Publié le 3 Apr 2017 - 23:09
DOUDOU GNAGNA DIOP (PRESIDENT DE L’ORGANISATION NATIONALE POUR L’INTEGRATION DU TOURISME SENEGALAIS-ONITS)

‘’Il faut d’abord réformer la législation sur la classification’’

 

Le président de l’Onits, Doudou Gnagna Diop, salue la mesure prise par le ministre du Tourisme de reclassifier les réceptifs hôteliers qui ne répondent pas aux normes. Le promoteur estime que cela va permettre d’assainir le secteur. Dans cet entretien, ce responsable du Parti socialiste revient sur le diagnostic erroné, les mauvais choix et les correctifs à apporter dans le secteur.  

 

Comment avez-vous accueilli la mesure prise par le ministère du Tourisme qui est de classifier les réceptifs hôteliers ?

Nous avons lu cette nouvelle dans les journaux. C’est une annonce que nous avons reçue avec beaucoup de satisfaction. Depuis quelques années, nous avons dit ce qui tirait notre secteur dans les bas fonds. Ce n’était pas seulement les problèmes qu’on évoquait. Il y en avait d’autres, sous-tendus, qu’on n’évoquait jamais. L’anarchie qui sévit dans le secteur, en termes de notoriété, en fait partie.  Moi, je ne le dirai pas comme on l’a exprimée dans les journaux. Je dirai plutôt que notre ministre de tutelle a pris l’initiative plutôt d’assainir le secteur. Toute activité, quelle soit sociale, économique ou politique, nécessite, par moment, un assainissement pour pouvoir avancer. Comme on dit : les mauvaises herbes obstruent, constituent un goulot d’étranglement par rapport à ce qui est dynamique, actif. Donc, il faut enlever les mauvaises herbes. Si on ne peut pas les enlever complètement, il faut les restructurer, les aider à se régénérer pour être à la hauteur de ce qui se fait partout, pour être compétitif.

Mais est-ce que la solution se trouve dans la catégorisation des réceptifs hôteliers ?

Cela fait des décennies que nous sommes dans ce secteur. On connait aussi comment ça fonctionne ailleurs. Il faudrait d’abord dans notre pays voir la législation. J’ai toujours fait des objections sur la législation hôtelière de notre pays. Sur les lois de classification, parce qu’on a pris des cas, des référentiels venus d’Europe. On n’a pas le même climat, on n’est pas dans les mêmes contextes. Un seul exemple dans les classifications passées : on a parlé de moquette pour être un quatre étoiles. Je dis qu’on n’a pas besoin de moquette dans notre pays. Pourquoi ? Parce qu’il fait humide.

La moquette emmagasine de la poussière, donc les asthmatiques, les personnes allergiques aux acariens etc. ne tolèrent pas ces atmosphères dans les chambres. Donc, ce n’est pas nécessaire. J’ai constaté des choses désuètes, des choses aberrantes qu’on avait mises dans cette législation. J’approuve et j’applaudis, la classification, mais avant de re-classifier ou de requalifier, il faut d’abord réformer la législation sur la classification. Parce que, les choses ont changé, les temps ont changé, les formes de tourisme ont changé, les formes de réceptifs et d’infrastructures ne sont plus les mêmes.

Par ailleurs, notre tutelle a décidé de requalifier les hôtels. Il est vrai que le niveau de prestation pour certains services, la qualité de prestation dans nos hôtels ont été aussi des éléments qui n’étaient pas en faveur de la promotion qu’on a toujours souhaitée.  Au contraire, c’était un obstacle à une promotion touristique. Il y a certains hôtels,  quand on y va et qu’on y entre, franchement, l’on se demande réellement est-ce-que c’est un hôtel. Si le gouvernement a pris l’initiative de réformer ou de restructurer ces hôtels là via le crédit hôtelier, c’est une bonne chose. Donc, cette mesure est très bonne. On avait applaudi, à l’époque, sans transition sur le crédit hôtelier. Il faut aussi aider les gens à relever leurs niveaux de qualité de prestation de services. On ne peut le faire, si on ne les aide pas à rénover les infrastructures construites, depuis vingt ans, sans restructuration.

Une structure sera mise en place pour faire ce travail. Qu’en pensez-vous ?

Quand, j’ouvrais mon hôtel à la Somone, j’avais reçu une commission de classification qui m’avait classifié en trois étoiles. Trois étoiles, pour vous dire que j’avais une piscine, des chambres. Je n’avais pas de moquette. J’avais un beau carrelage etc. Donc, cette commission existait déjà. Qu’est-ce qui c’est passé entre temps ? La commission s’est volatilisée. On n’a pas renouvelé les personnes ressources qui composaient cette commission. Si on doit la remettre sur pied, elle doit être une commission saine, qui est exempte de parti-pris. Une commission qui marche avec les lois républicaines, voila ce qu’on souhaite. Et non prendre des personnes ressources non compétentes de notre secteur ou des personnes ressources qui ont un caractère assez fragile pour être influencées et puis faire n’importe quoi.

D’après les chiffres du ministère, sur 700 réceptifs, seuls 100 sont classés…

C’est l’avis de la tutelle. Ce qui prouve que nous ne pouvons pas garantir une bonne prestation de service dans l’industrie touristique sénégalaise. Comment ça se fait qu’on ait une industrie touristique sénégalaise qui a tous les avantages des pouvoirs publics, tous les avantages de notre économie et qu’aujourd’hui on nous dit que sur les 700 réceptifs, il n’y a que 100 qui ont été homologués. Donc, pendant toutes ces années où est-ce qu’elles étaient les personnes ressources qui s’occupaient de notre industrie touristique ? Voila ce que je dénonce, depuis quinze ans, en tant que promoteur dans le secteur.

Ce sont des choses anormales qu’on a vécues. Je dis bravo au président de la République, parce que c’est par là qu’il faut commencer pour une politique touristique. On a perdu du temps, depuis 20 ans, dans un secteur mal assaini où il y a l’anarchie. 50% de ce qu’on a toujours évoqué n’étaient pas des facteurs bloquants de notre secteur. C’est plutôt ce laxisme dans le secteur. Chaque personne qui débarque a son mot à dire, sa façon de faire, sans respecter notre législation, en bafouant complètement le secteur avec du dumping social, etc. Il est temps, à mon avis, qu’on remette tout ça en ordre.    

En tant qu’acteur, quel est votre avis sur le retour des tours opérateurs (T-O) ?

Je n’ai pas cessé d’objecté là-dessus. J’avais dit que le jour où on aura plus de bonnes prestations, une bonne politique touristique, les T-O vont partir. Ces T-O qui sont venus du temps des socialistes, quand le secteur touristique était en pointe, avaient toutes les facilités. A l’époque, on leur donnait la terre, on leur donnait tout, gratuitement, rien que pour satisfaire les ajustements structurels de notre économie. C’était ça le but et, eux, ils ne se sont pas fatigués. Après, quand les choses ont commencé à être difficiles, ils ont eu ce qu’on appel la plus-value sur les investissements de leurs capitaux, ce qui est humain et normal. Mais, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont préféré vendre et aller dans d’autres destinations. Moi, je vais me battre pour mon économie, parce que je veux défendre l’intérêt des générations futures. Mais, les gens qui viennent d’ailleurs et qui ont investi chez nous n’ont pas les mêmes motivations que nous.

Aujourd’hui, on ne peut pas faire une bonne promotion, tant qu’on ne les démarche pas, pour gagner des parts de marchés dans les foyers émetteurs de clients et il faut passer par ses T-O. Ces derniers ont vieilli. Ils ont été dépassés par l’E-tourisme. Il y a des facteurs autres que la difficulté du marché local. Certains T-O n’ont pas pu innover. Comme je dis toujours, on a un métier, on a un secteur où l’innovation est très rapide, les délais sont très courts. Ils ont eu toutes les facilités du monde avec les gouvernants passés, mais ils n’ont pas pu investir sur l’innovation du E-tourisme. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a les T-O virtuels.

Donc, il ne faut pas s’entêter à faire revenir les T-O classiques. Des pays, comme le Maroc, la Tunisie, traitent avec des T-O virtuels. Je conseillerai personnellement ceux qui sont concernés par le développement de l’industrie touristique, par innover et investir sur ce qui est novateur. C’est-à-dire que nous-mêmes Sénégalais, nous devons créer nos T-O.  Il y a certains T-O virtuels qui existent. Ils vendent des hôtels, mais ils les vendent mal. Les informations qu’ils donnent sur le Net ne sont pas vraies.

La preuve, j’ai eu un client que j’ai reçu, il y a un mois. Il est venu d’Allemagne. Il a été accueilli par une auberge qui se trouve à Yoff Layéne dans une rue quelconque. C’est une maison. Il n’y a pas d’enseigne, ni de réception. Il n’y a rien du tout. Ces gens là sont sur le Net. Ils sont partis accueillir le client à l’aéroport, ils l’ont amené, mais, à 5 heures du matin, le client m’a appelé pour me dire : il faut m’arracher de cette maison, le plus tôt possible. Pourtant, le client, depuis l’Allemagne, a payé via le net et très cher. Voila des choses qu’il faut arrêter dans le tourisme.

Il faut les fermer ces endroits. J’en profite pour dire que quand on prend l’initiative de restructurer les infrastructures hôtelières, il faudrait aussi légaliser les maisons hôtelières. Les résidences-maisons ce sont des hôtels à une étoile, parce qu’elles ont des chambres, une piscine, un restaurant, un petit-bar. Qu’est-ce qui les différencie d’une auberge qui se trouve à Palmarin ou à Yoff ? On est en train de jouer à l’injustice économique totale. Il faudrait que ses gens-là soient démarchés, parce qu’ils ne sont pas inaperçus. Qu’on sillonne le pays, qu’on les déniche et qu’on les oblige à se formaliser, comme a fait le Maroc. Il faut qu’ils aillent prendre un ninéa, un registre de commerce, comme tout le monde. Et après, on en profite pour les classer à une étoile. Qu’ils payent leurs taxes, comme tout le monde.

On impute à l’ancien Président Abdoulaye Wade les difficultés du secteur. Est-ce vrai ?

Moi, je suis rentré d’Europe sous le régime de Wade. Feu Ousmane Masseck Ndiaye a inauguré mon hôtel avec une délégation de l’Apix. J’ai été le premier projet agréé par l’Apix, en 2002. Ils en ont même fait leur projet phare, mais je n’ai pas été accompagné. Et aujourd’hui, j’ai muté vers l’écotourisme. Pourquoi ? Parce que justement la politique de l’époque ne nous a pas suivis. On a parlé de l’écotourisme : un tourisme sain, guidé, respectueux de l’environnement.

Une phrase qu’on a entendue pendant quatre ou cinq ans et qui n’a rien produit. Mais, il est vrai que la première alternance n’a pas profité de l’aubaine qui lui a été offerte pour rajeunir le secteur, le structurer et l’assainir. Ils l’ont abandonné et cet abandon a fait que les T-O sont partis et les Sénégalais sont démotivés. Moi, je suis encore là à me battre, mais, je connais une dizaine de mes collègues qui ont mis la clé sous le paillasson et qui sont retournés en Europe. C’est désolant ! J’aurais souhaité qu’ils soient plus combatifs, comme je le suis. C’est vrai que c’est le régime que nous avaient laissé les Socialistes avait structuré ce secteur partout au Sénégal. Quand le régime de Wade est venu, ce fut la prolifération des résidences. Le régime libéral en est fautif.

Que pensez-vous des chiffres qui disent qu’en 2016, le Sénégal a accueilli 1,6 million de touristes ?

Chapeau à mon pays ! Cela prouve qu’on est un pays très solide, malgré les lamentations. Si on arrive à avoir 1,6 million, avec une absence totale de promotion dans les foyers émetteurs- je dis ça parce que c’est aussi ce qu’on a répété dans les médias : que la promotion était molle ; que le directeur de l’ASPT n’était pas impliqué, c’est pour ça qu’on l’a muté ailleurs- Je dis bravo à notre pays, à nous même qui sommes là à nous battre, malgré ces difficultés, ces tendances. Et si maintenant on dit qu’il y a 1,6 million de touristes, c’est très bien. Mais, il y a deux ans, je disais que si on organise les résidences, les auberges pour assainir et compter le nombre de clients qui va chez le parent, on en serait à 2 millions.

Comment faire pour comptabiliser ce nombre qui parfois échappe ?

Pour comptabiliser, c’est très simple, il y a un système de ticketing, comme fait la France, dans ce qu’on appelle le ring-satellite. C’est comptabilisé au niveau des billets d’avions, le nombre de touristes qui passe, qui traverse, si c’est la route. On comptabilise par la nuitée que l’on reste dans le pays et tout ça est lié à une plateforme qui s’appelle ring-satellite. Nous devons l’avoir au Sénégal. Malheureusement, l’Organisation mondiale du Tourisme (Omt) n’a pas pu nous l’implanter. Je ne sais pas pourquoi parce qu’une étude a été faite du temps de feu Ousmane Masseck Ndiaye. J’ai toujours le document et les termes de références. Je peux le mettre à la disposition de la tutelle, au cas où elle ne l’aurait plus dans ses tiroirs. Si on n’a pas ça, on peut comptabiliser en faisant comme l’Afrique du Sud, c’est-à-dire quand vous rentrez dans le pays, vous avez un petit ticket, pas un visa, mais un ticket avec lequel vous allez signaler là où vous allez, où vous allez séjourner, quelle est votre motivation et quel jour vous allez retourner.

Ici à la Petite Côte, on a des indices de performances. J’ai constaté, l’année dernière, qu’il y avait certaines infrastructures qui ont eu du monde. Le seul coin où c’est vraiment désolant, c’est à partir de Joal jusque dans le Sine-Saloum, Palmarin. Là-bas, c’est vraiment obsolète. Les entreprises sont pratiquement en faillite. Il n’y a personne qui va-la-bas. D’ailleurs, j’en profite pour alerter les autorités pour qu’elles regardent un peu le coin du Sine-Saloum pour voir ce qu’on peut y faire rapidement.

KHADY NDOYE (MBOUR)

 

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