Publié le 24 Nov 2018 - 22:12
ECOLES SUPERIEURES FRANCAISES

La grogne des Africains indésirables

 

L’indignation est presque généralisée suite à la hausse de plus de 1500% des frais de scolarisation en France pour certains étudiants étrangers, dont les Africains.

 

Dans ‘’La grève des Bàttu’’ de l’écrivaine sénégalaise, Aminata Sow Fall, certains dirigeants considèrent les mendiants comme des déchets humains qu’il faut chasser de la capitale. En France, il n’est pas question de mendiants mais bien d’étudiants étrangers pauvres qu’il faut empêcher d’envahir les écoles. Tel est en tout cas le sentiment de nombre d’étudiants accrochés, hier, à l’occasion du 3e Salon Formation et 1er Emploi co-organisée par les autorités françaises et sénégalaises.

‘’Ils pouvaient simplement dire : étudiants africains, restez chez vous’’, fulmine Ousmane Ndaw, étudiant à l’Université virtuelle du Sénégal où il suit une formation en Multimédias, informatique et communication. ‘’Avec ces nouvelles conditions, poursuit-il, étudiez en France devient quasi-impossible pour les Sénégalais issues de familles modestes. C’est vraiment dommage parce que moi j’avais cette ambition et la France était mon premier choix’’, dit-il avec amertume.

Dans sa chemise noire assortie d’un jean bleu, ce natif du département de Linguère livre ses conseils aux jeunes Sénégalais et Africains. Il déclare, un brin renfrogné : ‘’Nous les Africains devons aussi, si le gouvernement français ne revient pas sur sa décision, rester chez nous ou essayer de voir d’autres opportunités parce qu’il n’y a pas que la France. Même au Sénégal, il y a  de bonnes écoles. Le seul problème c’est l’environnement qui n’est pas propice’’.

Le bonhomme de teint noir réagissait ainsi à la mesure du gouvernement français consistant à augmenter les frais de scolarisation pour certains étudiants étrangers en France de plus de 1500%, soit de 170 euros à 2770 euros pour la licence ; 240 à 3770 euros pour le master. Le premier ministre Edouard Philippe se justifie sur son compte twitter : ‘’Un étudiant étranger fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est injuste’’. Ce post, au moins, a le mérite d’être clair et sans équivoque possible. Le hic, c’est quand le gouvernement français évoque sa volonté de rendre les écoles françaises plus attractives et les conditions de vie des étudiants plus confortables, sous le label ‘’Bienvenue en France’’.

Hawa Agne, Maimouna Ba et Fatima Basse, assises dans la cour de leur école Cours sainte Marie de Hann, devisent tranquillement. Malgré leur situation plutôt aisée, elles ne sont pas insensibles face à la décision d’Emmanuel Macron qu’elles trouvent cynique. Elles n’en décolèrent pas. D’un revers de main, la première nommée balaie les arguments du numéro 2 du gouvernement français. Elle fustige : ‘’Mais ils nous prennent pour des idiots. C’est même illogique que de vouloir l’expliquer par une volonté d’améliorer la condition des étudiants étrangers. C’est du n’importe quoi. Ces arguments sont fallacieux’’. A en croire la jeune fille qui a déjà jeté son dévolu sur le Canada pour suivre une formation en médecine conformément à la volonté de son père, la décision française n’a qu’un seul objectif : ‘’limiter le nombre d’étudiants africains en France’’.

Maimouna Ba, teint clair, taille fluette, trouve une explication plutôt mercantiliste. Elle estime que la mesure a deux raisons fondamentales. D’une part, c’est un moyen de se faire de l’argent sur le dos des étudiants étrangers ; d’autre part, pour lutter contre les problèmes de chômage dans leur pays parce que beaucoup d’Africains qui étudient là-bas préfèrent rester sur place. ‘’Mais, s’empresse-t-elle d’ajouter : c’est regrettable parce qu’il y a des gens qui ont le cerveau mais qui n’ont pas les moyens…’’. Fatima Basse la coupe net en s’exclamant : ‘’Allons au Canada et laissons les avec leur pays’’. Toutes les trois éclatent de rires et reconnaissent ensemble que, dans ce pays de l’Amérique du nord au moins, ‘’on aime les étrangers’’. ‘’Ils sont très accueillants et il parait qu’on peut y obtenir facilement la nationalité’’, renchérit Mlle Basse qui n’exclut pas non plus des études en Angleterre. Très en colère, elle peste : ‘’C’est de la méchanceté. 2700 euros, sans parler des billets d’avions, des moyens de transports, d’hébergement… En plus avec ce froid, il va falloir renouveler sa garde-robe’’.

A quelques mètres des demoiselles, Ndongo Fall discute avec un exposant français. Etudiant à l’ISSIC, il a toujours nourri le rêve d’aller continuer ses études dans le pays de Marianne. Juste après l’obtention du baccalauréat avec la mention Bien, il entame les procédures mais échoue à la porte de l’ambassade de France. L’obstacle, ce n’était pas les frais d’inscription, mais l’hébergement. ‘’On m’a refusé le visa parce que mon frère qui devait m’héberger a entre-temps été affecté en Italie. Auparavant, j’avais rencontré tout un tas de problèmes avec les formalités au niveau de Campus France. J’envisageais de tenter à nouveau ma chance mais là, je me demande si cela en vaut toujours la peine. Les nouveaux frais sont excessivement chers’’. Pour lui également, la surprise n’a pu être moins grande que la déception et à l’’incompréhension. Il dénonce : ‘’Rien ne peut justifier une telle hausse. J’aurais pu comprendre des hausses de 10 à 20%, mais  autant de fois c’est inadmissible. Je m’interroge vraiment sur les amis qui sont déjà sur place et qui sont concernés par la mesure’’.

En fait, une de ses amies vient de s’envoler pour la France et elle se plaint de cette décision inattendue. ‘’Elle m’a dit que cela va fausser carrément son plan. Elle avait payé initialement l’équivalent de 150 000 francs CFA. Avec cette hausse, elle risque de devoir payer des millions.  Elle n’a pas là-bas des parents ; elle n’a pas beaucoup de moyens. Son petit job lui permet juste de pouvoir se prendre en charge. C’est frustrant. Ils veulent juste nous bloquer dans nos pays. Nos gouvernements ne doivent pas négliger cette affaire. Il faut une réaction digne de ce nom. Un Etat qui se respecte ne peut pas laisser ses ressortissants subir tant de pression sans réagir’’.

Mais c’est peine perdue si l’on se fie au témoignage de ce garçon debout juste à l’entrée de l’établissement. Très railleur, il déclare : ‘’Nos gouvernements sont très faibles. Que peuvent-ils faire contre la France qui est quand même un Etat souverain et qui l’a toujours démontré. Ils (les Français) font ce qu’ils veulent de nos étudiants, de nos émigrés et ensuite, ils viennent ici on leur donne tous les marchés. C’est la françafrique mon cher. Moi de toute façon je n’aime pas la France donc la mesure ne me concerne pas’’.

Malgré les obstacles, certains étudiants sénégalais croient toujours au ‘’mirage’’ français. Mor Ngom en est un. Lui qui a fait un BTS en électrotechnique dans une école de la place où il est entièrement pris en charge par l’Etat du Sénégal est venu visiter le salon pour scruter, dit-il, des opportunités pour rejoindre le pays d’Emmanuel Macron. Toujours aussi déterminé, il témoigne : ‘’Cette mesure ne me décourage pas. Je veux toujours aller tenter ma chance même si j’ai un problème de moyens. Là-bas au moins, tu peux travailler pour financer tes études. En plus, une fois le diplôme en poche, tu peux trouver un emploi. Ici, j’ai mon diplôme mais je n’arrive même pas à avoir un stage’’.

Il faut souligner que la hausse des frais de scolarisation ne concerne pas que les Africains, mais tous les étrangers résidant hors de l’Union européenne.

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Serigne Mbaye Thiam (Men) 

 ‘’Il faut s’adapter’’

En bonne place au rang des pays étrangers qui comptent le plus d’étudiants en France, le Sénégal est touché au premier plan.

Récemment, des étudiants africains ont demandé aux gouvernements africains de réagir suite à la hausse en France des frais d’inscription. Mais qu’ils ne comptent surtout pas sur le Sénégal pour regretter la décision. ‘’Ce sont des questions  qui relèvent de la souveraineté des Etats. Quand on fixe ici nos frais d’inscription, on ne demande la permission à personne. Maintenant c’est au Sénégal et aux étudiants sénégalais de s’adapter’’, déclare tout de go  le ministre de l’Education nationale en marge de la visite du Salon Formation et 1er Emploi. Mieux, Serigne Mbaye Thiam  s’érige en avocat de l’Etat français et explique : ‘’’Les étudiants sénégalais ont toujours payé les frais d’inscription. C’est la même chose au Sénégal où les étudiants paient leurs frais d’inscription. Dans le privé et les écoles d’ingénieur, on paie sa scolarité’’.

A l’en croire, la coopération du Sénégal avec la France dans le domaine de l’éducation ne concerne pas seulement les frais d’études. C’est beaucoup plus vaste. ‘’Nous avons des coopérations dans les domaines de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur avec le campus franco sénégalais, de l’Education avec un appui dans les investissements à  travers le développement de l’enseignement moyen à Dakar, le projet d’amélioration de l’équité et de la qualité de l’enseignement en Casamance et un nouveau projet d’appui à l’enseignement au Sénégal’’. Le ministre est d’autant plus heureux qu’après le séminaire-intergouvernemental et la visite du président Macron, l’axe Dakar-Paris en matière d’éducation a pris une autre tournure : ‘’Nous avons une coopération plus suivie avec le ministère français de l’Education, notamment dans le domaine de la formation des enseignants’’, se réjouit-il.

Pendant ce temps, le représentant de l’ambassadeur, Laurent Perez Vidal, lui, se la joue prudent. ‘’Il est trop tôt pour nous de se prononcer sur cette mesure. Nous sommes dans l’attente, dit-il, d’instructions précises de la part de notre gouvernement’’. Le Sénégal, selon lui, est le pays étranger qui compte le plus d’étudiants en France. ‘’C’est 4000 étudiants qui parviennent à la France et un peu plus de 10 000 qui y étudient régulièrement. Aux étudiants qui considèrent que l’ancienne puissance coloniale ne veut plus des Africains, il rétorque : ‘’Nous ne sommes pas dans cette dynamique. La relation est trop précieuse, pas simplement historiquement parlant mais également en termes d’enjeux et de défis à relever, pour penser que la France, à quelques moments que ce soit, peut dire aux étudiants : nous ne voulons plus d’étudiants africains ou sénégalais en particulier’’.

En ce qui concerne la durée de traitement des demandes de visas, il donne sa langue au chat : ‘’Je suis conseiller de coopération et d’actions culturelles. Je ne suis pas autorisé à répondre sur les questions consulaires’’.

MOR AMAR

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