Publié le 1 Dec 2013 - 06:36
EN PRIVE AVEC… LAMINE MBENGUE

 ''Il faut que les Sénégalais arrêtent le Lambi golo''

 

Comédien, humoriste, réalisateur, musicien et compositeur, Lamine Mbengue est un artiste polyvalent. Après un long séjour en Europe, il est rentré au bercail. Dans les locaux de Sénégal TV, sa structure de communication sise à Ouest Foire, c'est une trentaine de jeunes qui sont à pied d’œuvre pour porter son projet culturel. L'acteur principal du téléfilm ''Le mari'' s'est confié à Enquête.

 

Que devient Lamine Mbengue aujourd’hui ?

Je pense qu’à travers la musique, le théâtre, le cinéma qu'il a exploités, Lamine Mbengue est à ce jour  au carrefour de tous les arts qu’il a eu à pratiquer. C’est ce que les Wolofs appellent ''Selebe yoon''. Je suis à la croisée des chemins qui permet de prendre une direction.

Quelle est votre direction ?

Ma direction, c’est la communication, aussi vaste qu’elle est dans son ensemble. Pour moi, la communication, c’est la capacité de parler aux gens en évoquant certains sujets de société, d’actualité, même s’ils sont souvent virulents. Pour résumer, Lamine Mbengue s’investit pour être un représentant communicationnel de son pays et un combattant farouche pour le respect de son peuple. A travers mon expérience, je pense pouvoir être un instrument pour mon pays dans la mondialisation que nous sommes en train de vivre. Je ne veux pas dire subir, parce que nous sommes des acteurs. Cela étant, nous avons notre pierre à poser dans l’édifice pour faire évoluer les choses.

Avant, tu avais ta mangue et moi j’avais mes bananes. Et je pouvais te  donner mes bananes et tu pouvais en faire autant avec ta mangue. Et les Occidentaux sont venus nous dire que ça ne doit pas se passer comme ça. Ils nous font croire que ta mangue et mes bananes ont une valeur et c’est eux qui les déterminent. C'est-à-dire qu’avant de me donner ta mangue, c’est l’Occident qui décide par voie bancaire ou un quelconque système. Du coup, on ne peut pas faire d’échange direct entre nous. La valeur est donc déterminée par quelqu’un d’autre e à notre place.

Cela ne vous plaît pas ?

Moi, j’ai décidé de combattre cela. C’est pour cette raison que j’ai créé des structures, des courants de lutte économiques dans le fond pour faire face à ce système, afin que l’on puisse échanger sans pour autant passer par des grosses structures qui imposent leur diktat pour empêcher l’Afrique d’avancer. Nous avons des forces vives, la jeunesse, le potentiel, les ressources humaines ; et Lamine Mbengue est à ce carrefour pour canaliser toutes les énergies nécessaires afin de mettre quelque chose en place pour participer dans cette mondialisation.

Quels sont les moyens dont vous disposez pour mener un tel combat ?

Au cours d’un dialogue avec un acteur, dans mon film ‘’Le mari’’, il m'a dit : ''Mais comment tu vas faire pour transformer l'eau de mer en une eau potable?'' C'est sans doute possible. Il y en a qui le font. Nous sommes partis de notre droit de rêver pour atteindre les plus hauts sommets. Par exemple, on me voit, dans le film ''Le mari'', conduire l'une des plus belles voitures au monde.

Ce n'est pas qu'elle m'appartienne. Mais nous voulons juste démontrer que nous pouvons accéder à ce niveau-là tout en sachant que le matériel n'est pas plus important. Pour revenir à votre question et parler des moyens parce que c'est lié, l'homme doit être convaincu que c'est Dieu qui l'a créé. C'est aussi le même Dieu qui lui a donné deux yeux, des membres, un cerveau, une bouche, des oreilles. C'est Lui qui t'a financé en premier. C'est le plus grand financement d'un être humain.

Où voulez-vous en venir ?

Aujourd’hui, les Occidentaux vivent dans un continent dont la population est en train de vieillir. Par conséquent, ils ont besoin de bras pour travailler. C'est nous qui avons ces bras-là. Mais pourquoi accepter que nous n'avons pas de moyens ? Il est temps que nous sachions valoriser nos acquis. Tant donné que nous avons un potentiel humain, il faut se mettre au travail. Il faudra aussi que les chemins soient balisés et que l'on apprenne aux Africains à croire en leur potentiel pour avoir une nouvelle vision pour leur pays.

Personnellement, c'est ce que je suis en train de faire avec l'expérience que j'ai acquise à travers le monde. Je crois avoir compris la direction à suivre pour trouver notre place. Et pour parler de financement, il ne faut pas faire allusion à l'argent. Parce que le financement est là de fait. Par exemple, l'entreprise que je dirige n'a reçu aucun financement de la part de personne.  Nous avons des idées, la patience et le bon Dieu. J'estime que l'on peut faire comme les Asiatiques qui se sont basés sur leurs valeurs culturelles et religieuses pour avancer. Une fois sur cette voie, nous pourrons construire nos propres rêves.

Au delà de l'artiste, n'êtes-vous pas trop idéaliste pour un tel défi ?

Idéaliste, je ne pense pas. Cela fait dix ans que je mène ce combat et ce fut très dur. Par la grâce du bon Dieu, ça fonctionne petit à petit. Avec une détermination, une abnégation et un engagement intelligent, on peu faire bouger les choses. Il faut que les gens arrêtent de dire : ''Du dem''. Au lieu de s'attarder sur le pourquoi ça ne va pas marcher, essayons plutôt de trouver des solutions pour atteindre notre objectif. On doit bannir de nos habitudes les crocs-en-jambe espiègles. Quand quelqu'un entame un projet, il faut l'aider pour sa réalisation.

Est-ce que vous continuez à faire de la musique ?

Je fais toujours de la musique. La preuve est que je viens de sortir au niveau de l'Europe 5 CD différents avec de grands producteurs européens. Mais c'est une musique destinée aux enfants. J'ai fait le choix de faire de la musique pour les enfants, parce que le temps me manque avec mes projets. Il y a aussi d'autres raisons qui sont personnelles. Mes compositions sont attribuées à d'autres personnes qui les chantent.

Ma vie musicale continue en Europe, mais le temps ne me permet plus de faire la promotion. J'ai marqué une pause pour me consacrer au développement de mon pays qui paraît plus important. Je ne veux pas faire comme la cigale qui, ayant chanté tout l'été, se trouva dépourvue. Je préfère la fourmi dont le travail est beaucoup plus important. C'est-à-dire, entre autres, construire et poser des jalons pour que les gens puissent vivre décemment. On ne peut pas écouter une chanson avec le ventre vide.

Quelle lecture faites-vous de la multiplication des téléfilms sénégalais ?

Je fais partie de ceux qui ont été les premiers à combattre les télénovelas qui nous viennent de je ne sais où. D'ailleurs, c'est dans cette optique que j'ai initié plusieurs séries sénégalaises qui évoquent nos propres réalités, pour combattre ces télénovelas. Parce que ce phénomène qui n'a rien de commun à notre culture était en train de pervertir la jeunesse sénégalaise. J'ai mis en place un système qui permet aux gens de faire beaucoup de séries. Aujourd'hui, nous avons produit ''Le mari'' et d'autres qui vont suivre pour barrer la route à ces télénovelas qui nous sont imposées.

A la longue, ce phénomène va déterminer la vie de nos enfants. C'est en plus de l'argent qui va à l'extérieur au lieu de venir vers les comédiens sénégalais. Moi, j'ai eu l'occasion de faire venir des séries de ce genre, mais ma préférence a toujours été de privilégier les talents locaux. C'était difficile au début, mais ça marche aujourd'hui. Il ne faut pas oublier qu'aussi géant qu'est le baobab, sa mère fut la petite graine. Il faut que les Sénégalais arrêtent le Lambi golo. Quand quelqu'un veut avancer, il faut qu'on l'aide à grandir.

Almami Camara

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