Publié le 20 Nov 2014 - 18:31
DOUDOU ISSA NIASSE A PROPOS DES MEMOIRES DU PRESIDENT ABDOU DIOUF

‘’ La vérité est que tous ont fauté’’ 

 

Face à la polémique suscitée par les ‘’Mémoires’’ de l’ancien président Abdou Diouf, Doudou Issa Niasse, apporte sa part de vérité. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le député maire de la commune de Biscuiterie revient sur les relations entre Jean Colin, Djibo Ka, Moustapha Niasse, sur les raisons de la chute de Diouf en 2000.

 

Que vous inspire la polémique autour des ‘’Mémoires’’ de l’ancien président Abdou Diouf ?

J’ai suivi les réactions des uns et des autres dans la presse. Ce que je peux dire, c’est que Djibo Ka est un militant socialiste. Il y a eu une incompréhension au niveau du parti, et il a préféré quitter. Ses relations avec Moustapha Niasse ont toujours été des relations  fraternelles, amicales, militantes. Il est arrivé à un moment où il y a eu quelques incompréhensions.

Quelles étaient ces incompréhensions ?

Dans le cadre d’un compagnonnage, il arrive que des gens aient de petits problèmes de coexistence. Ça arrive dans tous les groupes. Ils faisaient partie des plus hauts responsables du parti. Quand les gens disent que c’est Jean Colin qui a poussé Djibo à provoquer Niasse, je ne peux l’affirmer ni l’infirmer.

Vous n’étiez pas dans la salle ce jour-là ?     

Non, c’était au niveau gouvernemental. Ce n’était même pas une réunion ; c’était une entrevue entre les plus hauts responsables du parti à savoir Abdou Diouf, Djibo, Jean Colin, Moustapha Niasse, etc.

On a prêté à Jean Colin beaucoup de choses. Quel était son degré d’influence sur le parti socialiste ?

Quand Jean était là, il était un potentat. Il faut le reconnaître. La quasi-totalité des cadres du parti étaient à ses soldes. Ils essayaient d’être proches de lui. Que cela soit moi,  ou un autre. Je rappelle que j’étais membre de l’association des amis de Jean Colin.

Donc vous l’avez soutenu dans cette posture de potentat ?

Je peux l’assumer. J’avais une attitude peut-être contradictoire. J’étais le trait d’union entre Jean Colin et certains éléments de l’association à Dakar. En 1989, quand Jean m’a appelé pour me parler de la restructuration du système bancaire, je lui ai dit : niet, il n’en est pas question. J’ai déclenché une grève de 15 jours. Cela veut dire que je ne lui étais pas soumis.

Quelle a été sa réaction ?

Il ne pouvait pas réagir car j’avais avec moi tous les représentants de banque. Quand je mets toutes les banques en grève pendant 15 jours, cela fait mal. Cela ne m’empêche pas d’être un militant du Parti socialiste, un proche de Diouf. Mais un proche dans le sens de la hiérarchie militante.

Qu’est-ce qui est à l’origine de l’inimitié entre Moustapha Niasse et Jean Colin ?

Moustapha Niasse est un pur produit du Parti socialiste. Il a été au service et pour le compte du parti en tant que secrétaire général des élèves et socialistes, puis des élèves étudiants socialistes. A sa sortie, il a occupé le poste de directeur de l’information, avant d’occuper le poste de directeur de cabinet du président Senghor puis de Diouf. Entre cette personne-là  et Jean Colin qui n’acceptait pas la contradiction, il peut y avoir forcément des tensions. Autant j’ai eu des relations personnelles avec Jean Colin, autant j’en ai eu avec Moustapha Niasse que je connais depuis 1964.

Après cet incident, Moustapha Niasse a été sanctionné par le président Diouf…

(Il coupe) Ce n’est pas exact. Moustapha n’a pas été limogé. Il y avait un problème d’intérim. C’était un quiproquo. Comme pour lui on ne devrait pas le faire, cela l’a amené à déposer sa lettre de démission. Il est parti de son plein gré.

Quelle était la source  du quiproquo ?

C’est parce que Mamadou Lamine Loum était Premier ministre, Moustapha venait après en tant que ministre des affaires étrangères selon l’ordre protocolaire. Mais il se trouve que Niasse était en voyage et Lamine devait partir en voyage aussi. On a assuré l’intérim à sa place

Qui a assuré l’intérim ?

C’est Ousmane Tanor Dieng. C’était une situation temporaire. A ce sujet, Ousmane n’avait pas besoin d’assurer l’intérim puisqu’il occupait les plus hautes fonctions en tant que ministre d’Etat chargé des Affaires présidentielles. Quand Moustapha est venu, et qu’il a constaté que l’intérim était assuré par Ousmane, il a démissionné.

Diouf reconnaît dans son livre que le fait qu’il ait nommé Ousmane Tanor Dieng, ministre d’Etat n’avait pas plu à beaucoup de cadres du parti. Qu’en est-il exactement ?

La promotion de Tanor par Abdou Diouf ne plaisait pas à beaucoup d’anciens cadres. Ces derniers disaient que Tanor venait d’arriver alors qu’eux, les caciques, sont là depuis longtemps. Donc, ils pouvaient assumer cette fonction-là. Mais c’est un problème de confiance qui se posait. Diouf a voulu se retirer des affaires du parti, mais il lui fallait quelqu’un qui ne ferait pas des choses contraires à ses intérêts pour rien au monde.

En faisant d’Ousmane Tanor Dieng le numéro  2 du Ps contre le gré des caciques, est-ce que Diouf n’a pas précipité sa chute en 2000 ?

Les gens le disent. Beaucoup d’opportunistes ne pouvaient pas voir cette réalité en face

Qui sont ces opportunistes ?

Je ne cite pas de nom. J’étais militant de seconde zone, surtout militant de la CNTS. Donc, les choses, je les apercevais. Mais je ne participais pas. Des gens organisaient des méga-meetings pour montrer que le parti est le plus fort. Or, l’opposition et la société civile avaient marre de cette querelle intestine. Si les gens avaient suivi les conseils de Senghor, il n’allait pas y  avoir d’alternance.

Quel étaient les conseils de Senghor ?

Il avait dit : si vous restez ensemble et que vous travaillez solidairement, vous gouvernerez le pays pendant 50 ans.

 Mais la politique, ce sont les luttes de positionnement…

En politique, les gens peuvent avoir des ambitions, mais pas au point de sacrifier le parti. Tous les militants véritables mettent en avant les intérêts du parti. Moustapha Niasse a trop avalé de couleuvres. A un moment donné, il a dit : ça va, je pars.

Diouf semble moins déçu par sa défaite que par la défection de ses proches à la présidentielle de 2000.

Il n’y a pas une vague de démissions. Il y a des démissions entre les deux tours, mais ce sont des cas marginaux. La quasi-totalité des cadres étaient encore là.

Le départ de Mbaye Jacques Diop a quand même secoué le parti

Mbaye Jacques, c’est un ancien du parti, un du MJPS, mais il a son cheminement particulier. De Senghor à Diouf. C’est mon frère, je ne peux rien dire. Mais je pars du principe qu’’il n’aurait pas dû à ce moment-là quitté le parti socialiste.

Il dit avoir tiré attirer l’attention de Diouf sur les risques qu’il courait en laissant Tanor aux commandes  

Non, il a quitté le parti par opportunisme. Ce sont des explications post-actions. Ce que Diouf a fait pour Jacques, il ne l’a fait pour aucun militant.

C’est-à-dire ?

Diouf n’avait pas l’habitude d’aller chez les gens. Mais quand Mbaye Jacques lui a annoncé qu’il y avait des problèmes au niveau de sa maison, Diouf, en tournée présidentielle, a dévié le cortège pour se rendre chez lui, le consoler et l’aider. Maintenant, la position de Jacques en tant que responsable d’une coordination car il n’était pas le responsable départemental, ni régional n’a rien changé. Son influence ne pouvait pas faire varier le score. Le problème de fond, c’est qu’il y avait un état d’âme des Sénégalais qui en avaient marre de voir le Ps ad vidam aeternam. Il y a des gens qui sont nés après les indépendances et qui ne connaissent que le Ps.

Selon vous, Diouf a perdu à cause de l’usure du pouvoir

Voilà ! Maintenant, après le premier tour, certains qui n’ont jamais été constants au niveau du parti l’ont quitté. Les autres sont restés.

Diouf affirme par ailleurs que le soutien de Djibo Ka n’a pas influé sur le cours des choses à cause de sa volte-face qui avaient fini par le décrédibiliser

Ça, c’est vrai. Djibo, en sortant du parti, avait une certaine cote de popularité qui lui avait valu 11 députés et  un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Entre les deux tours, il pouvait faire comme les autres c'est-à-dire rallier l’opposition. Mais aller vers Diouf, repartir, puis revenir alors que les carottes étaient cuites, cela lui a porté préjudice. Les Sénégalais n’aiment pas cela. Au niveau de l’opinion, c’est une attitude générale, chez les militants socialistes aussi.

Pour Djibo, Diouf a été plutôt  perdu par le PS

Sur ce plan-là, je ne peux pas avoir d’opinion.

Pourquoi ?

Je suis un ami de Diouf et un compagnon de Djibo. Je ne peux pas jeter l’anathème sur l’un ou sur l’autre. La vérité est que tous ont fauté.

PAR DAOUDA GBAYA

 
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