Publié le 4 Jan 2016 - 20:30
DR MAURICE SOUDIECK DIONE (ENSEIGNANT CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE A L’UGB)

‘’ Le flou entretenu sur la date du référendum  est une stratégie pour retarder l’opposition dans son organisation …’’

 

La classe politique nationale s’attendait à être édifiée sur la tenue d’un référendum le 31 décembre 2015 lors du discours à la nation du chef de l’Etat. Mais pour certains, Macky Sall a esquivé la question et à préférer  maintenir le flou. Pour plus d’éclairage, Enquête s’est adressé au politologue Dr Maurice Soudieck Dione. Selon cet enseignant chercheur à l’Ugb, ce  flou artistique semble être une stratégie politique visant à retarder l’opposition dans son organisation en vue de la prochaine présidentielle.

 

Comment analysez-vous le discours à la nation du Chef de l’Etat à  l’occasion de la fin de l’année ?

Le discours du Président Sall s’analyse comme un bilan d’étape articulé autour de la restitution des résultats et perspectives du travail gouvernemental sur plusieurs points : tenue des agrégats macro-économiques, efforts de modernisation de l’agriculture, de l’artisanat et de la pêche, construction d’infrastructures de soutien à la production et à la productivité, politiques de santé, de formation et d’éducation, de sport, etc., en plus des réformes institutionnelles envisagées. Globalement c’est un discours mu par un souci d’efficacité pour mettre en lumière et en évidence les réalisations et projets du gouvernement.

On attendait le président de la République, plus sur des précisions concernant  la réduction de son mandat et une date précise pour la tenue d’un référendum. Comment appréciez-vous sa démarche sur ces points ?

La réduction du mandat  présidentiel peut s’apprécier à travers une triple détente : politique, juridique et éthique. Sur le plan de l’éthique, le respect de la parole donnée est un impératif catégorique. Or, le Président Sall a toujours déclaré urbi et orbi qu’il réduirait son mandat de sept à cinq ans. Rappelons que son prédécesseur avait été vivement critiqué et politiquement sanctionné après qu’il est revenu sur sa décision de ne pas briguer un  troisième mandat, avec la fameuse formule Ma waxoon waxeet (je l’avais dit je me dédis). Sur le plan juridique la Constitution en son article 27 impose une seule voie pour réduire le mandat du Président : le référendum. 

Le référendum est une technique de démocratie directe qui permet au peuple de se prononcer sur une question institutionnelle ou sociétale majeure. Cette rigueur et rigidité constitutionnelles consacrant le référendum comme condition sine qua non pour modifier la durée et le nombre de mandats, visent à favoriser l’alternance au pouvoir et à éviter qu’un homme puisse être à la tête de l’Etat pour une longue durée pouvant être préjudiciable à la démocratie et à l’efficacité du pouvoir dans la résolution des questions économiques, sociaux et autres qui interpellent le pays.

Sur le plan politique, cette promesse du Président Sall de réduire son mandat était un moyen de rallier à sa cause le maximum de soutiens possibles, notamment les ‘’assisards’’, alors qu’il n’en avait pas besoin puisqu’il allait au second tour avec le Président sortant, Abdoulaye Wade, dont la candidature était rejetée par toute l’opposition réunie au sein du M 23. Donc le report de voix ne pouvait en aucun cas profiter à un ‘’non candidat’’. En définitive, le Président a donc confirmé son intention de réduire son mandat à travers un  projet de loi référendaire conformément aux dispositions de l’article 51 de la Constitution, mais n’a pas donné la date précise du référendum. L’entretien de ce flou artistique semble être une stratégie politique visant à retarder l’opposition dans son organisation en vue de la prochaine présidentielle, ce qui n’est pas conforme aux principes démocratiques fondés sur des règles de compétition transparentes connues et acceptées par tous à l’avance et sur un calendrier républicain clairement défini. 

Est-ce pertinent d’inclure  le référendum dans les 15 réformes annoncées ?

Cela me semble judicieux du point de vue des intérêts liés à la perpétuation du régime du Président Sall. En envisageant d’inclure la réduction de son mandat dans un projet de révision constitutionnelle articulé sur 15 points, le Président fait d’une pierre plusieurs coups. Il tient sa promesse de réduire son mandat, car renier sa parole pourrait constituer un coût politique élevé. Il évite la récupération politique susceptible d’être faite sur un projet qui ne comporterait qu’un seul point : la réduction de son mandat, comme si c’était une demande du peuple qui en aurait assez de son régime.

Il reprend des mesures préconisées par les Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions alors même que la plupart de celles-ci concernent des droits qui existent déjà à travers le préambule de la Constitution (partie intégrante du bloc de constitutionnalité) et à travers le Titre II intitulé : Des libertés publiques et de la personne humaine, des droits économiques et sociaux et des droits collectifs. Cela donne l’impression qu’il y a des avancées majeures alors que le Président pour l’essentiel, n’a touché à aucune de ses prérogatives, si l’on sait que le régime politique souffre d’une hyper-présidentialisation.

Les relations controversées entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire à travers la subordination du parquet au garde des Sceaux, ministre de la Justice, les dispositions liberticides du Code pénal, notamment l’article 80 subsistent. Le juge des libertés suggéré aussi bien par la Charte des Assises que le rapport de la CNRI, qui est censé protéger les citoyens contre la détention arbitraire et le fait du prince n’entre pas dans le cadre de la réforme. Le Président reste chef de parti, donc ne s’élève pas au-dessus de la mêlée tout en ayant des prérogatives exorbitantes contre ses adversaires politiques !

Le Chef de l’Etat a également annoncé sa volonté de valoriser l’opposition avec la modernisation du rôle  des partis politiques, le renforcement des droits de l’opposition entre autres. Quelle lecture en faites-vous ?

L’opposition est un rouage essentiel dans le fonctionnement d’une démocratie. En effet, il faut une majorité qui gouverne et une opposition qui s’oppose. Et pour une canalisation pacifique de cette confrontation, il faut un accord sur les désaccords. C’est-à-dire la sécrétion inclusive de normes formelles et informelles, écrites et non écrites, qui président aux interactions entre les différents acteurs, pour assurer une certaine prévisibilité, sécurité et civilité dans le jeu, afin que les confrontations se fassent autour des idées, des programmes et projets de société.

C’est donc l’Etat de droit qui doit être renforcé, pour permettre aux opposants de jouir pleinement et effectivement des droits et libertés que leur reconnaissent la Constitution, les lois et règlements de ce pays. C’est donc une escroquerie politique et intellectuelle, et un danger pour la paix et la stabilité nationale que de proclamer constitutionnellement et solennellement des droits et libertés pour l’opposition, tout en instrumentalisant la justice et les moyens répressifs de l’Etat contre les opposants. Surtout dans un contexte où, avec la qualité du système électoral, les gouvernants d’aujourd’hui peuvent être les opposants de demain. 

HABIBATOU TRAORE 

 

Section: