Publié le 12 Jun 2013 - 18:49
En privé avec Omar Victor Diop

''Moi diplômé de finances et artiste photographe''

 

Omar Victor Diop, Sénégalais de 32 ans, fait actuellement beaucoup parler de lui en ce sens qu’il est vu comme l’un des jeunes photographes les plus prometteurs de sa génération. Et pourtant, rien ne le prédestinait à la photo. Histoire d’un coup de cœur qui s’est transformé en une passion.

Votre parcours en tant que photographe est plutôt atypique. Par quoi avez-vous commencé ? À quel âge vous êtes-vous lancé dans la photo et pourquoi ?

Mes premiers clichés ont plutôt immortalisé des paysages, de même que ce que j’appellerais des ''contemplations architecturales''. Ce fut comme un jeu pour moi, un moyen de redécouvrir Dakar après quelques années passées à l’extérieur du pays. Dès le départ, j’ai également communiqué sur ce que je faisais avec mon cercle familial et amical et, ensuite, avec des inconnus et professionnels, via une page Facebook, grâce à laquelle j’ai pu constater un intérêt grandissant pour mes photos. Cet intérêt m’a surtout servi à être davantage conforté dans la chose au moment de mettre sur pied mon premier projet conceptuel, le ''Project Fashion 2112'', qui portait sur le recyclage.

C’était en 2011. L’idée était d’imaginer à quoi ressemblerait la mode du futur, en partant du postulat qu’un jour les êtres humains se rendront compte des méfaits qu’entraîne leur mode de vie de surproduction, de surconsommation, de surpollution… Dans ce contexte, le ''chic'' ne serait plus synonyme de ''neuf'' mais justement d’être inventif avec ses propres déchets. J’ai ainsi shooté une ou deux photos avec une amie d’enfance qui a été mannequin à un moment, tout en restant dans l’esprit du jeu et de l’expérimentation. Puis par hasard, à la suite d’une discussion fortuite avec un photographe d’art, j’ai soumis sans trop y croire le projet aux rencontres de Bamako qui avaient, cette année-là, un thème qui était ''Pour un monde durable''.

Cela a-t-il marché ?

Disons que c’est à ma grande, mais très grande surprise, que j’ai concomitamment été sélectionné pour faire partie des 26 photographes qui font l’exposition panafricaine. Pour dire, il y avait eu un total d’environ 500 candidats ! En novembre 2011 donc, je me retrouve aux rencontres de Bamako, plus que jamais surpris de voir que mon projet suscite un d’intérêt, de même qu’une couverture média. Dans l’absolu, cela m’a surtout servi à faire énormément de contacts, en même temps que de m’initier à de la lecture de portfolio avec des commissaires d’exposition ou d’autres gens de renommée internationale. Il fallait, bien sûr, continuer. J’ai réfléchi sur un deuxième projet, les ''Wax dolls'' (NDLR : ''Poupées de cire''), que j’ai ensuite présenté à la Biennale de Dakar sur invitation de l’Institut français. J’ai eu carte blanche pour monter cette expo qui était mon regard sur un phénomène de société ou, du moins, une dimension de l’Afrique urbaine.

Il s’est concrètement agi d’une série qui parle du rapport que notre société ou plus généralement les société africaines contemporaines entretiennent avec ce tissus Wax qu’on nous présente comme africain et dont les origines ne sont pas aussi locales que l’on veut bien le faire croire. J’illustre cette consommatrice africaine sous la forme d’une poupée de cire qui est en train d’être modelée dans un atelier qu’on imagine néerlandais. Là aussi, cela suscite beaucoup d’intérêts lors de la présentation. Et, du coup, je commence à transformer la photo en un métier : j’ai de plus en plus d’appels du coude de la part de la publicité, des agences me font également des propositions. Ce qui fait qu’en avril 2012, je décide de m’y consacrer exclusivement et de devenir photographe à temps plein.

Donc rien, à la base, ne vous destinait à embrasser cette profession ?

Non. Je suis né et j’ai fait la plus grande partie de mes études à Dakar. École primaire, bac technique en série G et, ensuite, une école de commerce de la place. Après un premier master en finances obtenu ici, je suis allé à Paris pour un autre master en Gestion des projets internationaux. En 2005, je rentre au Sénégal où j’entre en cabinet de consulting. Je trouve ensuite un emploi au sein d’une multinationale qui m’emmène à partir un an au Kenya, puis au Nigeria. Mon second retour sur Dakar s’est fait en 2010. C’est à ce moment que j’ai acheté un appareil semi-professionnel mais c’était plus comme un gadget, un petit joujou du week-end. Jamais je n’aurais prédit le reste.

D’après vous, qu’est-ce qui fait que vous ayez obtenu une telle réussite dans la photographie puisque qu’en fin de compte, vous êtes quelque part un autodidacte en la matière ? Comment expliqueriez-vous ce regard particulier qui est le votre ?

C’est une combinaison de facteur, en toute honnêteté. D’abord, une question de contexte : on est à une période charnière de l’art contemporain et des arts visuels au Sénégal, particulièrement en ce qui concerne la photographie. Il y a toute une nouvelle vague du numérique, de la redécouverte de notre contexte urbain à laquelle j’adhère. C’est une prise de conscience collective, de la part du public mais aussi de la part des artistes, que l’Afrique, ce n’est pas forcément ce que les médias à l’échelle globale veulent bien en montrer. On est au moment où les gens ont envie de voir ce qui se passe vraiment une fois mises à part les tragédies. C’est aussi valable pour ceux qui communiquent par l’art et ont envie de montrer autre chose. Le deuxième élément, peut-être, est que mes projets ont apporté quelque chose de différent. Dans ce sens, à partir du moment que c’est différent, ça suscite forcément un intérêt. Et puis, il y a beaucoup de boulot derrière aussi (Rires).

Pourriez-vous nous définir votre esthétique à vous ? Quelle est la ''Patte'' d’Omar Victor Diop ?

Je dirais ''essayer de faire transparaître, dans chaque photo que je prends, tout ce qui fait la richesse de ma génération d’Africains urbains''. C’est le fait de montrer toute la multi culturalité de notre éducation, nous Dakarois des années 80 et de dire comment on a été exposé à toutes sortes d’influences venant de partout tout en montrant, quelque part, un ancrage dans des valeurs et une esthétique typique de cette partie-là de l’Afrique. Quand je fais un portrait dans le ''Studio des Vanités'' (NDLR : autre projet d'Omar Victor Diop qui tourne autour du portrait posé), il m’arrive très souvent de faire ce que j’appellerais un ''clin d’œil'' à notre patrimoine photographique ouest africain ou plus particulièrement sénégalo-malien.

Je parle de cette composition qui fait qu’il y a un dialogue entre le stylisme du modèle et la déco, de cette attitude où l’on se fige en icône parce qu’on sait qu’on fait une photo pour la postérité et de cette poésie dans le geste, le regard… Ce sont toutes ces choses difficilement explicables que j’essaie de garder parce que je trouve que c’est une tradition qui mérite d’être poursuivie, mais aussi cette volonté qui est la mienne de tirer au maximum profit de l’évolution technique de la photographie et de mon regard contemporain. Sans oublier la présence du modèle. C’est une combinaison comme ça que j’essaie de maintenir dont je fais mon esthétique.

Dernière question technique, vous définiriez-vous plutôt comme un ''puriste'' ou comme quelqu’un qui retravaille beaucoup via des programmes de retouche d’images, notamment ?

Mon travail de création ne se limite certainement pas au moment de shooter. Pour moi, la création est continue même jusqu’au vernissage de l’exposition. Donc sur certaines de mes photos, il y a beaucoup de travail graphique parce que je pense que cela participe d’une interprétation. C’est-à-dire que je ne fais pas dans la photocopie, je m’exprime par la photographie, le graphisme. Par exemple, je n’exclus pas dans le futur de mettre de la peinture sur mes photos. Ce qui importe, pour moi, c’est vraiment l’expression, avant toute rigueur ou un certain naturalisme. Je m’exprime par la réinterprétation sur une grande partie de mon portfolio.
 

Par Sophiane Bengeloun

 

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