porter plainte contre ces diffamations de détournement de 8 millions, dès aujourd’hui.  

Et pourtant, il est écrit dans le rapport qu’il y a une absence totale de bons de commande, et peu d’achats disposent d’un bordereau de livraison ?

Ce n’est pas vrai. Ce dont il parle existe dans le centre. Il n’a qu’à s’adresser au comité et on lui apportera toutes les preuves ou documents dont il a besoin.

Le rapport a également révélé que les dépenses effectuées entre août et septembre 2014 ne sont pas justifiées ?

Quand je venais au centre, il n’y avait qu’un seul compte. J’ai ouvert un compte à la Banque islamique. A un moment donné, j’ai fermé l’autre puisqu’il était éloigné. Les recettes du centre sont faibles. Par jour, on peut avoir 200 ou 300 mille. Moi, je garde des bordereaux de versements. S’ils ont constaté des anomalies, qu’ils aillent le demander au comité. Le comité a tous les justificatifs. Parce que la mission d’étude qu’il a menée n’est pas fidèle. Quand vous faites un audit, il doit être impartial. Mais les agents qui ont fait l’audit travaillent avec lui. Donc, ce n’est pas impartial. Il faut prendre un cabinet autonome indépendant qui ne connaît ni le centre de santé ni la mairie. Nous sommes prêts. Qu’il déclenche un audit.

La non-existence d’une comptabilité des dépenses a été aussi notée dans ce centre. Est-ce une réalité ?

Quand je suis venu, il n’y avait pas de gestionnaire dans ce centre, pas de pharmacie. C’était du n’importe quoi. J’ai demandé au maire de recruter un pharmacien. Et il n’y a toujours pas de gestionnaire, dans le centre. C’est le comité de santé qui joue ce rôle. Il est président du comité de gestion. Pourquoi il n’a pas amené un comptable ? Il y a des centres de santé qui n’ont pas de gestionnaires, mais le comité peut jouer ce rôle. Il faut que l’Etat ou les mairies envoient dans les districts ou postes de santé des gestionnaires ou des comptables pour pallier quelques insuffisances.

Le maire a dit que vous lui envoyez des factures de 1000 F pour achat de thé ou 2000 francs pour des pastèques sur des bouts de papier.

 Il vous a leurrés. Les pastèques et les crédits dont vous parlez, c’étaient des journées de vaccination. Il y a une clef de répartition dans le centre qui a été signée par Abdou Fall, en 2005. Pour les recettes, on a dit que 25% sont destinés à la motivation des ASP recrutés par le comité et 20% pour la motivation du personnel. Il y a aussi des rubriques 20% pour le comité, 5% pour la formation, ainsi de suite. Au niveau des médicaments aussi, il y a une clef de répartition de renouvellement de stock pour qu’il n’y ait pas de rupture au niveau de la pharmacie.

Mais nous avons un problème de liquidités parfois. Le centre n’est pas bien fréquenté. Le bon de 2 000 francs, j’étais sidéré quand il l’a dit. Il a déshonoré la profession. S’il y a une campagne de vaccination, c’est le comité de santé qui finance la vaccination. Parfois, c’est nous qui les prenons en charge en téléphone et en nourriture. Quand on a une rupture de bons de caisse, je prends une ordonnance pour écrire le bon, je signe et le donne au comité de santé. Les 20 000 francs, c’était pour donner du crédit aux vaccinateurs qui sont dans la commune, pour qu’ils puissent communiquer avec le district. Que le maire s’occupe des questions qui l’attendent comme la pollution de la baie de Hann, le relèvement du plateau technique du centre, le groupe électrogène, la dérivation de la fosse septique, le problème de l’électricité.

Le maire Babacar Mbengue vous a également traité d’agent commercial parce que, dit-il, vous faites deux consultations et la troisième, vous faites payer 7 000 francs au patient. Pourquoi vous le faites ?

C’est extrêmement grave. Quand j’ai acheté hier le journal (avant-hier), j’ai lu ses propos. Je le cite : ‘’On nous dit qui il est : il vous fait deux consultations et la troisième consultation, il vous fait payer 7 000 francs. C’est ça le social ? C’est un agent commercial.’’ Dès aujourd’hui, je l’amène à mon avocat et au Président de l’Ordre des Médecins. Je vais l’attaquer en justice pour ça. Le ticket de 7 000 mille francs n’existe même pas chez nous. Je n’ai jamais pris l’argent d’un malade. Je donne mon argent aux malades. Au contraire, je me bats contre ceux qui prennent l’argent des malades au laboratoire, à la maternité, à la salle de soins, d’injection. J’ai même fait des affiches au centre, parce qu’il y a beaucoup de corruption dans le système sanitaire. Mais je vais porter plainte et s’il dit qu’il ne l’a pas dit, c’est au journal, à celui qui a écrit que je vais adresser la plainte.

VIVIANE DIATTA

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