Publié le 5 Oct 2013 - 15:53
EN PRIVÉ AVEC... FATA, RAPPEUR

 ''Ma nouvelle musique de révolution''

 

 

Très critiqué et malgré tout toujours présent, le rappeur Fata, de son vrai nom Moustapha Gning, prépare la sortie le 7 octobre de son album titré ''Iqra''. L'opus fera à coup sûr couler beaucoup de salive dans les rangs des hip-hoppeurs. Car Fata ose et innove. A l'instar de Carlou-D avec sa ''musikr'', Fata revendique son propre style qu’il appelle ''afro rap''. Une musique qui est plus sur un tempo mbalax que hip-hop même si les beats restent street swagg. Il s'en explique dans cet entretien avec EnQuête. Et sans détours.

 

 

Voudriez-vous nous parler de votre album ''Iqra'' qui sort lundi ?

 

''Iqra'' signifie en langue arabe ''apprends''. Pour moi, chacun dans ce qu’il fait doit y apprendre des choses. Dans la vie de tous les jours aussi, il faut savoir tirer des leçons. Cette chanson aussi vient en appoint à ce que [l'ange] Djibril avait dit au Prophète Mouhamad (PSL) : ''Iqra''. L’album comporte 20 titres dont un intro, un outro et un bonus track.

 

Pourquoi le choix du mot arabe Iqra ?

C’est comme si tu me demandais pourquoi ''El Presidente'' [autre surnom de l'artiste]. J’aurai pu dire ''Le Président'' parce qu’on est au Sénégal, nous avons été colonisés par la France. Ce choix de langue n’est qu’une ouverture de plus. C’est un mot et l’essentiel est que les gens comprennent et je crois qu’ils ont compris. Cela allait être banal de l’appeler ''Jangal'' [apprends en wolof].

 

La photo de la pochette de l’album est  plutôt originale pour un rappeur, non...

Sur la pochette de l’album je porte un caftan blanc. J’ai mis un bonnet et un foulard aussi comme ceux que mettent les gens qui reviennent de la Mecque. Quand je suis allé en Asie, j’ai vu des gens s’habiller de la sorte, et ce sont des jeunes qui le font. C’est swagg [très tendance] là-bas, les gens le portent et vont en boîte avec. C’est très joli et cher selon le tissu. Mais ici, dès que tu t’habilles de la sorte, tu es assimilé à un El hadj. Nous, nous sommes des artistes, nous sommes quasiment des miroirs. Nous devons partager nos expériences avec le peuple. Et cela entre toujours dans la thématique générale de cet album. Il faut que les gens sachent que l’habit ne fait pas toujours le moine. Car on peut avoir des préjugés sur ces gens-là alors qu’ils peuvent être de grands intellectuels qui manient différentes langues. J’en ai fait l’expérience et je sais de quoi je parle, ils sont ouverts d’esprit. Sur la photo, j’ai fait exprès de m’asseoir et de plier mes jambes juste pour qu’on voit le jean en bas et les chaussures de marque que je porte. C’est juste pour montrer le paradoxe entre ce que laisse paraître le caftan et ce qu’il y a en dessous. Et cela traduit le titre. Voyez ce qu’il y a au-delà du premier regard et pour cela il faut apprendre.

 

 

 

Le single ''Iqra'' est déjà sorti. C’est un egotrip. N’est-ce pas prétentieux ?

C’est le seul egotrip qu’on retrouve dans l’album. J’ai évité d’abuser de ce genre. Quand je me cite en exemple dans le refrain et que je demande qu’on se réfère à moi, c’est prétentieux, je l’avoue. On oblige les Sénégalais, dans le cadre du hip-hop, à s’orienter juste dans les dénonciations. Le hip-hop, c’est de la gymnastique intellectuelle. Quand je me cite en exemple, je suis sûr que certains vont être heurtés, d’autres se demanderont ce qu’ils peuvent apprendre de ma vie. Or on peut toujours apprendre de la vie de quelqu’un.

 

La tonalité des premiers singles penchent beaucoup plus vers le mbalax que le hip-hop. Comment l'expliquez-vous ?

 

J’ai créé une nouvelle musique que je peux même appeler afro-rap. La musique est à la base hip-hop, je l’ai mélangée avec la nôtre traditionnelle et populaire qui est le mbalax. C’est une musique de révolution que je propose-là. Tous ceux qui font de la musique hip-hop comme nous essaient de mélanger ce qu’ils font avec la musique de leurs pays. Je suis resté 8 ans sans sortir d’albums, le silence m’a permis d’acquérir une certaine expérience. J’ai fait beaucoup de recherches pendant ce temps-là. J’ai fait un featuring avec Secka, le duo est un hommage à mes fans. J’ai également fait un featuring avec Aïda Samb et Papa Ndiaye Thiopet pour montrer que le rap et le mbalax sont pareils, ce n’est que de la musique. J’ai fait un titre avec Pape Birahim, c’est un peu le style ''azonto''. On retrouve aussi un peu de salsa dans cet album. Il y a un des morceaux qui parle de ma ville natale Saint-Louis, que j’ai fait avec Abdou Guité Seck et père Ndiouga Dieng qui suit cette mouvance-là. J’ai fait un featuring avec ''Bideew bu bess''.

 

Et musicalement qu'y-t-il a retenir ?

Musicalement, il y a à la base des calebasses, du xalam et des koras. Juste pour vous dire qu’au-delà du mbalax, cet album est très coloré musicalement. Il en est autant pour les thèmes traités. Je parle de la mort dans ''Ndekaané'' avec ce vieux qui est sur son lit de mort entouré de ses enfants, qui fait ses dernières recommandations. La chanson que j’ai faite avec Waly Seck et Mbaye Dièye Faye revisite un des pans de notre tradition : le baptême. ''Nguenté'' montre comment les Sénégalais fêtent les baptêmes, nos manières de le faire restent atypiques. Il y a d’ailleurs une vidéo exclusive sur ça qu’on peut trouver sur mon site web. Avec Mame Balla, on a fait le tour d’horizon sur les danses sorties au Sénégal depuis plus de 50 ans. C’est un mélange des danses hip-hop et mbalax, c’est une musique très originale. Des instrumentistes comme Yatma Thiam y ont joué. Cela illustre un peu ce qu’a dit Xuman dans l’une des épisodes du ''Journal rappé'' [parodie diffusée sur le web, Ndlr]. J’ai fait un titre avec Fafady pour dire aux gens que la vie n’est qu’un jeu ; des gens partent de rien du tout pour construire des pyramides. Tout est relatif ici-bas, Il faut se battre si on veut avoir certaines choses. Pour cela, il faut faire ce qu’il est nécessaire de faire pour réussir et ne pas se retourner comme je le dit dans mon duo avec Fadda Freddy, une chanson contenue également dans cette nouvelle production. Quand on se préoccupe trop de ce que disent les gens, il est difficile d’avancer dans la vie. Acquittons-nous de nos devoirs et avançons, c’est l’essentiel. Dans chaque chanson, les mélomanes peuvent apprendre des choses.

 

Est-ce à dire que désormais, vous ne ferez que de l’afro-rap ?

Je peux vous l’assurer. Je ne vois pas pourquoi je devrais reculer.

 

Presque tous vos duettistes mbalaxmen sont des ambianceurs. Pourquoi ce choix ?

Je trouve que ce qu’ils font et ce que nous autres rappeurs faisons comportent des ressemblances. Le ''taasu'' est à cheval sur le rap. Les rappeurs ne le disent pas parce qu’ils sont complexés. Je crois vraiment que le rap est venu d’Afrique et c’est un boomerang, il nous est revenu sous d’autres formes. C’est à nous d’ouvrir les yeux et de bien distinguer les choses. Moi je reste persuadé que le rap vient du ''taasu''. Je reste persuadé que le flow des Américains, si on le fait en wolof, ça revient au ''taasu''. Rythmiquement, cela s’applique à ce qu’on fait. Il se trouve juste que nous-mêmes ne savons pas comment poser ce flow sur notre style musical de base. C’est juste un problème d’adaptation et de recherches.

 

Vous en avez fait beaucoup de featurings dans ''Iqra'', mais avec peu de rappeurs. Serait-ce parce que vos collègues ne partagent votre feeling musical ?

Le featuring avec Ndongo de Daara J, on l’a fait juste par amitié. C’est une chanson qui a  plus de dix ans. On nous le demandait très souvent. On a réajusté juste des choses et on l’a refait. Cela ne sert à rien d’inviter un rappeur comme moi dans mon album, il n’est pas intéressant qu’on soit dans le même univers musical.

 

Vous êtes l’un des rappeurs les plus critiqués de la scène musicale sénégalaise à cause justement de vos tendances musicales. Avec ce dernier album presque mbalax à 100%, ne semblez-vous pas  narguer vos détracteurs ?

Cet album, c’est pour dire qu’on a du retard. Le débat, ce n’est plus de passer du temps à critiquer Fata ou un autre. Le débat aujourd’hui, c’est où est-ce qu’on ira avec notre fameux hip-hop. Depuis 20 ans, on a l’impression d’être au même stade. Aujourd’hui, on se doit de faire une musique qui peut vendre notre hip-hop. Les critiques sont caduques. Beaucoup de mes pairs ont pris le temps de comprendre. Même s’ils n’osent pas faire des musiques pareilles, ils comprennent pourquoi on fait ça. C’est déjà quelque chose. Ils savent qu’on tend vers un univers musical qui nous oblige à bouger artistiquement. Il faut suivre les transformations et les mutations, on ne peut pas rester statique. Je peux comprendre quelqu’un qui veuille rester collé à une musique ancienne. Je suis fan de ce genre de musique moi-même. Je reste quand même très ouvert à ce qui se passe dans le monde moderne.

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