Publié le 19 Jun 2014 - 15:29
DRÉPANOCYTOSE

Une maladie qui tue à petit feu

 

Méconnue de la population, la drépanocytose est une maladie héréditaire à soins coûteux causant de nombreux décès. Au Sénégal, avec une prévalence de 10%, sa prise en charge constitue un véritable casse-tête pour les malades qui sont confrontés à une absence d'infrastructures et de personnel médical qualifié.

 

La drépanocytose n'est pas une maladie rare au Sénégal. Cette affection génétique héréditaire du sang est particulièrement fréquente chez les populations de l'Afrique subsaharienne. Elle affecte plus les populations de race noire. Cette particularité en fait la première maladie génétique affectant, dès la naissance, des milliers de personnes sur le continent africain. 

Au Sénégal, la prévalence est à 10% dont 0,5% de formes majeures. ''Chaque année, il y a 1 700 nouveaux nés drépanocytaires au Sénégal'', selon le docteur  Indou Dem de l’hôpital pour enfant Albert Royer.

Cette maladie est due à une anomalie de l'hémoglobine contenue dans le globule rouge. C'est-à-dire à un remplacement de l'hémoglobine normale (A) par une hémoglobine anormale appelée ''hémoglobine S''. Elle affaiblit tout le corps et facilite l'entrée à d'autres affections.

Par contre, le diagnostic peut être fait dès la naissance. Ce qui permet de prendre en charge très tôt la maladie pour prévenir les complications à l'origine de la plupart des décès d'enfants drépanocytaires au cours des premiers mois et premières années de vie.

Les crises douloureuses, qui sont l'une des principales manifestations de la maladie drépanocytaire, sont en grande partie la conséquence de l'obstruction des vaisseaux sanguins par les globules rouges, rigides et déformés, créant un manque de distribution d’oxygène aux tissus. Ces crises, selon Dr Dem, concernent souvent les mains et/ou les pieds chez le petit enfant, l'abdomen et les os (bras, jambes, dos) chez l'adulte. Elles sont favorisées par les changements brutaux de température, la déshydratation, la fièvre, le stress, l'altitude. 

''Les globules rouges en forme de faucille sont plus fragiles et sont détruits. D'où le risque d’anémie aiguë, de retard de croissance et d'infections redoutables'', a-t-elle expliqué. La sévérité de la drépanocytose est très variable d'un enfant à un autre et même dans la même famille. Certains enfants ne sont jamais malades et d'autres souffrent de complications. C'est pourquoi la prise en charge précoce et régulière évite beaucoup de complications.

PRISE EN CHARGE

Une maladie à soins coûteux

La prise en charge de la drépanocytose est élevée. Annuellement, les malades dépensent autour de 500 000 francs par an pour une bonne prise en charge. ''Beaucoup d'entre nous ratent les examens ou des cours à cause des crises. Certains ont même arrêté les études pour se soigner alors que les médicaments coûtent excessivement cher'', a expliqué Fabien Gnimassou, président de l'Union universitaire de Lutte contre la Drépanocytose (ULD). 

En effet, la lutte contre la drépanocytose figure depuis 2003 parmi les priorités du Sénégal et en 2009, parmi celles de l’OMS pour la zone Afrique ; elle occupe le quatrième rang dans les priorités en matière de santé publique mondiale, après le cancer, le sida et le paludisme.

Mais, paradoxalement, il n'y a pas de programme de lutte contre cette maladie, encore moins de gratuité dans sa prise en charge, alors que la prévalence est de 10%. ''La drépanocytose occupe la 4e place de consultation à Albert Royer et la troisième en hospitalisation. La durée moyenne d'hospitalisation est de 8 jours, donc c'est des soins coûteux pour les malades'', a soutenu docteur Indou Dem.

Ainsi, les malades ont sollicité un soutien financier de l’État pour une meilleure prise en charge. ''Tous les efforts faits dans la lutte contre la drépanocytose le sont par l'association. L’État intervient toujours après. Nous devons être soutenus, parce que nous vivons une maladie très douloureuse'', a précisé Maguèye Ndiaye, président de l'Association sénégalaise de lutte contre la drépanocytose.

Absence d'infrastructures et de personnel qualifié

Hormis le coût élevé de la prise en charge et les médicaments onéreux, le manque d'infrastructures et de personnel qualifié constitue le principal obstacle à la lutte contre la drépanocytose. Les patients quittent les régions pour se faire traiter à Dakar avec tous les risques qu'ils encourent. 

A l’hôpital Abass Ndao, il n'y a qu'un seul médecin pour la prise en charge des drépanocytaires. Et seul Albert Royer dans tout Dakar dispose d'infrastructures pour traiter les enfants drépanocytaires. ''Le nombre de cas ne cesse d'augmenter. Et il n'y a pas des structures spécifiques pour la prise en charge des malades. Il n'y a pas aussi de formation de personnel pour le suivi des malades.

Donc il faut une décentralisation de la prise en charge afin qu'il y ait dans chaque région des médecins pour le traitement et le suivi des personnes atteintes de drépanocytose'', plaide le docteur Amane Benjaloune de Abass Ndao. Lui emboîtant le pas, Maguèye Ndiaye trouve désolant que des malades quittent les régions pour venir  se faire traiter à Dakar. ''On devait dépasser ce stade. Il faut une augmentation des structures de prise en charge et une formation de personnel médical qualifié en nombre suffisant'', a-t-il souhaité.

Le mariage consanguin, cause principale

Très fréquent dans certaines ethnies, le mariage consanguin présente différentes facettes. Même s'il a tendance à perdre du terrain dans la société à cause du regard néfaste que les jeunes ont sur ce type de lien, les conséquences ne sont pas toujours exposées.

Selon le docteur Blaise Faye du Centre national de transfusion sanguine, le mariage consanguin est une situation qui expose les familles à avoir des enfants atteints du syndrome drépanocytaire majeur. Explications : Lorsqu'il y a un cas de drépanocytose dans une famille, il est fort probable que dans cette même famille,  des cousins soient atteints par la maladie ou soient porteurs du gène de la drépanocytose.

''C'est vraiment un facteur important dans la population sénégalaise. Ce qui fait que lorsque les cousins se marient entre eux, l'enfant issu de cette union peut avoir un syndrome drépanocytose majeur. Le mieux, c'est d’éviter ces types de mariage'', a soutenu Dr Faye. 

Les personnes, explique le Dr Dem, qui n'ont que de l'hémoglobine normale A sont dits ''AA''. Celles ayant à la fois une moitié d'hémoglobine A et une moitié d'hémoglobine S ont hérité un programme A d'un parent et un autre S de l'autre et sont dit ''AS'' ou porteurs du trait drépanocytaire. Et enfin, poursuit le Dr Indou Dem, les personnes n'ayant que de l'hémoglobine S, ayant hérité d'un programme S des deux parents, sont dit ''SS'' ou drépanocytaires.

''L'on peut donc porter une seule copie du gène drépanocytaire (hétérozygote AS ou AC). Et  dans un couple de porteurs du trait drépanocytaire, la probabilité d'avoir un bébé atteint de drépanocytose est de 25% à chaque grossesse'', a-t-elle soutenu. D'où la nécessité, selon elle, d’éviter autant que faire se peut les mariages consanguins.

VIVIANE DIATTA

 

 

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