Publié le 16 Aug 2018 - 19:52
EMPLOI DES JEUNES

Les hauts et les bas des agences étatiques

 

La question de l’emploi des jeunes préoccupe les différents régimes qui se sont succédé à la tête du Sénégal. Ainsi se sont-ils mis tour à tour à définir des mécanismes pour vaincre le chômage en milieu juvénile. Cependant, les résultats sont jusque-là mitigés. EnQuête revient sur ces politiques d’emploi mis en place par les gouvernements successifs de Abdoulaye Wade et de Macky Sall.

 

L’emploi des jeunes a été de tout temps un casse-tête pour les dirigeants sénégalais. Et depuis l’avènement de la première alternance survenue en 2000, plusieurs mécanismes ont été mis en branle pour venir à bout du chômage des jeunes. L’ancien président de la République Abdoulaye Wade a été un des pionniers, selon le directeur technique des opérations au Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip) Abdou Khafor Touré, à placer la question de l’encadrement des jeunes ‘’au cœur des politiques publiques’’. ‘’Avant ça, il n’y avait aucune politique pour le développement socio-économique des entreprises de jeunes. Cela a démarré en 2000 avec la création d’agences d’appui et conseils comme l’Anej et de financement comme le FNPJ (Fonds national de promotion  des jeunes)’’, a-t-il rappelé. Toutefois, après plus d’une décennie d’existence, le fonctionnement de ces agences a été plombé par des arriérés de salaires dus aux employés.

 En 2012, Macky Sall arrive au pouvoir et promet une rationalisation des agences qu’il considérait comme budgétivores. C’est en 2013 que son engagement sera matérialisé par un décret présidentiel qui dissout plusieurs agences. L’acte de décès des structures d’emploi dédiées à la jeunesse, comme l’Anej, le Fnpj et l’Ajeb (Agence pour l’emploi des jeunes de la Banlieue) et l’Anama (Agence nationale d’appui aux marchands ambulants), venait d’être signé. Il naquit par la même occasion l’Anpej qui est la fusion de toutes ces structures créées sous la présidence d’Abdoulaye Wade et dont l’efficacité était sérieusement contestée. Certains y voyaient plus un moyen de caser une clientèle politique. Ce qui ne plaisait pas alors au nouveau gouvernement dit de rupture.

Aux détracteurs de ces anciennes structures qui parlent d’échec, Abdou Khafor Touré, ancien directeur de l’Anej, rétorque : ‘’Ces agences (Anej, Fnpj…) ont fait des résultats. Mais c’étaient les premières expériences. A travers leur vécu, il s’agissait de retenir les leçons. Aujourd’hui, sur la base de l’expérience qui est capitalisée, de nouvelles structures sont créées. Tout cela, c’est pour faciliter l’accès au financement aux porteurs de projets et entrepreneurs. C’est également pour développer l’esprit d’entreprise, booster la création d’emplois’’. Selon lui, l’Anej n’était pas une structure de financement des jeunes. C’était plutôt pour l’encadrement et l’accompagnement de ces derniers dans la création d’emplois et l’insertion. Sur ce, l’ancien cadre du Parti démocratique sénégalais (Pds) affirme qu’il y a des ‘’milliers de projets réussis’’ à l’époque grâce à ces agences. ‘’Cependant, les gens se focalisent surtout sur les échecs. Il y a plein de cabinets d’avocats, des entreprises, que j’ai accompagnés dans leurs projets avec des prêts. Il en est de même pour le secteur agricole, artisanal, etc.’’, a-t-il ajouté. 

Cependant, faute de données concrètes pour étayer ses propos,  Khafor Touré a reconnu qu’il y a un problème dans la coordination de l’information pour avoir des statistiques ‘’certifiées’’. En dehors des soucis liés aux chiffres, le remboursement des prêts alloués aux bénéficiaires de ces programmes restait le principal écueil. ‘’C’est certes un problème, mais avec l’expérience, si on nous met en place de bons processus avec un bon dispositif d’accompagnement de projets et de suivi post-financement, on peut l’éviter. Tout est dans  la pertinence du projet et l’expérience du promoteur financé’’, a-t-il soutenu. Dès lors, l’ancien Dg de l’Anej a précisé que ces fonds ne sont pas juste mis à la disposition des jeunes pour des calculs politiques.

Il explique : ‘’Il y a un dispositif bien articulé. Cela n’a rien à voir. C’est une volonté de satisfaire la demande sociale de financement. Cette demande existe réellement. Donc, il faut que l’Etat donne des fonds. On a un bon dispositif. Le problème, c’est celui de l’allocation des ressources et de trouver des moyens conséquents. Toutefois, aujourd’hui, il y a des programmes, de bonnes orientations, de bonnes actions mises en œuvre’’, a souligné le Directeur technique des opérations du Fongip. Toutefois, force est de constater que malgré les quelques ‘’progrès’’, le problème du chômage reste prégnant chez les jeunes. Ainsi, après toute cette kyrielle d’agences, une seconde génération a vu le jour sous le Président Sall. Les agences ont fait leur grand retour. Outre l’Anpej, il y a le Fongip et tant d’autres. La dernière en date et qui catalyse toutes les attentions avec ses moyens colossaux est la Der (Délégation à l’entrepreneuriat rapide).

‘’La Der vient parachever un système’’

Aujourd’hui, pour éviter ces problèmes ‘’d’efficacité’’, ‘’d’atteinte des cibles’’, de ‘’lourdeurs des procédures’’, le chef de l’Etat Macky Sall a lancé la Délégation à l’entrepreneuriat rapide (Der). ‘’Je ne veux pas qu’on me reproduise des schémas qui ont tous conduit à l’échec’’, a-t-il indiqué lors de la remise de financement le 6 août dernier aux jeunes et femmes bénéficiaires de ce programme. Au fait, pour Khafor Touré, la Der ‘’vient parachever un système’’.

‘’Ce n’est pas parce que les autres ont échoué. L’Etat, c’est un processus. Aujourd’hui, il y a eu des dysfonctionnements parce qu’il y a eu des problèmes dans les dispositifs d’accompagnement, les procédures ou conditions d’octroi du crédit, le dispositif de suivi-évaluation. Mais, ce n’est pas un échec, ce sont des expériences. Il faut maintenant toutes les capitaliser. Maintenant, c’est des leçons apprises. Il y a de bonnes choses et d’autres qui ne sont pas réussies. Il convient donc de renforcer tout cela’’, a-t-il soutenu. Sur ce, il précise que la Der et ces agences précédemment créées ‘’n’ont pas le même système d’intervention, la même vocation’’.

Pour M. Touré, la question de l’employabilité de ces structures est beaucoup plus sérieuse. ‘’Ce n’est pas seulement politique et politicienne. On n’aborde pas cette problématique toujours de la meilleure des manières dans ce pays. Il y a des résultats et personne ne peut dire le contraire. Il y a des problèmes dans le secteur, dans sa gouvernance, le choix des hommes, la pertinence de certains projets, stratégies d’interventions, etc. Mais globalement, l’action n’est pas mauvaise’’, a-t-il affirmé. Sur ces expériences, l’ancien patron de l’Anej a soutenu que la Der ‘’doit réussir’’ si elle se base sur l’expérience des structures antérieures. ‘’Je ne peux pas dire qu’elle peut y arriver. Mais elle doit réussir. Il faut qu’on capitalise l’expérience des structures qui l’ont précédé, les leçons apprises. Si elle le fait, elle réussira. La Der n’a rien à inventer. C’est une approche pour régler un problème crucial’’, a-t-il renchéri.

Moustapha Sy Ndiaye (bénéficiaire Der) : ‘’Pour le moment aucun papier n’a été signé’’

Après avoir sollicité un financement auprès de l’Anpej en 2016, qui n’a pas abouti, le jeune Moustapaha Sy Ndiaye qui s’active dans l’artisanat fait partie des premiers bénéficiaires des fonds de la Der. En effet, ces deux dernières années, les choses ont évolué pour Moustapha et son équipe. ‘’Nous nous sommes lancés dans un autre business-plan et mis en place une autre stratégie d’employabilité avant de déposer un autre dossier à la Der. J’étais passé au siège de la structure pour livrer une commande. Le délégué a vu le produit livré, il a apprécié et il  a commencé à m’interroger sur mon activité, sur comment ça se développe et de quoi j’avais besoin. Mon speech l’a intéressé de même que nos perspectives. Et il a tenu à nous accompagner’’, a-t-il narré. A partir de ce moment, Pape Amadou Sarr lui a notifié que cela l’intéressait.

 ‘’Le directeur de l’Anpej m’avait dit la même chose. On s’est rencontrés, on a eu un rendez-vous car c’est le ministre qui était venu lors du lancement de mon entreprise qui me l’avait recommandé.  Donc, j’ai eu un entretien avec lui et il m’a dit qu’il allait faire le nécessaire pour que le financement soit attribué. Finalement, ça n’a pas été fait. Là également, quand le Délégué m’a dit la même chose, je lui ai dit ok. On est resté un moment, j’ai déposé mon dossier et après, ils m’ont suivi et c’est au courant de ce mois qu’ils ont validé le financement’’, a poursuivi le jeune artisan.

Interpellé sur les mécanismes de suivi et évaluation qui ont été mis en place par cette nouvelle agence, Moustapha relève qu’ils ont une cellule de renforcement de capacité et de compétence. D’ailleurs, ils ont déjà commencé à travailler sur comment améliorer l’activité, la production, structurer l’entreprise, etc. ‘’On a déjà eu des séances de travail.   Pour les conditions de remboursement, on n’en est pas encore là. Il faut un moment pour que la procédure de décaissement se fasse. Après, on va signer les contrats pour voir dans quelle mesure on va rembourser, les délais, les intérêts… Pour le moment, aucun papier n’a été signé par rapport à ces procédures’’, a-t-il signalé. Donc, ne sachant pas encore réellement quel taux d’intérêt lui sera appliqué, Moustapha espère qu’il leur faudra une séance d’information avec la banque et la Der pour avoir les renseignements nécessaires. ‘’La disponibilité de l’argent est relative. Tant qu’on n’a pas signé le contrat, même si l’argent est positionné à la banque, moi, je ne considère pas que ce soit encore à ma disposition. Je ne vais pas y toucher tant qu’on n’aura pas signé les contrats. C’est ce qui pourra me dédouaner’’, a-t-il précisé.

Pour ce qui est du financement politique de ces agences, le jeune bénéficiaire de la Der se veut clair. ‘’Je ne suis d’aucun parti politique. Je ne suis pas politicien et je ne connais personnellement aucun membre de la Der. Cet argent n’est pas celui du président de la République. C’est le nôtre, celui de la population sénégalaise, de nos impôts. Donc, je n’ai pas à être reconnaissant pour aller voter pour quelqu’un, juste parce qu’il m’a octroyé un financement. Ça n’a absolument rien à voir’’, a-t-il dit. Selon Moustapha Sy Ndiaye, c’est sur la base de son ‘’entreprise’’, de sa ‘’vision’’, de ce qu’il pourrait apporter sur le plan économique à son pays qu’on lui a octroyé cet argent. ‘’Ce n’est pas parce que je suis de l’Apr ou d’un parti politique’’, a-t-il insisté. Le jeune entrepreneur considère que la Der peut être un excellent outil à condition d’être bien managé. ‘’Dans le principe, je crois à la Der. Tout sera dans le fonctionnement. Il faut qu’elle soit bien pilotée si l’on veut produire des résultats significatifs. L’artisanat est un secteur qui a toujours été laissé en rade. Que ça soit pour la politique que pour autre chose. C’est donc un pas important qui a été franchi’’, a-t-il confié.

MARIAMA DIEME 

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