Publié le 7 Feb 2018 - 22:43
DOSSIER DE LA CAISSE D’AVANCE DE LA MAIRIE DE DAKAR

Le déballage de Khalifa Sall

 

Avant son interrogatoire sur les faits qui lui sont reprochés, Khalifa Sall a décidé, hier, de faire l’historique de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Ce, pour ainsi arriver à son dossier qui lui vaut un procès. Une accusation qu’il a qualifiée ‘’d’infamante et gênante’’. Raison pour laquelle le maire a fait des révélations devant la barre du tribunal correctionnel de Dakar.

 

‘’Khalifa Sall à la barre’’. La voix du juge Malick Lamotte résonne dans la salle. Les avocats de la défense viennent de terminer leurs interrogations avec le directeur administratif et financier de la mairie, Mbaye Touré. Le moment tant attendu arrive. Tous les regards sont pointés sur le premier magistrat de la ville. Il se lève et se dirige vers le prétoire. Un calme plat règne dans l’assistance. Emmitouflé dans un grand boubou blanc, les lunettes bien ajustées sur le nez, Khalifa Sall fait face au président du tribunal correctionnel de Dakar siégeant en audience spéciale à la salle 4 du palais de Justice de Dakar. Il distribue des sourires par-ci, par-là.

L’édile de la capitale n’a pas l’air ébranlé par les charges qui pèsent sur lui. Il prend la peine de saluer, avec la manière qui sied, le juge, le procureur de la République, les avocats de l’Etat, ceux de la mairie de Dakar, l’agent judiciaire de l’Etat, ses conseils et ses co-inculpés. L’homme est à l’aise. L’image renvoie à celle d’un chef de parti qui doit livrer un discours lors d’un meeting politique ou une adresse à la nation. L’instant est solennel. Après que ses 5 collaborations, à savoir Mbaye Touré, Amadou Moctar Diop, Ibrahima Yatma Diao, Yaya Bodian et Fatou Traoré ont été soumis à une interrogation d’audience, c’est au tour de Khalifa Sall de répondre des chefs d’accusation pour lesquels il a été placé sous mandat de dépôt depuis le 7 mars 2017.

‘’ Ils ont eu la main très lourde’’

12 h 45 mn. Malick Lamotte lit l’ordonnance de renvoi pour notifier au prévenu les infractions à lui reprochés courant 2011-2015 à Dakar. ‘’Monsieur Khalifa Sall, vous êtes poursuivi pour des faits de détournement de deniers publics portant sur la somme de 1,830 milliard de francs Cfa, d’escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux en écriture administrative et de commerce, d’association de malfaiteurs. Vous êtes également poursuivi d’avoir aidé ou assisté Fatou Traoré et Cie dans la commission des délits ou crimes’’, expose le juge. Tout en lançant : ‘’Reconnaissez-vous les faits ?’’ La réponse fuse : ‘’Je conteste énergiquement ces accusations’’, rétorque Khalifa Sall.

Le débat est campé. En effet, le maire avait déjà annoncé la couleur, avant-hier (lundi), avec la lecture de sa déclaration liminaire. Du coup, il n’a pas déçu son monde. Loin d’essayer de se débiner, il a dit ne pas comprendre, depuis le jour de son inculpation, ce qui lui est arrivé. ‘’Lui et ses co-prévenus’’, précise-t-il. Avant de souligner ‘’qu’ils (ses accusateurs) ont eu la main très lourde’’. Khalifa Sall tient à faire la lumière sur cette affaire. ‘’Vous me jugez à propos de la gestion de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Donc, il m’incombe de vous dire son origine et ses fonctions’’, fait-il savoir au président. Lamotte ne lui oppose pas un niet.

D’emblée, l’édile de la capitale déclare que ce dossier est simple. Il rappelle qu’il a été élu maire de la ville de Dakar, en 2009. Depuis cette année, ils ont essayé de créer les conditions d’une gestion transparente et efficace des ressources de la commune. Cela de manière ‘’participative et inclusive’’. C’est-à-dire avec les conseillers municipaux et les Dakarois. C’est la raison pour laquelle, poursuit-il, ‘’nous nous sommes interdits de faire des choses anormales’’.

L’édile de déclarer : ‘’Nous n’avons jamais voulu faire les choses qui sont contraires aux règles orthodoxes. Du coup, cette accusation est infamante et gênante, surtout quand elles concernent des fonds que tous les Sénégalais, surtout la classe politique, connaissent.’’ ‘’Surtout qu’en l’espèce, avance l’inculpé, la situation est très claire’’. Pour Khalifa Sall, il est de son devoir d’éclairer la lanterne à ses concitoyens.

‘’C’est Macky Sall qui m’avait parlé de ces fonds, en 2012, et m’avait sollicité’’

Toujours dans le dessein de blanchir ses co-prévenus, le maire veut faire tomber le délit d’association de malfaiteurs.  Il déroule : ‘’Il n’y a jamais eu de réunion ou d’entente entre nous pour faire une quelconque malversation. Je ne me suis jamais entretenu avec les percepteurs ou les agents de la mairie. Ils n’ont jamais reçu aucun sou. Ils n’ont pas besoin de jurer. Ces fonds n’étaient pas destinés aux agents de la ville. Dakar joue un rôle politique éminent, c’est pourquoi ces fonds politiques ont existé depuis longtemps’’. Sur ce, Khalifa Sall a fait la genèse de la gestion des fonds politiques, depuis la période postindépendance. Période à laquelle la caisse a été gérée par le gouverneur de l’époque.

Le prévenu narre qu’après la réforme de 1983, le maire est devenu l’ordonnateur. Ainsi, l’argent était mis à sa disposition. A ce moment, la tutelle (ministre de l’Intérieur) exigeait de l’édile de rendre compte au ministre de tutelle (ministre délégué chargé de la Décentralisation). Khalifa Sall souligne que 1996 a été un tournant révolutionnaire pour les collectivités. Que c’était un moment d’émancipation. ‘’Il n’y a plus de tutelle. C’était la disparition de tout contrôle. Le maire était désormais responsable devant son conseil municipal et, à ce moment, les fonds politiques ont continué à exister. Le maire recevait l’argent directement par un mécanisme administratif et financier mis en place par le percepteur. C’est pour dire que les fonds politiques s’identifient à la Ville de Dakar ‘’, fait-il remarquer.

‘’Aujourd’hui, nous sommes attraits devant cette barre, puisque c’est le dispositif de 1996 qui nous est reproché’’, poursuit le maire. M. Sall précise, une fois de plus : ‘’Mes co-prévenus n’ont pas de place dans ce procès. Si, entre juin et septembre 2012, j’avais accepté une offre politique ainsi que les démarches, je ne serais pas ici. Ce procès est éminemment politique. Je continue à vous demander de libérer ces gens et de les laisser partir.’’ Toujours sur cette caisse d’avance, le maire indique qu’en 2010, ‘’nous en avons discuté avec Abdoulaye Wade’’.

Rien que ça ! Avant de déballer : ‘’Mais, en 2012, c’est Macky Sall lui-même qui m’avait parlé de ces fonds et m’avait sollicité. C’est pourquoi nous sommes surpris qu’après 21 ans de fonctionnement de cette caisse, qu’on puisse nous traduire devant cette juridiction.’’ Un piège ? Khalifa Sall convoque les déclarations du secrétaire d’Etat de la présidence de la République. ‘’Mbaye Ndiaye a dit qu’Abdou Diouf s’était entendu avec Mamadou Diop et Abdoulaye Wade avec Pape Diop. Alors que Macky Sall ne s’entend pas avec Khalifa Sall. C’est ce qui explique les démêlés judiciaires de ce dernier’’, rappelle-t-il.

‘’Les bénéficiaires sont parfois de grandes autorités souffrant de la prostate, du cancer de l’utérus et des seins’’

Agent de la mairie depuis 1984, le maire fait savoir que ces fonds étaient destinés à la population de Dakar. A l’en croire, tout le monde sait que si les administrations fonctionnent, c’est en grande partie avec l’aide et le soutien de la Ville de Dakar. ‘’Nous avons des sollicitations des administrations, de la décentralisation, de la sécurité et de la sûreté. Nous avons des sollicitations des autorités coutumières, religieuses, des populations elles-mêmes, c’est-à-dire des grands malades. Nous avons été confrontés à des besoins de vie primaires ou élémentaires. Si nous avons agi, c’est parce que ces fonds ont toujours servi à cela et nous avons continué dans cette veine’’. Non sans préciser que les dépenses sont réglées en espèces. ‘’De même, nous sommes sollicités par l’Etat, quand il s’agit d’autres manifestations comme la célébration du 4 Avril ou encore la visite des chefs d’Etat’’.

A ceux qui souhaitaient qu’il dévoile les noms des bénéficiaires de ces sommes d’argent, le maire a répondu que la nature de ces fonds, c’est d’être discrète et ils ne demandent pas de justificatifs. ‘’Il y a eu un débat pour qu’on ne donne pas les noms. Je pense que nous n’avons pas besoin de le faire, car ces fonds sont sollicités par tout le monde’’, avance-t-il. Et de renseigner : ‘’Ces fonds n’ont pas vocation à être justifiés.  De tous les édiles de la capitale dakaroise, depuis Jean Alexandre jusqu’à Pape Diop, il n’y a aucun document d’archives. Chaque maire, au terme de son mandat, part avec son cahier.’’

Toutefois, renseigne Khalifa Sall, le chef de l’Etat a pour vocation de solliciter le maire dans beaucoup d’actions. ‘’Il n’y a aucune autorité dans ce pays qui ignore cette caisse d’avance. Ces fonds politiques ne servent pas au maire ou aux agents de la ville’’, laisse-t-il entendre. Toutefois, il soutient qu’il y a de graves malades qui font des demandes de prise en charge. ‘’Chez les hommes, il y a des malades qui souffrent de la prostate et du poumon. Chez les femmes, on note le cancer de l’utérus et des seins. Chez les enfants, il y a les problèmes cardiaques. C’est parfois de grandes autorités, des hommes et des femmes qui ont servi ce pays. Je refuse de dévoiler leurs noms. Je ne peux pas porter la maladie d’une personne à l’opinion publique. Tous ces types d’interventions, nous en avons beaucoup faits et nous ne donnerons pas les noms des bénéficiaires’’.

‘’Pourquoi Yatma Diao nous a fait tous pleurer’’

Parlant du rapport de plus de 700 pages de l’Inspection générale d’Etat, l’édile a signifié que dans ce document, ‘’c’est surtout des félicitations et des recommandations envers l’Administration que nous soutenons au niveau de la Ville de Dakar, des murs à repeindre, entre autres’’. C’est pourquoi, souligne le maire, ‘’nous sommes inquiets, quand on nous parle de détournement de deniers publics. Il n’y a pas de coffre-fort dans mon bureau. Idem pour Mbaye Touré. Nous avons fait que l’argent aille au niveau de celui qui le demande. Nous ne sommes pas des receleurs’’.

Préoccupé par le sort du plus jeune des prévenus, Khalifa Sall révèle : ‘’Ibrahima Yatma Diao nous a fait tous pleurer. Un jour, il a dit : ‘Monsieur le Maire, qu’est-ce que j’ai fait pour que ma vie bascule, tout d’un coup ?’ Je lui ai rétorqué qu’il a juste été au mauvais moment endroit, au mauvais moment.’’ Le maire de réaffirmer que cet argent à servi aux Dakarois, aux populations en général. ‘’Nous pouvons le démontrer. De plus, je précise que c’est l’argent de la Ville de Dakar et non pas celui de l’Etat. C’est tout ce que j’avais à dire’’, a-t-il conclu.

Le juge Malick Lamotte pouvait ainsi commencer à poser ses questions. Sur les faits, rien que les faits. A Khalifa Sall d’y apporter des réponses.

AWA FAYE

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