Publié le 30 Oct 2013 - 03:30
EN PRIVÉ AVEC… DJIBY GUISSÉ, MUSICIEN

“Ne plus perdre notre popularité au Sénégal”

 

Souvent absents du territoire pour se plier aux exigences de leur choix musical, les frères Guissé semblent perdre du terrain au Sénégal. Aujourd’hui, la fratrie est résolue à reconquérir le public national sensible au folk. A quelques semaines de la sortie internationale de leur deuxième album ''Entre nos mains'', l'un des frères, Djiby Guissé, se confie à EnQuête.

 

Comment se présente aujourd'hui la carrière artistique des frères Guissé ?

Comme on n’est jamais satisfait, je dirais que la carrière des frères Guissé est plus ou moins bonne. Nous sommes un groupe qui ratisse large avec des ambitions vraiment grandes. Cela veut dire qu’on ne s’est jamais limités à satisfaire seulement le public sénégalais. C’est la raison pour laquelle on a du mal à être jugés comme des Sénégalais à l’étranger. Pas plus tard que le mois de juillet dernier, après le premier spectacle qu’on a donné dans un cabaret au Canada, le gérant avait demandé au promoteur si nous étions vraiment des Sénégalais. C’est une interrogation qui a été suscitée par notre style musical. Nous faisons une musique réfléchie et avant-gardiste. Notre musique n’est pas dansante. Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir juste un pied chez nous et de garder le contact avec le public sénégalais qui aime notre musique. Mais nous avons aussi le devoir de satisfaire un public diversifié à l’étranger. C’est donc pour cette raison que j’ai dit tantôt qu’on se porte plus ou moins bien. Parce que d’un côté, on gagne quelque chose et d’un autre, on perd. Notre ambition est de travailler sérieusement pour ne plus perdre notre popularité au Sénégal.

Qu’est-ce que vous gagnez exactement 

Ce que nous gagnons, c’est d’être compris par un public à l’extérieur du Sénégal. C’est aussi le fait de faire des collaborations et de pouvoir communiquer à l’étranger. Par contre, nous perdons du terrain au Sénégal où nous occupions une place dans le paysage musical. Cela est dû au fait que nous voyageons trop souvent pour des tournées. Le public se perd parfois parce qu’on a du mal à rester sur place pour qu’il puisse nous retrouver. Il y a eu donc un creux entre les frères Guissé et leur public. Après avoir analysé la situation, nous nous sommes dit qu’il est bien d’être connu à l’extérieur mais nous avons aussi besoin du public sénégalais qui a toujours été notre base. Il faut que nous retournions vers ce public. C’est en ce sens que nous avons réalisé la vidéo du titre ''Minenala''. C’est un peu du folkmbalax pour atteindre un public dont la moyenne d’âge se situe entre dixhuit et trente ans. Il y a une autre vidéo qui va bientôt suivre pour l’international. Il faut aussi rappeler que nous travaillons en studio depuis deux ans. Actuellement, nous sommes en train d’arranger une trentaine de morceaux à cheval entre l’international et le national. Il y a des chansons pour l’arrangement desquelles nous avons pensé local, et les autres seront purement dédiées à l’international.

Notre prochain album international, intitulé ''Entre nos mains'', ne va pas tarder à sortir. Déjà, nous avons des distributeurs qui nous attendent en France, en Belgique et en Angleterre.

Combien d’albums comptent les frères Guissé ?

Les frères Guissé ont un album international et deux en collaboration. Le premier a été réalisé avec un groupe de jazz hollandais et pour le second, nous avons travaillé avec Léonie Jensen qui est une folk-singer hollandaise. C’est avec cette dernière que nous avons eu à faire une cinquantaine de concerts en Hollande. Par ailleurs, la carrière des frères Guissé a cette particularité d’avoir tourné pendant dix ans avant de sortir leur premier album, ce qui n’est pas évident. L’album ''Yakaar'' est sorti il y a quatre ans aujourd’hui. Vous savez très bien que les promoteurs de spectacles ne programment jamais un groupe qui n’a pas de disque, mais les frères Guissé ont eu cette chance d’avoir longtemps tourné avant de sortir leur premier album. Cela dit, nous avons quatre productions locales dont ''Fama'' qui était sortie en 1995. Notre prochain album international, intitulé ''Entre nos mains'', ne va pas tarder à sortir. Déjà, nous avons des distributeurs qui nous attendent en France, en Belgique et en Angleterre. La musique étant en crise aujourd’hui, il faut travailler pour avoir son produit d’abord avant de chercher des partenaires. Néanmoins, nous continuons à tourner. Après le Canada, nous allons bientôt nous rendre aux USA pour donner une série de concerts.

Est-ce que le style folk marche bien ?

Le folk marche mais la musique et l’art en général sont en crise. Le folk marche parce que c’est une musique universelle à cheval entre l’international et le local.

Mais vous ne faites pas que du folk...

C’est exact. Notre spécialité ne se limite pas seulement à faire de la musique de scène. Nous faisons aussi de la musique privée pour les institutions nationales et internationales. Nous avons réalisé beaucoup de musiques de films. Parce que nous

estimons qu’en matière de créativité, il faut être fort en composition pour pouvoir le faire. Nous avons plusieurs musiques de films à l’échelle internationale. Je citerai comme exemple : ''Cuba, une odyssée africaine'' et ''La maison des Saoud'' où personne ne pouvait imaginer que c'est les frères Guissé, parce que c’est une musique orientale. Lorsqu’on nous a envoyé le scénario, nous avons tout de suit pensé à travailler avec des techniciens pakistanais et turcs. Depuis les années 1700, chaque roi de la famille des Saoud avait son lot de succès et d’échec, et il y avait une musique pour chaque époque. Nous avons fait ce travail avec beaucoup de finesse. Les films ont remporté plusieurs prix dans le monde du cinéma.

Où en êtes-vous avec le projet ''Sénégal folk'' ?

C’est suspendu pour le moment. Le projet ''Sénégal folk'' a été financé par le Programme de soutien aux initiatives culturelles (Psic) sous l’égide de l’Union européenne. Aujourd’hui, il n’y a aucun fonds dégagé pour soutenir les initiatives culturelles. Il nous faut des mécènes ou des fonds pour financer des manifestations culturelles, ce n’est pas évident qu’on y arrive sans soutien. On peut compter du bout des doigts le nombre de festivals qui existent au Sénégal. Allez au Maroc ou plus près de nous au Mali et vous comprendrez que la culture ne peut se développer sans subvention. La culture est notre identité et la seule richesse qui nous reste. Notre combat est de la défendre. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’organiser notre propre festival sur l’environnement au niveau du parc zoologique de Hann tous les deux ans.

Avez-vous été soutenu par le ministère en charge de l’Environnement ?

L’année dernière, nous avons reçu du ministère de l’Environnement la somme de 500 000 francs Cfa. Je pense qu’au moment où l’on parle de rupture, il est temps que les Sénégalais changent d’habitude et de mentalité pour une évolution nouvelle. On en a besoin pour être en phase avec le monde qui avance à une grande vitesse. Le slogan que nous voulons faire passer auprès des populations sénégalaises c’est : ''Le changement, c’est d’abord nous.''

En qualité de président de l’AMS (Association des métiers de la musique du Sénégal), quelle est votre feuille de route ?

D’abord, il est bon de rappeler que je suis membre fondateur de l’AMS depuis sa création en 1999. Il y avait Biram Ndeck Ndiaye, Aziz Dieng, Guissé Pène et moi-même à la base de la création de l’AMS. Toute autre version est fausse. Depuis 1999, nous avons réussi des choses, tout comme nous avons commis des erreurs dont le fait de n'avoir pas pu tenir une assemblée générale. Notre plus grande satisfaction, c’est d’avoir contribué à l’élaboration d’une loi sur la culture sénégalaise. Du début à la fin, l’AMS s’est remarquablement impliquée dans cette loi, parce que nous avons été la première organisation à avoir pris langue avec la Banque mondiale. Lorsque celle-ci a voulu investir plusieurs millions pour aider la musique, nous lui avons demandé de nous aider à assainir d’abord le métier. C’est ainsi que nous avons collaboré avec le bureau régional de la banque mondiale à Dakar. Nous avons travaillé des années durant avant d’être compris par les gens du BSDA (Bureau sénégalais des droits d'auteur) qui pensaient que nous voulions les dégager. Nous avions seulement revendiqué notre droit de choisir un directeur et un conseil d’administration pour défendre nos intérêts. Maintenant, il y a cinq à six mois que je suis le président de l’AMS, et ma priorité n’est pas de faire les plateaux de télévisions et des radios. Je veux faire un travail de base pour récupérer ce qui a été perdu : c’est de redynamiser l’association en appelant tout le monde à une concertation. Parce que j’estime que chacun des membres a la responsabilité de s’impliquer davantage pour gérer son destin avec la nouvelle société de gestion des droits collectifs qui se profile à l’horizon.

PAR ALMAMI CAMARA

 

Section: