Publié le 1 Sep 2016 - 03:16
DR ALIOU SOW, PROFESSEUR ASSIMILE A L’UCAD

« Que les dirigeants actuels se rappellent les nombreux avantages de l’école publique… »

 

Le Professeur Aliou Sow estime, pour une raison de justice sociale, que c’est un impératif pour les tenants du pouvoir actuels d’investir davantage de ressources dans l’école publique pour les générations actuelles. Dans cet entretien, l’enseignant-chercheur observe avec étonnement les comportements de ses étudiants qu’il trouve bizarres et nouveaux. Qu’à cela ne tienne, ce professeur d’études postcoloniales au département d’Anglais de l’Ucad pense que les universités publiques, en dépit des conditions actuelles, produisent encore des ‘’génies’’.

 

En tant que pur produit de l’école publique sénégalaise, que pensez-vous de sa perte de considération par rapport aux écoles et universités privées, tout le contraire d’hier ?

Ça, c’est une présentation caricaturale de l’école publique sénégalaise que je ne partage pas. C’est vrai aujourd’hui que les conditions de formation dans les écoles publiques sont devenues très difficiles, les effectifs sont pléthoriques. Il y a un problème de niveau réel qui est là. Les avantages que les étudiants avaient ont beaucoup baissé, mais cela ne fait pas pour autant de l’école publique une poubelle. Pour preuve, cette école publique sénégalaise est encore au devant de la scène, quand il s’agit d’organiser un concours général au niveau national. Limamoulaye, qui est une des écoles les plus pléthoriques au Sénégal et qui se trouve en banlieue, représentée par des familles modestes comme moi quand j’étais élève, sort toujours la tête de l’eau quand il s’agit de sélectionner les meilleurs élèves du Sénégal. De même que Mariama Ba.

Par ailleurs, au niveau des concours nationaux, que ce soit les écoles militaires, l’Ecole nationale de l’Administration (ENA) ou le CESTI, les écoles publiques nous présentent toujours d’excellents étudiants. Il n’y a pas de généralisation d’une situation catastrophique. Par ailleurs, ce sont les conditions de vie et de travail des Sénégalais, de manière générale, qui affectent aussi l’université qui n’est plus cet îlot de jouissance de faveurs, de facilité. Mais je pense qu’il suffit simplement de faire quelques réformes et d’une volonté politique accrue  et davantage d’investissements pour que cette école-là puisse retrouver son lustre d’antan.

Quelles chances dispose aujourd’hui le fils du paysan  qui ne compte que sur l’école publique sénégalaise pour s’offrir une formation ?

Malgré tout ce qu’on dit sur l’école publique sénégalaise, le Sénégal a une particularité. Il faut s’en réjouir. On a une République qui crée des couloirs de réussite, de protection de l’enfant du pays. Et c’est pourquoi je serai éternellement reconnaissant au Sénégal qui m’a tout donné. Du CI au Doctorat d’Etat, le Sénégal ne m’a jamais demandé plus de 5 000 francs par an pour mes frais d’études. A l’école primaire, à notre temps, l’inscription était gratuite. On nous donnait des fournitures scolaires. On ne nous demandait absolument rien du tout. Au collège, à l’enseignement moyen, on avait l’infirmerie pour prendre en charge nos soins. Personnellement, étant élève, j’ai eu à bénéficier même d’une bourse scolaire.

A l’université, j’étais boursier durant tout mon cycle et j’étais aussi logé au campus. Je bénéficiais des soins du centre médico-social du coud quand j’étais malade. Une bonne partie de ma génération et moi-même devons une fière chandelle à la République du Sénégal, au contribuable sénégalais, à l’Etat qui a créé ce couloir-là permettant à ceux qui se battent et qui sont corrects et non des destructeurs de pouvoir s’affirmer, de se voir parrainés et sponsorisés par la République jusqu’à atteindre le niveau éducatif le plus élevé, d’avoir une activité professionnelle et même se projeter en matière de leadership. Et nos aînés avaient le plus bénéficié d’avantages encore.

On pourrait même dire que c’était l’Etat providence. Aujourd’hui avec le libéralisme général dans le monde, l’économie, les finances et l’émergence de nouveaux défis de sécurité, environnementaux avec nos économies trop dépendantes de l’extérieur, nos Etats ne peuvent plus se permettre cette providence généralisée, d’autant plus qu’on est loin de l’époque où le taux de scolarisation tournait autour de 10 à 20%.  Mais, je pense qu’il y a des valeurs de l’école publique qu’il faut malgré tout préserver, diffuser et renforcer.

Dans les médias, notamment la télévision, l’image que l’opinion publique retient généralement de l’étudiant, c’est plus souvent le ‘’violent’’, le ‘’contestataire’’. Comment inverser cette perception négative de la société sénégalaise de son étudiant ?

Il faut dire que cette violence n’est pas représentative honnêtement de l’étudiant sénégalais, mais d’une partie des étudiants. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il ne faut pas qu’on rattache la violence à l’étudiant actuel. L’étudiant de mai 1968 n’avait-il pas cassé ? Il a brûlé. Ce sont nos oncles, nos tantes et ils étaient de grands révolutionnaires, de grands patriotes. Mais la situation leur avait imposé d’aller au front. Parfois aussi, la violence de l’Etat peut engendrer la violence. Comme le dit Bob Marley, ‘’violence brings violence’’ (la violence engendre la violence).

Mais c’est vrai qu’avec le temps maintenant, la promiscuité dans les universités, les conditions  précaires aussi bien au niveau de la restauration que l’accès aux soins de santé ont renforcé l’énervement dans le campus. Bien entendu, le nombre aussi. Tout cela constitue des facteurs de violence. Par ailleurs, il faut également noter qu’il y a une affirmation d’identité religieuse très avancée. Cette présence ostentatoire et cette affirmation des identités religieuses  dans le campus, ajoutées aux conditions carcérales dans les chambres, ne peuvent déboucher que sur un énervement et une violence généralisés. Mais la violence dont on fait état le plus souvent, c’est lorsque les étudiants descendent sur l’Avenue Cheikh Anta Diop, barrent la route dans le cadre des grèves ou des revendications. Mais ça, c’est valable pour toutes les générations. Lorsque l’étudiant reste jusqu’au 10 ou 15 sans percevoir sa bourse, c’est en ce moment qu’il proteste. Mais il faut le comprendre.

C’est un jeune qui ne sait pas sermonner, supplier, mais se battre. Mais quand l’Etat qui doit réglementer l’occupation publique riposte de façon disproportionnée, ça ne peut qu’amener aussi cette violence. L’autre facteur aussi, c’est que toutes les universités du monde entier ont toujours été des espaces d’éclosion d’idéologies politiques. La majeure partie des dirigeants actuels ont été des responsables de mouvements étudiants dans les campus.

L’actuel président de la République a été président de l’amicale des Etudiants de l’Institut des Sciences de la Terre (IST). Moi-même j’ai dirigé l’Amicale des étudiants de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Ucad, Modou Diagne Fada était un des plus grands leaders des mouvements étudiants, de même que l’actuel président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse, Djibo Ka… Les compétitions parfois violentes entre partis politiques dans la société sénégalaise ont également des répercussions dans le campus. Ce qui fait que quand il s’agit d’élire les responsables des étudiants, les partis politiques font leur apparition dans le campus, à travers des sponsorings ou par des parrainages de candidatures pour pouvoir contrôler le mouvement étudiant.

Aujourd’hui, on assiste à une baisse drastique du niveau en français des étudiants. A quoi, selon vous, est dû cet état de fait ?

Allez à l’université ! (au campus) Vous ne surprendrez jamais les étudiants en train de parler français, mais le wolof, le pulaar ou le séréér. Ils reproduisent leurs communautés villageoises ou de quartiers au campus. L’autre aspect qu’il faut prendre en compte, c’est la chaîne de transmission du savoir. On a introduit dans le système éducatif sénégalais des cas catastrophiques, depuis l’avènement de ce qu’on a appelé les ‘’Ailes de dinde’’ (recrutement des gens dans l’enseignement, à l’époque socialiste, sur la base politique, de personnes qui faisaient du commerce ou d’autres activités), les quotas sécuritaires avec les volontaires. Je félicite le gouvernement actuel qui a rompu avec ces pratiques et qui ne recrute qu’à partir du niveau bac. Ces personnes qui deviennent instituteurs et qui, elles-mêmes, ne parlent pas français, vont enseigner faux. Et puis, l’essentiel des émissions que nous avons dans les médias ont un langage vraiment bizarre avec des concepts nouveaux que personne ne comprend. Avec les réseaux sociaux aussi, il y a maintenant un nouveau discours qui ne se préoccupe pas de la grammaire, de la langue.

Aux plans civique et comportemental, quelle comparaison faites-vous entre l’étudiant d’hier et celui d’aujourd’hui ?

Jusqu’à une date très récente, quand les étudiants partaient en vacances et organisaient des activités comme les ‘’navétanes’’ (championnat populaire), ils étaient des stars dans les villages. On les reconnaissait à travers leur port vestimentaire : ils étaient habillés en costume bleu, noir ou gris. On les reconnaissait à travers leur correction. Ils parlaient français, même dans les quartiers. Les filles étaient très correctes. Chacun rêvait de se marier à un étudiant ou à une étudiante, tellement ils étaient corrects. Mais à ce moment, les étudiants vivaient au campus dans des conditions bourgeoises. Les enseignants aussi ne se gênaient pas de dispenser même des cours sur la conduite morale et comportementale. Pour nous, c’est un comportement élémentaire pour tout individu de se lever en saluant quelqu’un. A notre temps, à l’examen oral, au-delà de la prestation intellectuelle, on notait aussi le comportement et les bonnes manières des étudiants, parce que l’homme doit être une addition de connaissances, de compétences, de bonnes manières, de savoir-vivre et de savoir-faire.

On assiste aussi à une baisse de la qualité du comportement, la courtoisie. Au début et à la fin des mes enseignements, je rappelle souvent à mes étudiants qu’il n’est pas concevable qu’ils viennent à l’examen oral en tee-shirt, avec une casquette renversée, des chaînes au cou. Aujourd’hui, entre professeur et étudiant, le tutoiement est devenu banal. L’étudiant tutoie son professeur comme son copain avec qui il a gardé des cochons.  Nous, on nous a formatés dans la dynamique de vouvoyer l’autre, d’appeler la fille Madame jusqu’à ce qu’elle vous corrige, parce qu’elle est demoiselle.  L’étudiant, c’était l’élégance, la correction. Même s’il était pauvre, il avait sa chemise bien pliée, son pantalon bien repassé, ses chaussures bien nettoyées ; sac correct bref, c’était un modèle.

En dépit des conditions difficiles, il y a un lot d’étudiants qui émerge et qui fait la fierté de l’école publique sénégalaise

Malgré la description catastrophique qu’on fait de notre école, celle-ci demeure encore solide et robuste. Le jeune Sénégalais né dans un village qui n’a pas connu d’électricité et qui fait parfois des kilomètres pour étudier, après son baccalauréat, peut se retrouver en France avec des jeunes Français issus de la bourgeoisie française qui ont le français comme langue maternelle et qui suivent les mêmes formations, subissent les mêmes évaluations, mais se retrouve avec des notes meilleures que le jeune Français. Mais tous ceux qui maudissent notre école ne doivent pas oublier qu’ils en sont issus, avant de trouver leur renommée internationale ailleurs.

Les bacheliers sénégalais de l’école publique s’insèrent encore à Harvard, Columbia, à la Sorbonne et dans les prestigieuses universités du monde et réussissent aux concours les plus sélectifs du monde. Il ne faut pas qu’on présente les choses comme si elles avaient atteint un point de non-retour. Il y a simplement une nouvelle politique éducative à développer : renforcer la volonté politique, augmenter les ressources au prorata des effectifs actuels et donner plus de chances à ces enfants qui sont les solutions aux problèmes du Sénégal, comme nous, nous avons eu à en bénéficier dans le passé.  

Que les produits de l’école publique qui gèrent aujourd’hui ce pays se rappellent les avantages dont ils ont bénéficié et sans lesquels ils ne pouvaient absolument  rien être ou devenir dans ce pays-là. Ils sont nombreux aujourd’hui à nous diriger et si on avait demandé à leurs parents 10 000 francs par mois, comme frais de scolarité, ils n’allaient pas dépasser la 2ème année de l’école primaire. Qu’ils se souviennent de cela pour être plus justes et équitables par rapport à cette jeune génération. Par ailleurs, malgré la baisse du niveau, vous trouverez encore des génies : des garçons et des filles extrêmement brillants. Et quand vous  vérifiez, vous verrez qu’ils ne sont pas forcément issus des écoles privées ou des familles à revenu élevé. Mais, il y a quand même une situation nouvelle, parce que nous à notre temps, les universités privées étaient les écoles d’accueil de ceux qui ont échoué, des nuls, des redoublants et des exclus. Mais maintenant, les gens ont réussi à inverser la perception.

En tant que formateur, que préconisez-vous pour une meilleure adéquation entre la formation reçue à l’université et le marché de l’emploi ?

L’université, dans sa vocation de départ, n’était pas une école des métiers. Au contraire, elle prépare le citoyen à l’esprit critique, à la capacité d’interroger beaucoup de choses, à développer une approche contradictoire et avoir une attitude dynamique et positive. C’était après la formation universitaire que l’étudiant faisait un concours pour entrer dans les écoles de formation professionnelle pour avoir une profession, une qualification.

Maintenant, de plus en plus, la question est de dire comment faire en sorte que l’étudiant sortant de l’université puisse être directement employable. C’est un nouveau paradigme qui est possible. C’est pourquoi d’ailleurs, de plus en plus dans les universités, on a beaucoup de Masters professionnels et qui intègrent aussi une dimension privée car, ces Masters, pour l’essentiel, sont payants et trop chers. Pour moi, ce qu’il y a lieu de faire aujourd’hui au Sénégal, c’est de voir comment articuler la formation aux nouveaux besoins du pays, étant attendu qu’il y a beaucoup d’anciens métiers qui tendent à disparaître pour laisser la place à de nouveaux.

 

Section: