Publié le 9 Jun 2016 - 20:46
DOMINGOS SIMOES PEREIRA (ANCIEN PREMIER MINISTRE DE LA GUINEE BISSAU)

‘’ C’est la constitution du pays qui pose problème’’

 

La Guinée-Bissau est dans l’impasse depuis le limogeage du Premier ministre Domingos Simoes Pereira par le Président José Mario Vaz en août 2015. Et malgré la nomination récemment d’un nouveau chef de gouvernement en la personne de Baciro Dja, la situation commence à exaspérer les habitants tout comme la communauté internationale. A Dakar le weekend dernier dans le cadre du sommet de la CEDEAO, l’ancien premier ministre s’est confié à EnQuête. Entretien.

 

Vous êtes ici, à Dakar, au moment où la situation politique est tendue en Guinée-Bissau. Qu’est-ce qui se passe réellement?

Nous sommes venus accompagner le sommet et nous mettre à la disposition des chefs d’Etats de la CEDEAO pour exprimer notre vision et apporter des éclairages sur la situation politique en Guinée Bissau. C’est pour que les responsables de cette organisation régionale prennent des décisions qui vont dans le sens des attentes du peuple bissau-guinéen et le retour d’une société démocratique dans notre pays.

Par apport à votre question, il faut rappeler qu’en septembre 2015, on était ici à Dakar et la Cour suprême de Guinée-Bissau venait de prendre une décision d’annuler un décret présidentiel qui avait nommé un Premier ministre sans tenir compte des résultats des élections législatives. Après cette décision de la Cour suprême, les chefs d’Etats de la CEDEAO ont estimé qu’il fallait trouver une solution politique parce qu’il était difficile de forcer un président de la République à revenir sur sa décision, parce que ça peut causer des problèmes.

De ce point de vue, nous avons répondu à cet appel des chefs d’Etats de ladite communauté, mais également de ne pas de ne pas exercer notre droit de maintenir au poste le Premier ministre que nous avions choisi. Autrement dit, nous avons désigné quelqu’un d’autre. Mais, on a, quand même, dit qu’il fallait que la CEDEAO et les différentes institutions de la sous-région nous accompagnent pour que l’on puisse assurer ce compromis jusqu’à la fin de la législature.

Justement, pourquoi vous sentez le besoin de faire appel à des personnes externes dans cette affaire qui vous oppose au chef de l’Etat de votre pays?

Ecoutez, c’est parce que nous craignions que le président de la République ne respecte pas sa parole, puisque tout ce qu’il avait évoqué n’était qu’un prétexte pour m’enlever au poste de Premier ministre. Et, cela pouvait se répéter. Huit mois après cet épisode, le Président évoque d’autres prétextes pour changer le Premier ministre, de même que tout son gouvernement. Aujourd’hui, la situation est encore pire parce qu’il ne se tourne pas vers le parti vainqueur des législatives. Il a décidé de choisir une autre formation politique qui avait perdu les élections  législatives. Pour nous, cette question va au-delà des frontières de la Guinée-Bissau. Sous ce rapport, nous estimons que la CEDEAO doit être impliquée ainsi que toute la sous-région. Parce qu’ils ont toujours été présentes pour accompagner la situation bissau-guinéenne.

Pourquoi, au sein du PAIGC, vous n’arrivez pas à vous entendre sur l’essentiel, parce qu’il y a eu un blocage du programme du gouvernement de compromis, pendant huit mois, par les députés de votre propre formation?

Non, la question n’est pas le PAIGC. C’est un prétexte que le Président a trouvé pour tromper tout le monde et profiter de la confusion pour mettre en place ses intérêts. Comme vous le rappeler très bien, au début, le Président avait dit que le problème, c’était les relations personnelles entre lui et moi-même. Après, c’était une question de corruption. On a créé une commission d’enquête et juste après sa création, ce n’est plus une question de corruption. Il n’y a aucune rigueur dans tout ce qu’il fait. Parce qu’il a même oublié qu’il a chargé quelqu’un de s’occuper de la question de corruption. En un mot, c’est un président de la République qui cherche des motifs pour mettre en cause le gouvernement.

Ne pensez-vous pas qu’il vous craint, puisqu’il a fait état de questions personnelles au moment de votre limogeage?  

C’est faux. Il ne s’agit pas de questions personnelles. Si vous demandez au Président, il vous dira que Domingos  Simoes Pereira  a déjà tout oublié.

Peut-être qu’il vous prend comme un «potentiel» candidat à la prochaine élection présidentielle prévue en 2019…

Vous voyez, depuis que le Président a pris la décision de m’enlever en tant que Premier ministre, j’ai décidé de contribuer à l’apaisement de la situation politique en Guinée-Bissau. C’est pourquoi j’ai toujours refusé de répondre à cette question en disant que c’est une prérogative de notre parti. C’est le parti qui décide la personne qui doit le représenter dans les différentes échéances à venir. Déjà, nous sommes  en 2016.

Si ce n’était pas les problèmes que le Président a créés, ce n’est qu’en 2019 qu’on devrait parler de présidentielle et celui va porter le choix du parti. Aujourd’hui, je suis certain que le président de la République n’a jamais été prêt pour occuper le poste. Et, si mon parti estime que je dois me présenter, (et c’est quelque chose qui n’est pas passé par ma tête) c’est parce que je connais très bien notre constitution, je connais notre programme, et la combinaison qu’on fait du parti et de la constitution. Chez nous, nous avons estimé que le poste de chef du gouvernement, où j’étais, est celui qui répond à nos besoins et objectifs de bâtir un pays stable pour le développement.  

Concrètement, qu’est-ce que vous proposez comme solution pour sortir de l’impasse ?

D’abord, il faut que tous les acteurs politiques, de la société civile, y la société dans toute sa diversité, s’engagent pour dire que la Constitution est fondamentale et elle mérite d’être respectée. On ne peut pas être partie prenante d’un jeu politique sans en accepter les règles. Avant de se présenter comme candidat, il connaissait déjà notre Constitution. Donc, ce n’est pas normal qu’en arrivant au poste de Président, il se rend compte subitement que les prérogatives qui lui sont dévolues ne sont pas les meilleures. On ne peut pas, au moment de prendre ledit poste, changer toutes les règles qui ont été fixées. C’est devenu très facile d’utiliser la Guinée Bissau comme un prétexte en disant, ‘’bon, c’est un pays qui a déjà connu des conflits (…), que les circonstances définissent cette situation d’instabilité". 

C’est archi faux. Le pays n’a rien à voir avec cela. Ce sont les hommes qui veulent en profiter. C’est la raison pour laquelle ils ont créé une confusion pour que tout le monde pense que c’est impossible de respecter les règles fixées. Je pense que le CEDEAO, les Nations Unies l’Union Africaine, tout ceux qui s’investissent pour la paix dans la sous-région, ont intérêt à accompagner la Guinée-Bissau et les efforts que le PAIGC déploie, pour essayer de trouver une solution. Plusieurs partis politiques travaillent pour s’assurer que l’Etat de droit est une réalité en Guinée Bissau.

La communauté internationale, notamment la CEDEAO et le Président Obansanjo ont tapé du poing sur la table par rapport à la situation politique en Guinée-Bissau. Puisque le PAIGC et ses alliés constituent la majorité, n’avez-vous pas les moyens de revisiter la Constitution pour corriger les textes qui créent des blocages?

Effectivement, c’est normal de penser que la Constitution du pays  pose problème. Vous savez, cette même Constitution, qu’on estime problématique au niveau de la Guinée Bissau, fonctionne au Cap Vert et au Portugal. Peut-être qu’avec l’influence qu’on a de la sous-région, où se trouve notre pays, il est fort probable qu’on va se retrouver pour la revisiter dans le but de voir si on peut l’adapter à la sous-région. Mais, c’est un mauvais principe de justifier toutes ces maladresses par des questions légales. La loi, ce n’est que du papier. Les choses restent écrites. Ce qu’on attend, c’est que les hommes soient capables de comprendre qu’il faut s’engager dans le dialogue, de faire des compromis et d’être capables de respecter la limitation du pouvoir. Parce que c’est là que se trouve le problème. Et, je rappelle que le plus grand mérite de la démocratie, c’est qu’elle fixe les limites du pouvoir des uns et des autres.

Que pensez de l’action du ministère Public qui a ordonné l’évacuation des locaux du gouvernement par les ministres de votre parti renvoyés de leurs fonctions? Ils ont un délai de 48 heures pour quitter l’édifice.    

Justement! Ça, c’est une indication claire du type de régime que le Président Vaz veut instaurer en Guinée-Bissau.

De quel régime s’agit-il? 

Dictatorial ! Je me demande même si vous, citoyens africains, ici au Sénégal, vous ne trouvez pas cela bizarre que ce soit le ministère Public qui prenne cette sorte de décision? Ecoutez, nous sommes en face d’une situation où le Président de la république va mobiliser les compétences qui sont celles d’autres organes de souveraineté, qui décide par sa volonté unique de ne pas reconnaitre le parti qui a remporté les élections législatives, qui décide d’attribuer cette compétence au deuxième parti minoritaire au niveau de l’assemblée et cela, malgré que le parti majoritaire essaye de proposer une position de compromis et cela contre toutes les règles fixées. Il va provoquer des confrontations violentes. Vous avez vu lors de l’annonce du décret présidentiel, les gens sont venus pour montrer, de façon pacifique, leur colère par rapport à la décision qui a été prise.

Quelle a été la réponse ? Le président convoque l’armée pour réprimer les gens. Alors, pour éviter ces confrontations et pour éviter d’exposer le peuple bissau-guinéen, les membres du gouvernement ont trouvé cette formule pour attirer l’attention de la communauté internationale et les acteurs politiques et sociaux bissau-guinéens afin qu’on trouve un mécanisme de sorti de crise qui rassemble tout le monde. Encore une fois, le Président, par la voix de son ministère public, a essayé d’utiliser la violence. Nous espérons qu’au moment venu, il va prendre ses responsabilités par apport à la situation qu’il est en train de créer.

Vous êtes l’un des Bissau Guinéen les plus "sénégalais" puisque vous êtes originaire de la région de Farim, tout près du Sénégal. Or, le Gouverneur de cette région s’est récemment plaint de l’occupation des terres arables des populations par des rebelles du MFDC. N’est-ce pas là une faillite de l’Etat Bissau Guinéen ?

Je suis de Cacheu qui est encore plus proche de la Casamance. La situation que vous venez d’évoquer montre justement que s’il n’y a pas de paix, cela va compromettre la situation des deux côtés des frontières. Voilà tout l’intérêt de trouver des mécanismes pour dépasser cette situation. Qu’est-ce que l’on gagnerait à dire que la responsabilité de cette situation incombe au Sénégal ou à la Guinée Bissau ? Nous sommes tous des victimes d’une situation sur laquelle il faut réfléchir pour trouver des mécanismes de dialogue qui, avant tout proposent des alternatives de vie meilleure aux gens autrement que leur laisser le seul choix de perturber un côté comme l’autre des deux pays.

Aussi bien les bissau-guinéens que les sénégalais ont intérêt à trouver ce mécanisme. Et ce mécanisme est toujours plus éloigné lorsqu’au lieu de chercher l’entente entre les deux pays, on va pointer un doigt accusateur en disant que c’est le Sénégal qui agresse la Guinée Bissau où c’est la Guinée Bissau qui agresse le Sénégal. Moi je ne rentre pas dans cette logique. Je pense qu’on a intérêt à ce qu’on a vécu en 1998 ne revienne jamais entre nous, parce que nous sommes des frères.

Vous dites que je suis très proche du Sénégal. J’ai un oncle qui est sénégalais, j’ai des cousines qui sont sénégalaises 100 %. Alors comment faut-il justifier ce qui ne va pas en Guinée Bissau par la faute du Sénégal et vice versa ? Parce que c’est ça qu’il faut éviter. Il  y a  des stéréotypes, on est des voisins mais on ne se connait pas aussi bien qu’on devrait se connaitre. En Guinée-Bissau, une partie de la population pense que les sénégalais ce sont des commerçants et certains sénégalais pensent que les Bissau Guinéen, ce sont des gens qui se font la guerre.

Ça, ce sont des stéréotypes. Bissau-guinéens et Sénégalais sont des hommes normaux qui veulent pratiquer la science, les affaires et le progrès. Tous ceux qui ne peuvent pas à améliorer leur vie pensent qu’ils n’ont pas d’alternative. C’est à nous de trouver cette alternative, de montrer qu’on peut travailler ensemble pour obtenir ce progrès des deux côtés, jusqu’à ce qu’on ne parle même plus de la frontière entre nos deux pays.

Par Mame Talla Diaw

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