Publié le 26 Nov 2019 - 02:19
DR ISMAILA SENE, SOCIOLOGUE

‘‘ (...) Une crise de confiance est en train de s’installer’’

 

Au rythme des derniers rebondissements dans l’actualité, le sociologue Ismaila Sène tente d’élucider, par courriel avec EnQuête, comment évoluent les rapports entre administrateurs et administrés.

 

Quel impact ces affaires (drogues, saisies armes et munitions, faux-monnayage) pourraient avoir sur la confiance de l’opinion sénégalaise en leurs institutions ?

C’est vrai que ces derniers jours sont marqués par l’éclatement de manière rocambolesque d’une série de scandales et de faits divers qui font les choux gras de la presse. Ce qui rend ces affaires plus dramatiques c’est qu’elles impliquent parfois des institutions et de hautes autorités de la République. Par exemple, quand des munitions sont volées dans une base militaire, quand de la drogue saisie disparait de manière mystérieuse des mains des forces de sécurité et surtout quand des personnes dont la mission prescrite est de veiller à la sécurité des biens et services sont citées dans ces scandales, on est en droit de se poser des questions. Cela est d’autant plus normal que l’actualité est également dominée par ce scandale de faux billets qui met au-devant de la scène un député proche du président, alors qu’on n’a pas fini de parler des scandales de Pétrotim et de l’affaire Mamour Diallo, pour ne citer que ceux-là.

Cette série de scandales affectent effectivement la confiance que l’opinion publique peut avoir sur les institutions de la république. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains Sénégalais qui s’expriment sur ces questions n’accordent pas de crédit aux explications qui sont données de part et d’autre. Il suffit de lire les commentaires sur les articles en ligne et sur les réseaux sociaux pour se convaincre qu’une crise de confiance est en train de s’installer. Et cela au grand dam de la République.

Ces affaires impliquent de hautes personnalités politiques ou des institutions respectées, voire redoutées (l’armée). Beaucoup de gens soulignent le contraste entre l’absence (ou la mollesse) des sanctions à leur encontre et la rigueur des peines pour les auteurs de faits moins graves. L’opinion n’est-elle pas dans son bon droit de croire qu’il y a rupture d’égalité ?

Effectivement l’opinion est en droit de penser qu’il y a rupture d’égalité. Déjà la timidité avec laquelle la justice a fait preuve dans la gestion de ces affaires contraste de manière radicale avec le dynamisme qui l’habitait, quand il s’est agi des dossiers incriminant des opposants au régime. Le procureur de la république, si prompt à s’autosaisir et à organiser des points de presse pour annoncer des charges, s’est emmuré dans un silence de cathédrale, depuis que ces affaires ont éclaté. Que voulez-vous que les gens pensent alors ?

Plusieurs jeunes croupissent en prison pour avoir commis des peccadilles, d’autres sont arrêtées et déférés de manière immédiate sur la base de simples allégations, au mépris total de la présomption d’innocence. Pendant ce temps, certains dignitaires du régime, qui sont cités dans des scandales, vaquent tranquillement à leurs occupations. Je n’essaye surtout pas de leur coller un procès ou de les accuser, ils sont bien-sûr présumés innocents, mais il faut être naïf pour ne pas avoir l’impression qu’avec eux la justice est beaucoup plus clémente. Le statu quo qu’on observe, depuis quelques temps, justifie bien le sentiment que la justice fonctionne à deux vitesses.

En l’état actuel, quel terme serait le plus juste pour décrire les relations entre les centres de prises de décision et l’opinion : mécontentement, méfiance, défiance, éloignement ? Cette distance entre administrateurs et administrés a-t-elle plus de chance de s’agrandir ou de se réduire ?

Je pense que tous ces termes décrivent bien le sentiment de déception qui habite certains Sénégalais. Je dis ‘‘certains’’, car on ne peut pas se permettre de généraliser. Mais, il faut tout de même reconnaitre que la défiance commence à gagner du terrain. En réalité, une crise de confiance est en train de s’installer chez une proportion non négligeable de nos compatriotes, les jeunes notamment. La crédibilité de certaines institutions et des personnes qui les incarnent est menacée par ces scandales à répétition. Et le risque de voir ce sentiment se développer davantage est réel. Cependant, tout peut dépendre du dénouement de ces dossiers.

L’institution judiciaire a raté plusieurs occasions de convaincre l’opinion sur son indépendance vis-à-vis de l’Exécutif. Aujourd’hui, aussi bien pour l’Exécutif que pour la Justice, les dossiers Boughazelli, Pétrotim et Mamour Diallo, sont des occasions pour convaincre, enfin, qu’il n’y a pas de justice à géométrie variable au Sénégal. Toute issue suspecte ou téléguidée va contribuer à renforcer la crise de confiance et à décrédibiliser les instituions. L’Etat a tout intérêt à jouer franc jeu sur ces questions, sinon la défiance déjà perceptible risque de générer une forme d’aversion vis-à-vis de l’autorité politique. 

OUSMANE LAYE DIOP

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