Publié le 14 Jun 2016 - 07:54
DR IDRISSA TALLA (COORDONNATEUR DE LA CELLULE DU CONTROLE MEDICAL ET DE LA QUALITE DES SERVICES DE L’AGENCE DE LA CMU)

‘’La Convention avec le privé ne couvre que les patients bénéficiant de la subvention’’

 

La pratique de la dialyse préoccupe beaucoup, surtout avec l’implication du secteur privé. Dans cet entretien le Docteur Idrissa Talla explique le contenu de la Convention signée avec les privées, ceux qui en bénéficient et les différents objectifs de l’Agence de la Cmu qui gère ce projet.

 

Où en sommes-nous aujourd’hui avec la Convention signée entre l’Etat et certains centres privés de la dialyse ? 

Il faut d’abord rappeler que c’est devant une forte demande que l’Etat s’est tourné vers les structures privées pour élargir l’offre qui était assurée par seulement quatre (4) centres d’hémodialyse que sont l’Hôpital Aristide Le Dantec, le Centre Hospitalier Régional de Saint Louis, l’Hôpital Principal de Dakar et l’Hôpital général de Grand Yoff (Hoggy). Ainsi, trois (3) conventions ont été signées en mars 2013 entre le Ministère de la Santé et de l’Action sociale d’une part et les Centres ABCH, ASSOFAL et Americare Medical d’autre part et de façon individuelle.

Il s’agit d’une convention-cadre de partenariat dans laquelle, le MSAS s’engage à livrer les consommables à la structure, dont la quantité était évaluée au prorata du nombre de postes de dialyse fonctionnels, disponibles pour assurer deux (2) séances par jour et par poste pendant 6 à 7 jours par semaine. En retour, la structure privée assurait la prestation et la facturait directement au malade à raison de 20 000 FCfa par séance plutôt que de lui appliquer le tarif plein en vigueur au sein du centre.

A la suite de problèmes techniques, le centre d’Americare Medical a fermé ses portes et seuls ABCH et ASSOFAL continuaient d’assurer la prestation. En 2015, le remboursement des frais liés à l’initiative de gratuité de la dialyse, qui était jusque ici gérée par le siège, a été transféré à l’Agence de la Couverture Maladie Universelle (Cmu), qui venait d’être créée. 

En mars 2016, le centre Annexe d’hémodialyse de l’HALD a nécessité une réfection. Pour qu’il n’y ait pas d’arrêt des séances d’hémodialyse, un protocole d’accord tripartite d’une durée de deux mois a été signé entre l’HALD, ABCH et l’Agence de la Cmu pour un nombre de 23 malades. L’Agence fournit les kits à travers la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) et ABCH assure la prestation et facture à la Cmu un montant de 25 000 FCfa par séance à raison de 3 séances par semaine et par malade. Evidemment quand la rénovation de l’Hôpital Aristide Le Dantec va être achevée, ces patients reviendront dans l’établissement.   

Des patients dénoncent des pratiques peu orthodoxes dans un centre où la séance d’une dialyse est fixée à 65 000 FCfa. N’est-ce pas du business sur le dos des malades ?

Je ne sais pas de quelles pratiques peu orthodoxes vous parlez. Ce que je sais, c’est que le tarif officiel de la structure à laquelle vous faite allusion est de 65 000 FCfa par séance, pour un patient se prenant entièrement en charge à titre privé. Ce tarif couvre la séance de dialyse et les consommables sous forme de kit de dialyse fournis par la structure privée elle-même. Pour faciliter l’accès aux soins, l’Etat a décidé de subventionner partiellement les services pour un certain nombre de patients. Une partie des patients de la structure sont enrôlés dans le cadre de la convention avec le MSAS et bénéficient d’une subvention. Ces patients paient 20 000 FCfa par séance et le MSAS fournit les kits de dialyse nécessaires à leur prise en charge par le biais d’une dotation fournie par la Pna et les patients paient la différence, soit 20 00O FCfa. 

Le MSAS exerce-t-il un contrôle sur  ces centres de dialyse ?

Une supervision conjointe par une équipe mixte formée de néphrologues et d’agents de la Cmu est envisagée pour l’évaluation de la qualité des services fournis aussi bien dans les centres publics que privés. Ces structures envoyaient des rapports d’activités au MSAS, tel que stipulé dans la Convention. L’Agence Cmu a commencé à faire l’état des lieux à propos des conventions, comme je l’ai dit tout à l’heure, en vue de signer directement avec les centres privés de dialyse. Des dispositions claires concernant le contrôle de l’effectivité et de la qualité des services par les unités compétentes de l’Agence y seront incluses, de même que des critères objectifs d’identification et d’enrôlement des patients éligibles. 

Avez-vous une idée du nombre de patients pris en charge par les privés ?

Il faut dire qu’il y a actuellement deux structures privées, qui pratiquent l’hémodialyse. Le premier centre est ABC Hémodialyse, qui compte 104 patients, parmi lesquels 1 patient dont la prise en charge est subventionnée dans le cadre de la Convention de mars 2013 avec le MSAS et 22 patients dont la prise en charge est subventionnée dans le cadre d’une Convention tripartite avec l’Hôpital Aristide Le Dantec et l’Agence Cmu. Le second centre est ASSOFAL, qui compte 155 patients parmi lesquels 73 qui bénéficient de la subvention partielle. Cela fait donc pour ces centres privés, un total de 259 patients, dont 96 qui bénéficient d’une subvention partielle supportée par l’Etat.  

Je rappelle qu’en plus de ces personnes qui bénéficient de cette subvention partielle, il y a 510 patients à qui l’Etat garantit une prise en charge gratuite dans les 15 centres publics disséminés à travers le pays. 

Pourquoi les tarifs fixés dans le cadre de la Convention ne sont pas respectés par les privés ?

Je rappelle que la Convention entre le Ministère de la Santé et de l’Action sociale et les structures privées ne couvre que les patients, qui bénéficient de la subvention. Les autres sont dans une relation normale entre un patient et un prestataire privé. A notre connaissance, ce tarif est respecté par les structures privées qui assurent les prestations.

Malgré tous les milliards injectés par l’Etat, le problème de la dialyse reste entier. Qu’est-ce qui ne marche pas selon vous ?

Au contraire, le programme de gratuité de la dialyse est présenté en Afrique comme un modèle. Evidemment, il y a encore des efforts à faire, pour l’améliorer. Il faut rappeler qu’il y a quelques années, il n’y avait que quatre centres concentrés entre Dakar et Saint-Louis. Aujourd’hui, il y a une décentralisation et une accessibilité financière réelles de l’hémodialyse. Il y a trois centres publics à Dakar, un à Saint Louis, un à Tambacounda, un à Touba, un à Kaolack, un à Ziguinchor et un projet d’extension vers le reste des régions. Dans les centres publics, la prise en charge est totalement gratuite et la CMU rend disponibles les consommables qui sont gérés par la Pna et rembourse les frais aux structures. 

Le moment n’est-il pas venu pour l’Etat de faire l’évaluation de la dialyse ou de la prendre totalement en charge en écartant le privé ? 

Il est clair qu’on fera une évaluation de tout ce qu’on est en train de faire, si on veut véritablement assurer la pérennité de cette belle initiative du président de la République. Je ne pense pas qu’il faille écarter le privé. Il faut se rappeler que le privé a une mission de service public et qu’on aura toujours besoin de lui, mais la seule indication, c’est qu’il offre des soins de qualité dans les mêmes conditions que le service public. D’habitude, on ne fait appel au privé,  que lorsque les capacités du  public sont dépassées. Et tous les efforts que j’ai évoqués plus haut vont dans le sens de renforcer les capacités du service public. 

La plupart des malades n’arrivent pas à trouver les médicaments qui sont tout aussi onéreux. Pourquoi les médicaments ne sont pas   subventionnés ?

Nous sommes dans un processus de mise en œuvre graduelle de la politique de gratuité. Au début, tous les frais étaient à la charge du patient : la séance d’hémodialyse coûtait 50 000 FCfa. La dialyse péritonéale revenait à 864 000 FCfa par mois (120 poches à 7 200 l’unité). Ensuite, une prise en charge partielle a démarré le 05 Avril 2010. Pour l’hémodialyse, le tarif est passé de 50 000 à 10 000 FCfa par séance, à payer par le patient. Le MSAS fournit les kits par l’intermédiaire de la Pna. Pour la dialyse péritonéale, le prix est passé de 864 000 FCfa par mois à 36 000 FCfa, à payer par le patient. Le MSAS fournit les kits et les poches par l’intermédiaire de la Pna. La prise en charge totala démarré depuis le 02 juillet 2012. 

Désormais, la séance de dialyse est gratuite pour le patient, les montants facturés étant remboursés par la Cmu à raison de 10 000 FCfa, la séance d’hémodialyse et à 36 000 FCfa par mois et par patient pour la dialyse péritonéale. Il est possible d’envisager dans les perspectives, la prise en charge par la Cmu, des produits et médicaments indispensables aux patients, mais non encore inclus dans le paquet de service. Il s’agit essentiellement des cathéters de rechange de médicaments. 

L’accessibilité à la suppléance très faible au Sénégal

La prévalence au Sénégal reste encore inconnue faute d’enquête. Cependant, une étude hospitalière rétrospective réalisée en 2002 sur 12 mois, a révélé que 81 patients ont été hospitalisés pour insuffisance rénale chronique à la Clinique Médicale de l’hôpital A. Le Dantec. Selon une fiche technique du ministère de la Santé et de l’Action Sociale, sur les 81 malades hospitalisés, 43 (53 %) sont décédés en cours d’hospitalisation faute d’accès à la suppléance. Il faut noter que la capacité actuelle de l’unité de dialyse ne dépasse pas 24 malades. Même si l’on tient compte des deux autres structures, la capacité totale du pays est d’environ 44 malades.

Sur l’ensemble du pays, la prévalence de l’insuffisance rénale chronique est estimée en 2004 à près de 9000 malades parmi lesquels, environ 5000 avaient besoin de suppléance. Au total seules 49 personnes ont pu être traitées soit 1% des cas éligibles. L’accessibilité à la suppléance est très faible.

Au plan des infrastructures de dialyse, selon toujours la fiche technique, le Sénégal dispose aujourd’hui de 8 centres de dialyse. Il est prévu d’ici 2018, la construction de 15 centres de dialyse. Six centres seront construits en juin 2016 (Thiès, Diourbel, Kolda, Louga, Ndioum et Sédhiou). Quatre centres le seront pour 2017 (Kaffrine, Fatick, Pikine, Roi Baudouin) et en fin Mbour, Ziguinchor, Fann et Diamniadio pour 2018.

 

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