Publié le 29 Jan 2019 - 02:38
DR MAMADOU NDIAYE

Notre rapport à la vérité a été fortement ébranlé’’

 

Le chef de division multimédia au Centre des études et techniques de l’information (Cesti), Mamadou Ndiaye, analyse par courriel ce qui devrait être l’impact des ‘‘fake news’’ sur la présidentielle du 24 février 2019.

 

Les ‘‘fake news’’ rivalisent sérieusement les informations du journalisme classique. Est-ce dans l’ordre normal de l’évolution technologique ?

Les ‘‘fake news’’ ont toujours existé. Elles n’ont pas commencé avec le développement technologique.  Ce qui est nouveau, c’est que leur résonance est amplifiée par la vitesse de circulation de l'information sur Internet, le rythme effréné du partage des publications et la non-vérification des informations sur les réseaux sociaux. Le journalisme classique peut en souffrir, car en plus de perdre le monopole de l’information, les journalistes en arrivent à ne plus contrôler les sources même de ces nouvelles. Désormais, les informations qui inondent le web sont fabriquées par des algorithmes, par des institutions, par un ou plusieurs supports médiatiques à la solde d’un individu ou d’un groupement quelconque. Les ‘‘fake news’’ (infox ou fausses nouvelles) sont délibérément fausses, diffusées dans le but de manipuler et de tromper un public-cible. Dans ces conditions, on ne peut pas parler de rivalité, parce que la production de fake news est en parfaite contradiction avec les principes journalistiques.

Les chercheurs parlent d’une ‘‘ère post-vérité’’, où le mensonge égale pratiquement la vérité. Peut-on parler de la mort du journalisme ?

Dans les grandes démocraties comme dans les pays en conflit, la vérité est attaquée de toutes parts. Cette situation est favorisée par la crise de confiance que traversent ces pays, la radicalisation toxique et partisane du climat politique, associées au sensationnalisme des médias, aux réseaux sociaux débridés, aux algorithmes programmés pour la viralité.  Le problème n’est même pas que les gens consomment des fausses nouvelles, c’est qu’on ne les atteint plus avec des vraies informations ou avec des démentis.

On en arrive aujourd’hui à parler d’une ère post-vérité. Même si les chercheurs ne sont pas unanimes sur le sens à donner à ce concept, il est clair, cependant, que notre rapport à la vérité a été fortement ébranlé. Notre société est passée de la falsifiabilité (possibilité d’être faux), pour parler comme Karl Popper, à la remise en question de toute vérité. Les fake news, en tant que telle, ne peuvent pas tuer le Journalisme pratiqué selon les règles de l’art. La vraie menace pour cette profession réside dans le fait, pour certains groupes de presse et leurs patrons, des journalistes ou personnalités qui se réclament comme tels s’investissent dans la fabrique et la légitimation de fausses informations. Une telle entreprise, loin de servir la profession, ne fera que lui enlever toute légitimité.

A quoi s’attendre d’impactant en terme de ‘‘fake news’’ pour la présidentielle de février 2019 au Sénégal ?

Les ‘‘fakes news’’ ont déjà commencé à polluer l’espace public. Ce n’est pas une surprise pour nous. Tous les observateurs avertis le craignaient, surtout dans un contexte d’élection présidentielle. Dans de nombreux pays, les ‘‘fake’’ ont joué un rôle important dans l’élection des responsables politiques qui ont su en tirer profit. C’est le cas aux Etats-Unis, en Suède, au Brésil, en Italie, etc. Cette situation risque d’envenimer sérieusement le climat social et peut avoir des répercussions spectaculaires sur l’électorat sénégalais.

Fausses ou pas, les révélations du journaliste Madiambal Diagne sur le candidat Ousmane Sonko ont réussi à semer le doute chez certains électeurs sénégalais. Et ce doute là, les démentis des partisans du candidat Sonko n’y feront rien. Ça va continuer à persister dans la tête de certaines personnes. Ma crainte est que le phénomène ne vient que de commencer. Ça va monter crescendo, à mesure qu’on s’approche de la date du 24 février.

Ne soyez pas surpris d’entendre de terribles révélations ou de voir des photos, des sons audio et des vidéos compromettantes circuler pendant les derniers jours de la campagne électorale. La fabrication de situations d’agressions ou de scènes de saccages de lieux ‘‘sensibles’’ est également une forme de production de fake news qui risque d’être opératoire au Sénégal au cours de ces prochaines semaines. Les démocraties sont prises en otage par la désinformation ; et, c’est le principal danger.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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