Publié le 1 Dec 2016 - 12:53
ELECTION PRESIDENTIELLE GAMBIENNE AUJOURD’HUI

Jammeh coupe le pays du reste du monde

 

Au pouvoir depuis 22 ans, le Président gambien Yahya Jammeh est sérieusement menacé, pour la première fois, par un scrutin. L'élection présidentielle gambienne de ce jeudi le dresse face à une opposition qui a réussi à faire bloc autour d'un candidat, Adama Barrow. Mais le dictateur gambien a déjà envoyé les premiers signaux de sa détermination à rester au pouvoir, en coupant internet et les appels venant de l’étranger, en plus de mettre à l’écart les observateurs.

 

Depuis les manifestations d'avril dernier pour réclamer des réformes politiques, l'éphémère soulèvement contre la mort en détention de l'opposant Solo Sandeng et l'arrestation de l'opposant Ousainou Darboe, les frustrations nées des difficultés économiques et de la répression des opposants ont fini par libérer de plus en plus de voix dissidentes, malgré les risques d'arrestation et de disparition. Pas même l'émergence de Mama Kandeh, un candidat issu des flancs du parti de Yahya Jammeh, n'a réussi à briser l'élan de cette opposition longtemps divisée, réprimée et réduite à gémir, depuis la conversion de la junte militaire de Yahya Jammeh en un régime civil. Dopée par son unité affirmée, l'opposition a réussi à déchaîner une passion et un engouement des Gambiens pour un vote qu'elle espère transformer en véritable défi dans les urnes. En attestent les foules monstres qui ont suivi Adama Barrow, obligeant Yahya Jammeh à forcer les fonctionnaires, l’armée, la police et les élèves à se joindre à sa campagne.

Et dans ce petit pays voisin du Sénégal, où le mystique occupe une place de choix dans le quotidien des Gambiens, l’apparition d’un vautour blanc au centre-ville de Basse, la capitale de la région Est de la Gambie appelée aussi CRR, est signe d’espoir. Dans cette contrée qui a vu naître Boubacar Michael Baldeh, ancien chargé de la propagande du régime de Yahya Jammeh, mort en exil à Dakar, la soudaine apparition de cet animal a très vite été perçue comme un signe annonciateur d'une défaite de Yahya Jammeh. Car, selon les adeptes de cette théorie, l'actuel leader a, depuis 22 ans, incarné le vautour noir, prédateur des vies innocentes de centaines de ses compatriotes tués pour la survie de son régime. Il n'en fallait pas plus pour que certains habitants se donnent la peine d'acheter tous les jours de la viande pour l'offrir au vautour qui, finalement a fini par aimer se laisser contempler par les attroupements de curieux.

Des observateurs internationaux triés sur le volet

Concernant le scrutin d’aujourd’hui, Yahya Jammeh a tout simplement refusé de donner des accréditations aux observateurs de l'Union européenne (UE). Le leader gambien a pris cette mesure, parce que cette fois-ci, l'UE n'a pas mis la main dans la poche pour financer cette élection. Mais si l'UE a croisé les bras, c'est parce que Jammeh a refusé toute concertation préalable avec son opposition, comme il l'avait pourtant promis aux Européens lorsqu'ils lui ont suggéré d'apaiser le climat politique tendu et de stabiliser la démocratie en Gambie en vertu des accords de Cotonou dont la Gambie est signataire. Et depuis lors, le leader gambien a fait la sourde oreille à toutes les requêtes de l'UE sur les réformes électorales, la décrispation du climat politique avec l'opposition ou encore l'adoption d'une plate-forme entre partis politiques pour le déroulement d'une élection apaisée.

La Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO dont la Gambie est membre a elle aussi été maintenue à l'écart de cette élection gambienne. Pourtant, elle a bien tenté d'être au rendez-vous de Banjul, sauf que le régime de Yahya Jammeh a dit niet. Raison évoquée, la demande de la CEDEAO est arrivée après expiration du délai de rigueur fixé par la Commission électorale dirigée par Alieu Momar Njie. Et ce dernier de dire à la BBC qu'il "regrette que la CEDEAO ne se soit pas bousculée aux portillons de sa commission dès la première heure."

Il faut dire que, lors de la dernière présidentielle gambienne de 2011, la CEDEAO n'avait envoyé aucun observateur en raison du "niveau inacceptable d'intimidation et de harcèlement de l'opposition et de la répression contre les médias indépendants par le parti au pouvoir", selon les propres termes de l’organisation. Seule l'Union africaine a estimé la victoire de Yahya Jammeh issue d'un processus "juste et équitable". L'Union européenne, l'Organisation de coopération islamique et le Commonwealth qui avaient aussi envoyé des observateurs avaient fait la moue. Jammeh ayant désormais retiré la Gambie du Commonwealth, il n'y a que l'Union africaine qui l'avait félicité en 2011. Les Nations unies auront une équipe sous la supervision du Représentant résident du PNUD en Gambie pour recouper toutes les informations sur cette élection.

Les artifices pour une victoire de Yahya Jammeh

En plus des menaces de Yahya Jammeh qui promet d'enterrer, à une profondeur de six pieds sous terre, tout opposant qui créerait des troubles, le leader gambien continue de mettre au point une architecture répressive, très bien connue de ses compatriotes, en vue de sécuriser sa victoire et de parer à toute velléité de contestation des résultats. Dans les bureaux de la Commission électorale, la très redoutée police secrète de la NIA y dispose d'un bureau et d'une cellule de détention. Il y a trois semaines, le mandataire de l'opposant Joseph Henry Joof y a passé une nuit, après avoir été arrêté sur place par des agents de la NIA qui ont ainsi réussi à empêcher le dépôt du dossier de candidature de M. Joof. Et dans ce pays où les check points sont déjà plus que nombreux, l'armée dont les hommes ont ouvertement battu campagne pour Yahya Jammeh, a été mobilisée pour maintenir l'ordre, ce jeudi.

En attendant, l’inspecteur général de la police, Yankuba Sonko, a fait publier un communiqué mettant en garde contre tout rassemblement le jour de l’élection. Des mesures qui divisent la haute hiérarchie de l’armée et de la police où plane une terrible ambiance de suspicion. Un groupe d'officiers dirigés par le Chef d'état-major Ousmane Badjie, soutenu par l'inspecteur général de la police, Yankuba Sonko, prend parti pour Yaya Jammeh et veut tout faire pour assurer la victoire à l’homme fort de Kanilai. Par contre, la garde présidentielle dirigée par le général Saul Badgie affirme être prête à défendre la Constitution, quel que soit le vainqueur de jeudi. Par ailleurs, les casernes de l'armée et de la police ont été désignées, à la dernière minute, comme des endroits devant abriter des bureaux de vote. Une décision de la Commission électorale dénoncée par l'opposition qui suspecte Yahya Jammeh de vouloir y envoyer des étrangers en provenance de Mauritanie et de Casamance pour voter en faveur du dictateur gambien. Certains de ces étrangers sont déjà en Gambie depuis une semaine et sont logés au stade Independence stadium de Bakau et dans le complexe de la Social Security à Kanilai au vu et au su de tous.

Un contrôle des médias étrangers, blackout Internet et non-fourniture de l’électricité

La première consigne présidentielle a été passée aux trois fournisseurs d'Internet en Gambie, lors d'une longue réunion tenue au palais présidentiel, ce mardi. Ordre leur a été donné de se préparer à un éventuel blocage de la bande passante entre jeudi et dimanche matin. Et au moment même où nous écrivions ces lignes, les opérateurs sont tous passés à l’action. La Gambie est totalement coupée du monde en matière de télécommunications. Il n’y a pas de connexion internet et les appels en provenance de l’étranger tombent sur un répondeur qui indique que les communications sont momentanément suspendues. Dans le domaine de l’audiovisuel, le signal satellite de la GRTS, la télévision d’Etat gambienne, a été coupé. Les images de soldats et de policiers déclarant leur loyauté à Yahya Jammeh ainsi que les séquences de personnes, prétendant être de nationalité gambienne, venues de Mauritanie et de Casamance, ont été utilisées ces derniers jours par la diaspora gambienne pour montrer le déséquilibre manifeste dans le processus électoral.

Selon des sources sures, Jammeh envisage également de mettre la Gambie en quarantaine, pendant au moins trois jours, du jeudi 1er décembre au dimanche 4 décembre. L’autre consigne venant du leader gambien concerne l'approvisionnement en électricité du pays. Il veut qu’il soit assujetti aux directives que vont donner certaines personnes du conseil national de sécurité, qui lui obéissent au doigt et à l'œil. Autant de signes qui montrent que Yahya Jammeh est prêt à tout écraser sur son passage afin de rester au pouvoir.

Mais malgré ce contexte tendu, l’opposition reste optimiste et compte sur un vote massif des Gambiens pour définitivement envoyer l’enfant terrible de Kanilai à la retraite dans son village natal. Les prochaines heures seront décisives à Banjul.

 

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