Publié le 28 Aug 2015 - 21:44
EN PRIVÉ AVEC... DREAD MAXIME AMAR

“Ce sont nos dirigeants qui bradent nos richesses” 

 

Absent de la scène musicale sénégalaise depuis plus de quatre ans, le chanteur Dread Maxime Amar compte revenir avec un EP qu’il pense sortir en décembre prochain. D’ici là, il prestera dans différents endroits du Sénégal dont Dakar et Thiès en septembre, en attendant la sortie de son opus. Et c’est un Dread Maxime fidèle à son combat pour l’égalité entre l’Afrique et l’Europe qui est passé hier à EnQuête. Presque rien n’a changé en lui si ce n’est quelques kilos de plus. Son discours est le même ainsi que sa passion pour la musique.

 

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre premier album, de sa philosophie et la manière dont il a été reçu par le public ?

Mon premier album est sorti en 2000 et est titré “Révélation”, un concept qui évoque quelque chose de nouveau. C’était par rapport à ma première apparition sur la scène musicale et également aux mes- sages que je voulais véhiculer. En 2003, j’ai sorti “Jah Fire”. Si l’on traduit ça, ça donne “l’énergie du feu divin, qui purifie”. En 2010, j’ai travaillé sur un projet d’album qui, finalement, n’a pas été diffusé de manière large parce que je n’étais pas satisfait de sa finition et je me suis dit qu’il valait mieux proposer quelque chose de bien. Je n’étais pas satisfait de la qualité du produit final et j’ai donc décidé de stopper tout ça. Maintenant, je prépare la sortie d’un maxi-EP de cinq titres qui va précéder de peu la sortie d’un nouvel album. Dans cet album, il y aura deux morceaux de l’opus avorté de 2010 mais, à part ça, ce ne sont que des nouveautés que je compte proposer aux mélomanes.

Parlez-nous un peu plus de l’album qui n’est pas sorti. Quel était le problème exactement ?

C’est l’étape finale, celle du mix et du mastering, qui a péché. Le mixage, surtout en terme de mix : le reggae, c’est une musique particulière qui demande un mix particulier, différent des autres musiques, où la basse et la batterie ont une place importante.

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“J’ai vu des compatriotes qui étaient dans de bonnes situations mais la plupart n’étaient pas bien nantis. il est vrai que quand ces derniers reviennent au pays, ils essayent de projeter une bonne image mais ce qui se passe, c’est que la plupart du temps, ils ne disent pas ce qu’ils vivent là-bas. J’ai vu des choses qui m’ont beaucoup attristé.” 

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Et donc, moi je n’ai pas été associé au mix alors que je devais être présent pour dire ce que je voulais que l’album soit. Le mastering, c’est le moment où on booste un morceau pour donner de la puissance et un confort d’écoute et ça aussi, ça n’a pas été fait. Quand j’ai tout réécouté, la qualité musicale n’était pas suffisante à mes yeux et de là, j’ai dit qu’il valait mieux laisser tomber et me concentrer sur autre chose.

Est-ce qu’il y a eu un conflit entre votre label et vous ?

Non, pas vraiment de conflit mais j’ai été déçu de la qualité parce que quand on travaille pendant un cer- tain temps sur quelque chose et que la finition, la partie la plus impor- tante, n’a pas été bien faite, c’est beaucoup de déception, beaucoup de travail pour rien. C’est juste que je n’étais pas avec les bonnes per- sonnes pour faire le bon travail. Mon producteur d’alors était quelqu’un que j’avais rencontré et que je connaissais depuis longtemps, et il m’avait promis de produire cet album, ce qui implique un budget, et je me suis rendu compte en cours de route que le budget n’était pas là pour ça.

Après 2010, vous avez
quelque peu disparu de la scène. Racontez-nous ces années où l’on vous a perdu de vue. Où étiez-vous ? Que faisiez-vous ?

Après cette expérience, je me suis dit que c’était le moment pour moi de bouger un peu, d’essayer de trouver ce dont j’avais besoin ailleurs qu’au Sénégal... Et donc j’ai décidé de voyager un peu et c’était d’ailleurs un moment où j’en avais besoin. J’avais besoin de voir autre chose, d’apprendre, de faire en sorte que ma musique dépasse les frontières de ce pays et même du continent. J’ai par- couru l’Europe, à mes frais, et puisque c’était de ma poche, ça a pris pas mal de temps mais le résultat de tout cela, c’est mon prochain album qui va sortir dans peu de temps... J’ai beaucoup appris et c’est la raison pour laquelle j’étais souvent absent, pas absent du Sénégal mais plutôt de la scène musicale du Sénégal. J’ai été en France et en Belgique, en particulier. J’ai aussi fait l’Italie et les pays environnants.

uand vous dites avoir beaucoup appris, quelles sont les leçons, concrètement, que vous estimez avoir tirées de ces voyages ?

Ce sont des leçons de vie. Parfois, quand on est en Afrique, on a une fausse image de l’Europe. C’est ce que j’ai vu. Une fausse image de Babylone. Et dans nos chansons, à nous reggaemen, on parle souvent de Babylone. Ce que j’ai vu, quand je suis allé là-bas, est très différent de l’idée qu’on en a ici, que ce soit de l’Europe ou de ce qui se passe dans le monde, en général. C’est parce que la plupart du temps, on reçoit des informations, à la télé ou dans les journaux, qui ne montrent pas la réalité des choses. J’ai découvert que l’Europe, c’est comme un mirage : tu vois quelque chose mais quand tu t’approches, cette image si belle et étincelante disparaît et la réalité est là. Il me fallait le découvrir, l’exorciser et c’est pour ça que mon voyage m’a beaucoup appris. Ce que j’ai reçu comme leçon a été dans le bon comme dans le mauvais sens et tout ça, ce sont des expériences en plus et j’estime qu’une expérience n’est jamais mauvaise.

N’êtes vous pas partie parce que vous avez compris qu’en restant ici, vous risquiez de ne faire qu’une carrière nationale, nos reggaemen ont du mal à s’en sortir ; seuls ceux qui ne sont pas là tirent leur épingle du jeu ?

Oui, cela fait partie du chemin. Mon message n’est pas que pour le Sénégal et l’Afrique mais pour le monde entier. C’est vrai aussi d’une part qu’on a vraiment du mal à sentir le reggae au Sénégal. C’est une musique avec plein de préjugés. Et l’un de nos combats, c’est de rétablir la vérité des faits afin de montrer que le reggae est une musique nécessaire pour une génération vu le contexte dans lequel on évolue. C’est une musique qui éveille les consciences. Il était nécessaire aussi pour moi de voyager afin de représenter l’Afrique et le Sénégal partout dans le monde. Je ne peux pas rester au Sénégal et faire cela. La France, Paris, pour moi, c’est aussi une base. Comme le Sénégal, l’Occident est aussi une base pour moi. Ca me permet de trouver l’énergie pour faire évoluer le reggae. Il y a le côté éco- nomique qui fait aussi que beau- coup de reggaeman qui étaient au Sénégal ont dû voyager. Car ils n’ar- rivaient pas à vivre de leur art dans leur propre pays. Et on ne peut pas leur en vouloir. Maintenant, à un moment, il est bon de venir mettre du bois dans le feu afin d’en raviver les flammes.

Vous avez rencontré les communautés sénégalaises dans les pays où vous êtes passé. Pensez-vous que cette diaspora est connectée à cette utopie qu’ici on se fait de sa vie ou est-ce qu’elle vit une réalité tout à fait différente ?

qu’ils se retrouvent en Europe, ce n’est pas évident... vraiment pas. Pour avoir du travail là-bas, il faut avoir des papiers. Pour avoir des papiers, c’est un marathon infernal... Et quand on a ses papiers, rien ne garantit qu’on trouve du boulot parce que tout le monde sait que partout, on vit une période de crise. Et donc, des fois, ils vivent dans des situations vraiment indécentes qui font penser qu’il vaut mieux vivre chez soi, dans des conditions dures, que s’exiler pour devenir moins que des hommes. J’en profite pour lancer un appel à ceux qui ont des pro- jets pour vivre en Europe, ou juste y aller : débrouillez-vous pour que ce soit un projet clair et net, c’est-à-dire être sûr qu’une fois arrivés, vous ayez où dormir, de quoi manger et, simplement, vivre dans la dignité.

On vous connaît comme parolier car vos chansons portent des messages forts... Est-ce que ces gens et ces situations avec lesquels vous êtes entrés en contact vous ont inspiré

à écrire des chansons ?

Dans l’album à venir, il y a une chanson intitulée “Sunugal”, qui parle comme son nom l’indique de la pirogue mais plus métaphorique- ment de la direction dans laquelle on va, à tous les échelons de la chaîne. Nous, on pagaie, la pirogue avance mais est-ce que nous savons là où nous allons ? Est-ce que l’on y trouvera mieux que ce que l’on a laissé derrière... C’est adressé aux jeunes qui prennent les pirogues mais aussi au Sénégal en général : je considère que nous sommes dans une pirogue et que nous avons un capitane. A ce dernier, je pose la question de savoir si la direction dans laquelle il nous entraîne est la même que celle à laquelle on doit tendre. Cela parce que j’ai l’impression qu’on ne fait que du suivisme par rapport à l’Histoire : de l’esclavage à la colonisation et de la colonisation au temps où nous sommes aujourd’hui... Est- ce qu’on a conscience de ce que l’on vit ? J’ai plus l’impression que c’est du néocolonialisme, une nouvelle forme de colonisation.

Et moi, ce que j’attends du capitaine du bateau, c’est de nous mener vers une destination où l’on pourra se détacher de ça, trouver une petite dose de liberté et de dignité en notre véritable identité d’Africain et en toutes les valeurs dont elle est pétrie. Il y a un autre morceau qui s’appelle “Là-bas, à Babylone”, qui parle aussi de ceux qui partent “pour ne pas que les enfants de Keur Baye continuent à vivre dans la misère”... Il y a beaucoup de raisons, surtout économiques, qui font que les gens ont envie de partir et je les comprends mais, est-ce que le fait de partir est la solution. On ne sait pas. S’il faut partir, il faut partir dans de bonnes conditions.

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“il y a beaucoup de raisons, surtout économiques, qui font que les gens ont envie de partir et je les comprends mais, est-ce que le fait de partir est la solution. on ne sait pas. S’il faut partir, il faut partir dans de bonnes conditions. Ce qui est désolant, c’est que nos jeunes risquent leur vie et sont aptes à risquer leur vie, à dire “on y va quitte à mourir” si facilement.” 

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Ce qui est désolant, c’est que nos jeunes risquent leur vie et sont aptes à risquer leur vie, à dire “on y va quitte à mourir” si facilement. Si on regarde au fond des choses, c’est de la faute de nos dirigeants, c’est un manque de volonté politique de leur part. Ils savent ce qui se passe mais ce sont des complices du Babylone System. Ce système nous fait croire, malgré toutes nos richesses, qu’on est pauvres. Quand on chemine en Occident, on se rend compte qu’il ne vit que de ce que nous, pauvres Africains, lui donnons. L’Afrique est la mère du monde. Quand on voit un pays comme la France où l’électricité est la base de tout, il faut se demander comment ils ont toute cette électricité. C’est à cause des centrales nucléaires. À quoi roulent ces centrales ? À l’uranium. L’uranium qui ne se trouve ni en France ni en Europe mais chez nous. Ils le prennent avec la complicité de nos dirigeants... Et aujourd’hui, par- tout dans le monde, les gens de Gauche réclament un partage équitable des richesses... Si on donne à l’Afrique ce qu’on lui a pris, si on achète les produits des Africains au bon prix, les Africains ne seront plus dans cette situation. Ce sont nos dirigeants qui bradent nos richesses et c’est comme ça qu’on se retrouve ici à penser que l’Eldorado, entre guillemets, est ailleurs et à avoir tendance à quitter le navire.

Quels sont les autres thèmes abordés dans cet EP ?

Je parle de la démocratie, en par- tant de la terminologie du mot, sa base, qui implique l’idée du pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple... Et le constat, pour moi, c’est le pouvoir d’une partie du peuple par une partie du peuple et pour une partie du peuple. Le résultat, c’est qu’au Sénégal, on dit “un peuple, un but, une foi” mais on se retrouve avec deux peuples, deux buts et deux fois. Un autre thème, celui du temps. J’ai un morceau qui s’appelle “Les Maximes du Temps” et qui parle du rapport entre le temps et l’argent. Je m’interroge sur le fait que d’aucun disent que le temps, c’est de l’argent mais sou- vent, beaucoup de ceux qui ont du temps n’ont pas d’argent... et ceux qui ont de l’argent pas beaucoup de temps. “Most of those that have money, don’t have no time”. C’est donc la conception du temps et la valeur qu’on lui donne : aujourd’hui, il faut vendre son temps pour avoir de l’argent mais je pense que le temps a une valeur inestimable.

D’aucuns disent que le temps, c’est de l’argent. Et moi je me demande pourquoi beaucoup parmi ceux qui ont du temps n’ont pas d’argent et ceux qui ont de l’argent n’ont pas du temps. Là je parle de la conception du temps et de sa valeur. Il faut vendre son temps pour avoir de l’argent. Et moi je pense que le temps est plus précieux que l’argent. Il y a aussi un titre en hommage à un ami et frère qui était et qui est parti. Il s’appelait Abdourahmane Wane Countryman. Ensemble, on avait beaucoup de projets. Je lui rends hommage pour graver sa mémoire dans le temps et le faire connaître à ceux qui ne le connaissaient pas. L’EP s’appelle “reggaevolution”.

Il y a dans ce mot reggae et évolution ainsi que reggae et révolution. Donc le reggae pour l’évolution et le reggae pour la révolution. Quand je parle de révolution je fais référence au changement et d’une évolution dans la conscience humaine. Dans la chan- son, je dis ce que la musique reggae peut faire dans les sociétés et dans le monde. Je dis dans la chanson que c’est un cadeau de Dieu et que c’est une musique qui calme les souffrances des enfants de Jah. Je continue en dénonçant les dérives des politiciens qui continuent à bafouer les droits humains. Ce constat est vraiment désolant et je me demande où va ce monde. Tout cela est dû à la recherche du profit, de l’argent, des privilèges qu’on s’adjuge. Pour moi, le reggae est là pour ramener l’amour. C’est une prière.

A vous entendre parler, on se dit que de Jah fire à reggaevolution votre discours n’a pas changé

Pour moi, ce que je fais là est un combat de tous les jours. Je suis né Africain, mais je me considère comme un citoyen du monde. J’aimerais tant que ce monde soit un gros village planétaire dans le respect de la dignité humaine et des diversités culturelles. Maintenant, en tant qu’Africain, je suis un humain. Jah a fait que je suis sensible à certaines choses. Je me demande pourquoi on devrait vivre dans un monde où plane l’injustice ce n’est pas normal.

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“Aujourd’hui on a tendance à faire de la musique de diversion, c’est-à-dire de détourner l’attention des gens de l’essentiel. Je ne souhaite faire que de la musique, non pas pour l’argent mais plutôt parce que c’est ma passion.” 

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Cela ne devrait pas se passer comme ça. Mon voyage a plus renforcé ce sentiment d’inégalité entre l’Europe et l’Afrique par exemple. Il m’a donné la force de continuer à me battre contre ça. Je me dis que tant qu’il y a vie, il y a espoir. Et j’y crois. Si je n’ai pas la chance d’assister aux changements en tant qu’homme ou en tant que matière, peut-être que mes enfants eux le pour- ront. On y arrivera forcément un jour. Le monde, c’est comme ça. C’est des hauts, des bas, des débats et des combats. Le monde est le fruit du chaos. Il y a des déséquilibres mais l’on se bat pour que l’équilibre revienne pour qu’il y ait plus de justice et d’harmonie.

On vous avait surnommé le Tiken Jah sénégalais et vous avez collaboré avec le vrai. Et ça n’a pas marché. Est–ce que ce n’est pas cela qui vous a poussé à voyager ?

Non cela n’a pas grand-chose à avoir là-dedans. Avec Tiken, on avait entamé une collaboration mais cela n’a pas abouti parce qu’on n’était pas d’accord sur certains points. Je ne vais pas entrer dans les détails. Je suis personnellement un combattant de la liberté. Je ne peux pas combattre pour la liberté et être prisonnier de quoi que ce soit. Je me dis que j’ai un chemin à faire et je le continue quoi qu’il en soit. Je suis indépendant depuis que j’ai commencé à faire ma musique, ma carrière, et je compte rester comme ça. Si je dois bosser, je préfère le faire avec des gens qui sont indépendants et qui respectent la mienne.

Est-ce à dire que Tiken n’est pas indépendant ?

Je ne sais pas et je ne saurais le dire.

En parlant d’indépendance, vous pensez à l’indépendance dans la composition ou dans le message ?

L’indépendance, c’est dans ma manière de voir les choses et dans le message. Depuis le début, j’ai fait beau- coup de show et presque pas de business. Ça a ses avantages et ses inconvénients mais je garde mon indépendance. Dans le milieu de la production, il arrive qu’on te propose de modifier ton texte par exemple. Dans ce cas, soit tu décides de vendre ton art soit tu décides de garder ton indépendance. L’inconvénient aussi est que le show sans le business a du mal à avancer. Et trop de business tue le show. Le must est de trouver l’équilibre entre les deux.

Tant que ce n’est que du business, le message dis- paraît. Aujourd’hui on a tendance à faire de la musique de diversion, c’est-à-dire de détourner l’attention des gens de l’essentiel. Je ne souhaite faire que de la musique, non pas pour l’argent mais plutôt parce que c’est ma passion. Financièrement je ne suis pas riche. La richesse que j’ai, je la connais et elle me nourrit. L’argent prend le dessus sur tout de plus en plus. Des fois on est obligé de faire des compromis. Dans le rapport avec Tiken jah, il y a des points qui m’ont déçu. Je me suis dit : mieux vaut continuer mon chemin tranquillement et avoir l’esprit tranquille. 

SOPHIANE BENGELOUN & BIGUÉ BOB 

 

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