Publié le 13 Apr 2016 - 20:29

Du Sénégal et de l’Armée

 

J’ai été, comme beaucoup je pense, très fortement impressionné par le défilé du 4 avril dernier ! Pour les hommes, ils étaient comme d’habitude : parfaits ! A une notable exception, toutefois, celle des Forces Spéciales. C’était nouveau, c’était moderne, c’était prodigieux ! Jamais de mémoire de Sénégalais, l’on avait vu cela ! C’est qu’à défis nouveaux il fallait des réponses nouvelles avec des moyens nouveaux, que cela soit en termes d’hommes, de matériels, de stratégie comme de tactiques donc. Un grand bravo à nos militaires et d’abord à leurs chefs et c’est là qu’il convient de rendre à César ce qui lui appartient puisque le premier d’entre ces derniers n’est autre que le chef de l’État lui-même !

On parle toujours, s’agissant de nos Forces de Défense, ‘’d’armée républicaine’’. L’on s’en vante assez et on s’en gargarisme même. C’est pourtant un fait et il est avéré. Ce qui a fait notre chance et, en quelque sorte, cette exception sénégalaise si singulière en Afrique d’expression française, c’est d’avoir eu un Léopold Senghor à sa tête au cours des 20 premières années de son indépendance politique : il était chrétien et très pratiquant alors que pour plus de 90%, nous étions musulmans et plus que pratiquants ! Parler de Senghor ainsi, en ces termes avantageux, semble devoir aller de soi pour quelqu’un comme moi.

Ce n’est pourtant pas le cas et même, très loin de là ! Dans l’histoire de ma famille, nous étions de tradition très franchement anti-senghoriste. Nous étions ‘’Laministes’’ pour quantité de raisons dont la principale était que mon grand-père était né à Saint-Louis en 1879 et donc était citoyen français et exerçait comme ‘’chef’’ en plein pays de protectorat. C’est-à-dire au Fouta. C’est-à-dire encore que, non seulement nous n’étions pas tributaires et soumis au régime de l’indigénat mais encore, il nous incombait de l’appliquer ! Le Sénégal tout entier était une colonie mais il y avait que certains y étaient plus colonisés que d’autres et, autant dire doublement ! Cela peut aujourd’hui paraître complètement surréaliste mais c’était comme ça !

Naître à Gorée, Dakar, Rufisque ou Saint-Louis faisait de vous et de vos enfants des citoyens alors que tous les autres n’étaient que de simples ‘’sujets’’ français, peut-être, mais de troisième ordre quand même ! Et là, vous étiez assujettis au travail forcé : on vous prenait chez vous sur simple réquisition et on vous envoyait faire ou refaire des routes, construire des ponts, assurer des travaux agricoles pour une période déterminée puis on vous renvoyait chez vous et sans le sou ! Les traitants, la colonie et la Métropole y gagnaient certes et beaucoup peut-être mais vous, vous y aviez perdu du temps, des ressources et beaucoup de votre santé.

Ce Sénégal, peuplé de ‘’sujets’’ exclusivement, s’est confronté à celui des ‘’citoyens’’, qui était le seul qui existait officiellement jusqu’alors en 1951. Et, comme il était prévisible par toutes les personnes sensées, nous y fûmes complètement écrasés ! Senghor et Abbas Guèye, le petit Sérère et l’ouvrier Lébou l’ont emporté sur Lamine Guèye le fabuleux maire de Dakar et Ousmane Socé Diop Docteur vétérinaire et natif de Rufisque. J’allais alors sur mes 10 ans…

Observons ceci : les grandes familles religieuses musulmanes de ce pays, à travers leurs chefs officiellement reconnus, Seydou Nourou Tall, Babacar Sy, Falilou Mbacké ont tous soutenu et appelé à voter pour le catholique Léopold contre le musulman Lamine. Et il en fut ainsi. Pourquoi donc ? Parce qu’ils savaient faire la part des choses entre ce qui est dû à Dieu et ce qui est dû au siècle ?

Avec Senghor, cela a duré 30 ans, jusqu’au 1er janvier 1981 et signifie deux choses : les confréries existent et sont si puissantes chez nous qu’elles ont paru absolument incontournables. Et aussi, en politique, elles se déterminaient uniquement à partir de considérations strictement politiques mais jamais confessionnelles. Senghor qui savait tout ce qu’il leur devait dans son accession au pouvoir les a toujours considérées, ménagées voire favorisées quoi qu’il fut chrétien. Mais Mamadou Dia qui fut son ami et son lieutenant, parce que musulman pour sa part, a pensé ne pas devoir, sinon la même allégeance du moins les mêmes égards aux principales familles religieuses, s’est vu combattre par celles-ci et pousser à la faute en décembre 1962. Quelle que puisse être la sainteté de vos intentions, il faut toujours évier d’aller plus vite que la musique !

C’est qu’en 1951, il y avait eu comme un quiproquo entre tous ceux qui s’étaient ligués pour mettre fin à la dictature des ‘’4 communes absorbées : il ne s’agissait pas que celles-ci fussent par l’hinterland mais bien que celui-ci le fût par celles-là ! En termes de droits, de libertés et de considération ! Il ne s’agissait pas de ravaler les ‘’ 4 communes’’ au rang du ‘’pays d’en bas’’ mais de remonter ce dernier à égalité de rang ! Et ainsi et dès lors que ceci avait été fait, il n’y avait plus de soucis ! Pas de ‘’Grand Soir’’ ni de ‘’Crépuscule des Dieux’’ ou des têtes seraient coupées et des lieux profanés : cela ne nous correspond pas, n’est pas sénégalais !

Ce fil que je tire à propos du 4 avril de la semaine dernière, c’est celui-ci : nous avons, grâce à Dieu, un État qui tient la route, c’est-à-dire où le militaire connaît et son rôle et sa place et où le civil, qu’il soit de l’ordre du ‘’régulier’’ ou de celui du ‘’séculier’’, connaît lui aussi les siens et assume tout autant ! Les périls liés à l’intégrisme religieux sont aujourd’hui réels et, peut-être, imminents. Et il est heureux, alors qu’à la tête de notre État et de nos Forces Armées il y ait des hommes qui puissent chercher, trouver  et mettre en œuvre surtout, les moyens tant financiers qu’humains et matériels pour protéger notre nation, son mode de vie et donc sa très vieille et irremplaçable cohésion interne entre religions et ethnies… 

 

Section: