Publié le 22 Feb 2017 - 02:01
EL HADJ HAMIDOU KASSE, CHARGE DE LA COMMUNICATION DE LA PRESIDENCE

‘’Nous n’avons pas à nous acharner sur Khalifa Sall’’

 

Si la convocation de Khalifa Ababacar Sall aujourd’hui devant les enquêteurs de la Division des investigations criminelles est, aux yeux de certains socialistes, de l’acharnement, il n’en est rien, selon El Hadj Hamidou Kassé. Le ministre conseiller en communication du président de la République dégage en touche et nie toute tentative de liquidation d’un adversaire politique. Mieux, il pense même qu’on risque, si on suit cette logique, de demeurer dans l’impunité. Dans cet entretien avec EnQuête, le ministre conseiller revient sur les scènes de violences notées ces temps-ci dans les rangs de l’APR et sur la récente visite du président de la République en Gambie, entre autres questions d’actualités. Entretien.

 

Le maire de Dakar Khalifa Sall doit déférer aujourd’hui à une convocation à la Division des investigations criminelles, suite à un rapport de l’IGE. Certains socialistes parlent d’acharnement et une tentative de liquidation d’adversaires politiques. Qu’en pensez-vous ?

Je pense très sincèrement qu’on doit dépassionner le débat. Vous savez, un peu partout dans le monde, quand un homme politique est convoqué devant les tribunaux, il parle toujours d’acharnement politique. C’est dans tous les pays du monde. Prenez l’exemple de la France, je ne nommerai personne, mais vous savez de quoi je parle. Prenez l’exemple en Russie au moment où nous sommes en train de parler. Il y a l’exemple même des Etats-Unis. Un peu partout à travers le monde, à chaque fois qu’un homme politique est convoqué devant les tribunaux, on crie au scandale et à la tentative de liquidation. Encore que là, il doit répondre à la Division des investigations criminelles. Chacun de nous peut répondre à la DIC. Il n’est pas dit qu’il est inculpé. Non ! Mais à chaque fois, on parle d’acharnement politique. Cela veut dire qu’on risque, si on suit cette logique, de demeurer dans l’impunité.

Cela veut dire qu’à chaque fois, les hommes politiques peuvent commettre des délits et ne pas être convoqués sous prétexte que c’est un acharnement politique. Le fond du problème, c’est : est-ce que ce qui est en jeu est vrai ou non ; est-ce que les faits  qui ont été soulevés par l’IGE sont avérés ou non ? Mais on ne peut pas se cacher derrière le statut d’homme politique pour se soustraire à la justice. Premièrement. Deuxièmement, je vais vous donner l’exemple de Monsieur Barthélemy Dias. Mais c’est quand même la famille du défunt Ndiaga Diouf qui a rouvert le dossier. Sur le cas de Monsieur Bamba Fall, il s’agit d’un problème interne au Parti socialiste.

Et d’après les faits qui ont été rendus compte à la police, la direction du PS a porté plainte, parce qu’il y a eu des scènes de violences dans l’enceinte de la maison du parti. Mais ça, le pouvoir n’a rien à voir, à moins que le statut politique de M. Fall et de ses amis soit un motif de les soustraire à la justice. Abdoul Mbaye, il est devant les tribunaux du fait d’une plainte de son épouse. Mais en quoi c’est de l’acharnement politique ? Parce que si l’opinion sénégalaise, les journalistes, les intellectuels et les analystes acceptent ce genre d’arguments, c’est dangereux pour la bonne et simplement raison que maintenant, dès que vous commettez un délit, vous créez votre parti, vous vous portez candidat à la présidentielle ou à une autre élection. On vous touche, vous allez dire que c’est de l’acharnement.

Il se trouve que tous ces dossiers ont été activés à quelques mois des élections.

Mais ça peut même être activé à un jour des élections. Le problème, c’est moins cela que le fait lui-même. Ça aussi, il faudrait qu’à mon avis, à un moment ou un autre,  vous autres, vous jouiez un rôle de modérateurs, c’est-à-dire de diseurs de ce qui est, des gens qui portent les questions essentielles. Est-ce que c’est vrai ou non ? D’après ce que j’ai lu dans la presse, je n’ai pas eu le rapport de l’IGE, est-il vrai ou non que Khalifa Sall a pris 30 millions par mois dans les caisses de la mairie de Dakar, depuis qu’il est là ? Si ce n’est pas vrai, on n’a rien à lui reprocher.

Lui, il parle de caisse d’avance qui existait déjà sous Lamine Guèye.

Est-ce que c’est légal de prendre 30 millions de la caisse d’avance de la mairie de Dakar ? C’est cela le problème. C’est un problème de légalité. Ce n’est pas parce que Lamine Guèye puisait dans ces caisses, même si c’est absurde, que c’est légal. Même si Lamine Guèye prenait de l’argent dans ces caisses, le problème est : est-ce que c’est légal ?

Est-ce que ce n’est pas parce que Khalifa Sall se positionne de plus en plus comme un sérieux challenger du Président Macky Sall qu’il est aujourd’hui visé ?

Si un opposant commet un délit, on doit le soustraire ?

Mais comment comprendre le fait que des responsables du pouvoir soient épinglés dans un rapport et qu’ils ne soient pas inquiétés ?

Quels responsables ?

Le directeur du Coud  (Centre des œuvres universitaires) par exemple. 

Attention ! Ça, c’est un rapport de l’Ofnac qui est différent d’un rapport de l’IGE. Il faut faire attention pour ne pas faire d’amalgames. Il n’y a pas  d’informations relatives à ça. Ensuite, il faut aussi savoir que Khalifa Sall est innocent jusqu’à preuve du contraire. Parce qu’il y a la présomption d’innocence. Il faudrait faire très attention. Si les gens défendent l’impunité, ils n’ont qu’à le dire.

Toujours est-il que ces rapports ne concernent pas uniquement Khalifa Sall. Il y a d’autres maires qui seraient concernés. On a même cité le maire de Thiès, celui de Ziguinchor… mais jusqu’à présent, on ne parle que de Khalifa Sall. Au même moment, certains de ses lieutenants, comme Bamba Fall et Barthélémy Dias ont des ennuis avec la justice. Est-ce qu’à partir de ce moment, on ne peut pas parler d’acharnement ?

Mais attendez ! Qui a porté plainte contre Barthélémy Dias ?

Mais pourquoi attendre qu’il soit en rupture de ban avec Tanor pour réactiver le dossier ?

Je suis désolé mais le fond du problème, ce n’est pas ça. Il n’y a pas d’acharnement, parce que, de toutes les façons, nous, au niveau de la mouvance présidentielle, nous n’avons pas à nous acharner contre Khalifa Sall, Abdoul Mbaye. Le fond du problème, c’est pourquoi ils sont devant la justice. Si ce qu’ils ont fait est un délit, personne ni aucun argument ne peut les soustraire de la justice. Si maintenant, ils n’ont rien fait, la justice n’a aucun moyen de les condamner. C’est aussi simple que cela. Je résume, il faut qu’on fasse attention de dire qu’à chaque fois qu’un homme politique est convoqué devant les tribunaux, il s’agit d’un acharnement. On ne parle plus de faits qui lui sont reprochés, mais de son statut. Si on suit cette logique, c’est le règne total de l’impunité.  

En parlant de la mouvance présidentielle, nous sommes à quelques mois des Législatives et jusqu’à présent, on ignore qui va diriger la liste de votre coalition. Des noms dont celui de Moustapha Niasse sont avancés. Qu’en est-il réellement ?

Jusqu’à preuve du contraire, je ne connais pas celui qui sera tête de liste. Ce dont je suis sûr, c’est qu’au moment opportun, le Président de la coalition qui se trouve être le Président Macky Sall et ses amis de la coalition BBY, mais certainement d’autres forces de la société civile alliés de ladite coalition, vont se concerter pour désigner celui qui sera tête de liste.

Jusqu’à présent, ce n’est pas encore arrêté ?

A ma connaissance, non.

Pour le cas d’Abdoulaye Makhtar Diop, est-ce que réellement le président de la République l’a désigné pour diriger la liste de Dakar ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant. Il faut peut être demander à ceux qui ont sorti ça, de nous dire où est-ce qu’ils tiennent cette information.

L’Apr est minée par des scènes de violences notées récemment à Ziguinchor et à Fimela. On parle de Farba qui aurait insulté le préfet de sa localité. Comment voyez-vous tout cela ?

D’abord, il faut toujours regretter la violence et la condamner, quelles qu’en soient les raisons. La violence n’a jamais été le meilleur moyen de régler les différends, les contradictions. Elle peut les régler, tout de suite, mais ce n’est jamais de façon durable. Il ne faut jamais souhaiter la violence. Il faut la condamner de la manière la plus ferme et sans réserve.

Malheureusement, nous sommes des partis de masse. Et ça, c’est depuis Senghor. J’étais jeune et j’assistais dans ma région à des batailles farouches à l’intérieur d’un même parti. Parce qu’en ces temps, sous Senghor, jusqu’en 1974, avant la création du Pds, il y avait un seul parti. Et c’est au sein de ce parti qu’il y avait les batailles les plus âpres. Pour Senghor, c’était une manière d’animer la vie du politique. Donc, il y a eu des violences et même des morts d’hommes. On se rappelle avec désolation la mort de Demba Diop à Thiès, les tentatives d’assassinats de Senghor, jusque sous le Président Diouf dans le Mékhé. Dans le Pds, c’était exactement la même chose.

C’est malheureusement les partis au pouvoir et même certains partis dans l’opposition où il y a les tiraillements et certains phénomènes de violence. Les partis de masse génèrent toujours la violence. Je pense qu’il y a au sein de tous nos partis la nécessité de l’éducation  politique, de la formation. Il faut que les gens se battent autour d’idées. Il faut que je voie en l’autre un porteur d’idées avec qui je peux être d’accord ou ne pas être d’accord. Dans un même parti, ce qui est en jeu, c’est d’abord l’unité, comme disait le Président Sall, la mobilisation et la discipline. Ce qui est souhaitable. Parce que quand même, nous sommes un parti au pouvoir qui est interpellé chaque jour par des défis majeurs, notamment celui de la construction de ce pays-là. Il est donc important que la discipline, l’unité et la mobilisation soient les maîtres-mots.

Est-ce que les guerres de positionnement ne sont pas en train de prendre le dessus sur les valeurs que vous évoquez ?

Je n’aime pas le mot guerre. Les batailles de positionnement sont tout à fait normales. Mais, il faut qu’on éduque de plus en plus les responsables et les militants, pour avoir une approche basée d’abord sur la recherche du consensus. L’acceptation par tous de la règle de la majorité. D’abord, il faut cultiver le désir d’unité autour des objectifs du parti. Il faut de la discipline pour cimenter cette unité-là. Et il faut de la mobilisation pour prendre des bastions, pour vaincre. Parce que nous sommes en compétition avec d’autres partis, notamment d’opposition. Donc, il faut ce désir d’unité, de la discipline et de la mobilisation pour gagner des batailles de ce genre.

Certains expliquent ces cas de violences par le fait que votre parti ne soit pas jusqu'à présent structuré…

Je vous ai donné l’exemple du Ps. C’est un parti structuré de la base au sommet. Le PDS est un parti structuré de la base au sommet. Il y a de la violence. Il y a des partis qui sont dans l’opposition, mais qui sont déchirés par des violences. Ce n’est pas la structuration ou non en tant que telle qui génère la violence. Ce qui génère la violence, c’est le caractère de masse de tous ces partis-là. Tout le monde n’a pas le même niveau d’éducation politique. Ce qui génère également la violence, ce sont les ambitions, souvent individuelles qui priment sur la nécessité de construire un destin collectif sur les projets collectifs. C’est ce qui génère les phénomènes de violence. C’est pourquoi, je dis qu’il faut qu’on cultive le désir d’unité, au sein de nos partis, sur le socle de la discipline. Cela, en nous mobilisant pour remporter les batailles décisives et essentielles pour le peuple sénégalais.

Vous êtes le responsable de la communication de la Présidence de la République. Récemment, le Président a fait une sortie depuis Dubaï pour s’en prendre à certains leaders de l’opposition et de la société civile qui se sont exprimés sur la panne de la machine de la radiothérapie de l’hôpital Le Dantec . Vous avez sorti un communiqué pour dire que le Président n’a jamais parlé d’’errants oisifs’’. Qu’est-ce qui explique cette cacophonie, selon vous ?

Il n’y a pas de cacophonie.

Que s’est-il donc passé ?

Le Président a d’abord dit que l’Etat est en train de mobiliser les moyens pour amener au Sénégal des appareils de radiothérapie de dernière génération, répondant à des normes standards. Il a même dit que son ambition est d’amener des machines qu’on voit aux Etats-Unis, à Dubaï. Voilà ce que le Président a dit. Il a dit également qu’il y a des gens dans l’opposition  qui veulent utiliser cette situation pour en faire un thème de campagne.

Est-ce qu’ils ne sont pas dans leur rôle d’opposants ?

Eux, ils sont dans leur rôle d’opposants et ont le droit de critiquer le Président. Et lui (le Président) n’a pas le droit de les critiquer ?

Mais gouverner, c’est prévoir. Pourquoi donc attendre que la machine soit morte pour en acheter d’autres ?

Mais non ! On est d’accord sur le constat qu’il n’y a pas de machine. Mais le plus urgent, c’est cette question ou c’est d’avoir des appareils ? Le plus urgent, c’est d’avoir ces appareils. Et le Président a engagé le gouvernement pour avoir immédiatement des machines de dernière génération, de normes standards. C’est ça qui est le plus essentiel. Au contraire, le Président a salué le geste de citoyens, notamment des jeunes et des femmes, qui sont en train de contribuer à la résolution de ce problème. Ce, d’autant plus qu’il a engagé le gouvernement à prendre en charge tous les malades qui ont besoin de la radiothérapie. De même, il a demandé de renforcer les moyens pour que ceux qui ont besoin de chimiothérapie aient accès à ces soins. Il ne faut quand même pas oublier que c’est avec le Président Macky Sall que la dialyse est gratuite dans les établissements sanitaires publics. Dans tous les hôpitaux publics, la césarienne est gratuite.

C’est également avec lui que nous avons eu la couverture maladie universelle (CMU). Quand on venait, il y avait seulement entre 20 et 25% de gens qui étaient couverts dans ce pays.  Les gens du secteur privé et du secteur public. Mais aujourd’hui, ils sont plus de 50% de Sénégalais à être couverts, avec une subvention de l’Etat de 50%. C’est-à-dire, la personne donne 3 500 et le gouvernement 3 500, ce qui fait 7 000 pour que la personne soit couverte. Ça n’existait pas. Donc, ce ne sont pas seulement les réformes dans le secteur de la santé. C’est une révolution. Le plan Sésame a été renforcé. Quand le Président venait, le plan Sésame était complètement à terre. Aujourd’hui, il y a des programmes, de nouveaux hôpitaux comme à Touba et ailleurs. Il faut qu’on reconnaisse ce qui est en train de se faire, en prendre acte et aller ensemble pour que notre système éducatif s’améliore.

Mais pourquoi le Président attend toujours d’être à l’extérieur pour se prononcer sur des questions internes ?

Attention ! On était dans une extraterritorialité avec les Sénégalais de l’extérieur. Est-ce que les Sénégalais de la diaspora sont des Sénégalais oui ou non ? Si des Sénégalais de la diaspora interpellent le Président sur des questions d’actualité nationale, doit-il dire : attendez que j’aille chez nous là-bas pour la réponse ? Sinon la politique intérieure du pays n’a jamais été exposée à l’extérieur par le président de la République. On ne peut pas me donner un seul exemple. Le Président, à chaque fois qu’il part à l’extérieur, sa première activité est de recevoir ses compatriotes qui posent des doléances, qui s’enquièrent de ce qui se passe dans le pays, qui lui posent des questions. Mais il ne va pas dire qu’il ne peut pas répondre

Mais c’est aussi en France que le Président avait annoncé la libération de Karim Wade…

Le Président, quand on lui pose des questions, il répond. On a fait des conférences de presse ici, à Kaffrine, à Saint-Louis, à Ziguinchor, à Dakar. Les journalistes sénégalais lui ont posé des questions. Il a été invité à la table de la presse, il avait répondu aux questions. Des journalistes l’ont interviewé. Il faut qu’au Sénégal, nous autres journalistes, qu’on se dise que demain, il faut qu’on aille chercher des interviews avec des dirigeants. On est dans un espace ouvert où désormais, il faut se méfier du patriotisme étroit. Si des confrères étrangers frappent à la porte du Président pour une interview, on le fait. Si vous, vous voulez interviewer le Président, vous nous saisissez. Ça, ce n’est pas un problème. Moi, ce que je veux juste dire pour terminer est que le Président, quand il voyage, sa première activité en général, c’est de recevoir les Sénégalais, de les écouter et de répondre à leurs questions.

On a comme l’impression que le Président, durant ces dernières sorties, est beaucoup plus sur la défensive que sur l’offensive.

Le Président n’a jamais été sur la défensive. Il parle très rarement de l’opposition. D’ailleurs, ce que les Sénégalais disent, c’est que le Président travaille et ne parle pas. Maintenant, il y a des gens qui ne travaillent pas et qui parlent.

La Gambie a célébré ce week-end le 52ème anniversaire de son accession à l’indépendance. A cette occasion, le Président Macky Sall a été fait invité d’honneur et a été bien accueilli par les populations gambiennes. Comment analysez-vous tout cela ?

Pour ce qu’on peut appeler l’évènement Gambie, il est quand même important de rappeler que le Sénégal a joué un rôle considérable dans le dénouement heureux de la crise. Le Président Macky Sall a engagé notre pays dans la plus grande discrétion et dans le respect strict du cadre communautaire. Même si par ailleurs, c’est le Sénégal qui a mobilisé la CEDEAO et a agi au niveau de l’Union africaine et du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Sénégal, vous l’avez remarqué, n’a jamais fait dans l’unilatéralisme dans cette question. Mais il se trouve qu’il est le premier concerné par la crise gambienne, compte tenu de la proximité géographique, de la continuité culturelle, de l’histoire et de l’environnement géopolitique. Le Président a toujours insisté sur le fait que la Gambie est un pays souverain et qu’il était important de partir de cela pour justement envisager toute action.

N’oublions pas que l’actuel Président Adama Barrow a prêté serment ici même au Sénégal, même si par ailleurs l’ambassade est dans ce qu’on peut appeler une extraterritorialité. Cela veut dire que c’est une continuité, le prolongement de la Gambie comme toute ambassade dans les autres pays en général. Il a bénéficié de toutes les conditions de sécurité qui lui ont permis de prêter serment et de rentrer en sécurité. C’est seulement en reconnaissance de tout ce rôle que le Sénégal a été, sous le nouveau régime, l’invité spécial de la fête nationale. Je pense que, d’abord, le Président Barrow fait preuve d’une bonne volonté. Vous savez que la crise au Sud de notre pays a connu des pics parce que simplement au niveau des anciennes autorités gambiennes, le jeu n’a pas toujours été clair. Le Président Barrow donne des signes de bonne volonté pour que véritablement la paix revienne définitivement.

Aujourd’hui que Yahya Jammeh a quitté le pouvoir, quelle doit être, selon vous, la posture du Sénégal par rapport à la Gambie ?

Le Président Barrow montre quand même des signes de bonne volonté et d’une disponibilité manifeste pour appuyer le Sénégal dans la résolution de cette crise qui remonte. Par ailleurs, aujourd’hui, tout le monde peut prendre acte du fait que le processus de paix, même si personne n’en parle, parce que c’est une manière de gérer aussi, a connu des progrès immenses qui ont été enregistrés dans la recherche de paix définitive dans cette partie Sud du pays. Le fait aussi que le président de la République soit invité d’honneur de la fête nationale ; qu’il ait bénéficié de cet accueil exceptionnel quand il est arrivé ; mais également qu’il ait été accueilli de façon tout aussi exceptionnelle au stade, lors de la cérémonie d’investiture, cela prouve que la rumeur selon laquelle il y a un sentiment anti-sénégalais en Gambie est tout à fait fausse.

Je pense que le peuple gambien a manifesté de l’affection, de l’amour et de la fraternité  pour le peuple sénégalais, de la même manière que c’est le peuple sénégalais dans son ensemble qui a accompagné les efforts du Président Sall et de ses équipes diplomatiques pour, justement, donner corps au mandat de la CEDEAO et aider les Gambiens à tourner cette page sans désastre humain. Heureusement que le président de la République et la CEDEAO ont allié de façon harmonieuse la démarche diplomatique et la solution militaire. La chorégraphie entre ces deux options a imposé la raison à l’ancien président qui est finalement parti.

Mais qu’est-ce qui va changer dans les rapports entre les deux pays ?

Ce qui va changer, à mon avis, c’est qu’on va désormais rétablir des relations de confiance entre les deux pays. Les deux Présidents et les deux pays vont renouer des relations historiques. Parce que le Sénégal et la Gambie sont liés par l’histoire. Cette liaison est encore accentuée par la géographie. Il y a une continuité entre ces deux pays. Ce sont les mêmes ethnies, les mêmes langues, le même univers socioculturel, la même civilisation. Ce sont deux pays jumeaux que rien ne devrait séparer. Maintenant, il y a eu les contingences malheureuses de la colonisation qui ont imposé deux pays, mais en réalité, c’est un même peuple. Il y a une intégration extraordinaire entre les différentes régions frontalières de la Gambie. Cette situation va donc permettre un renouveau des relations entre le Sénégal et la Gambie, une coopération économique mutuellement bénéfique, une mutualisation de leurs moyens pour la sécurité de leurs frontières. Les projets que nous avions avec la Gambie vont certainement s’accélérer, comme le pont et d’autres infrastructures qui devraient permettre la fluidité des échanges entre les deux pays.

Les forces de la CEDEAO positionnées en Gambie ont un mandat de trois mois. Certains observateurs pensent que les soldats sénégalais devraient rester en Gambie, y faire le temps nécessaire pour nettoyer la partie sud du pays afin de mettre fin au conflit casamançais. Pensez-vous que ce sera facile de régler tout cela en seulement trois mois ?

Ecoutez, le mandat de la CEDEAO s’étend de trois à six mois. Maintenant, ce sont les autorités gambiennes qui ont demandé la présence de la CEDEAO pendant cette période. Ce sont par conséquent les autorités gambiennes et la CEDEAO qui vont évaluer, en temps opportun, si la sécurité, la paix et la restauration de la démocratie sont suffisamment ancrées pour envisager si les forces en présence vont rester ou pas. Il est à mon avis un peu tôt de parler de cette question. Toujours est-il qu’il est essentiel de consolider l’atmosphère de paix et de la sécurité de la Gambie. Il est important de protéger la démocratie. Parce que cela a été une des missions de la CEDEAO, restaurer la démocratie et assurer la sécurité de la Gambie.

Est-ce que la Gambie peut servir de base arrière aux forces sénégalaises pour quand même mettre fin une bonne fois pour toutes à la crise casamançaise ?

La Gambie est un pays autonome. Elle ne saurait servir de base arrière au Sénégal. Tout ce que je peux dire, d’après les discours croisés des uns et des autres, c’est qu’il y a la volonté affirmée des nouvelles autorités gambiennes de contribuer efficacement au retour définitif de la paix dans la région sud de notre pays.

PAR ASSANE MBAYE ET I. KH. WADE

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