Publié le 11 Mar 2018 - 08:16
EN PRIVE AVEC FALLOU DIENG (ARTISTE COMPOSITEUR)

‘’On ne doit pas avoir honte de vendre notre musique’’

 

Fallou Dieng est de cette génération de musicien  qui a chanté sa partition dans la  révolution du mbalax. ‘’Chef d’Etat-major des ambianceurs’’ comme il se définit, l’auteur de ‘’Mana’’ est convaincu que nul ne peut occuper sa place dans le landerneau musical sénégalais. Surtout qu’il se prépare à mettre dans les bacs un nouvel album après une si longue absence. Sa trouvaille pour rester en contact avec ses fans : ‘’Fallou dans sa voiture’’, la nouvelle vague de chanteurs, ses relations avec le couple présidentiel… Sur tous ces sujets, il s’est confié à EnQuête. Et sans fausse note.

 

Quelle est l'actualité musicale de Fallou Dieng ?

J’ai annoncé récemment la reprise de mon projet d’album avec feu Madou Diabaté. C’est un album de 10 titres que je souhaite mettre sur le marché cette année. Il me reste les vidéos à faire avant la sortie officielle. ‘’Fallou Folk’’ en sera le titre. Cela n’a rien à voir avec le mbalax que je faisais. Tout le monde pourra s’y identifier parce qu’il est classique. J’ai trouvé que ne pas le sortir serait du gâchis même si Madou n’est plus là. Ce sera même une manière pour moi de lui rendre hommage. Les recettes de la vente pourront servir à sa famille. J’ai aussi un projet parallèle de double maxi. Je veux faire quelques remixes de mes chansons les plus populaires en sus d’un nouveau titre. La génération actuelle ne connaît pas très bien ma musique. Reprendre quelques morceaux permettrait de leur faire découvrir ce que je fais. Je n’ai jamais fait cela. Je sais que les mélomanes ont hâte de me voir à nouveau sur scène. Actuellement, je fais des ateliers musicaux pour concrétiser ce projet.

Qu’en-est-il alors de cette émission que vous animez et qui passe sur internet ?

 ‘’Fallou dans sa voiture’’ est un concept que j’ai développé pour rassembler mes fans. A un moment, mes clips et mes sons ne passaient plus dans les médias. Les réseaux sociaux sont très puissants et il y est plus facile pour quelqu’un d’atteindre ses objectifs. C’est pour cela que je les ai investis pour rester en contact avec le public.  Au début, c’était un format de 15 mn. Je passais mes chansons. La demande est devenue forte, je suis passé à 30 minutes puis 45 et enfin une heure. Cela a eu une ampleur inimaginable. J’ai pensé que je pouvais l’améliorer en invitant des artistes. Yoro Ndiaye a été le premier. Il a compris le concept et les gens ont apprécié l’émission. Depuis lors, chaque 15 jours j’invite un artiste. Je suis artiste et je sais ce qui se passe dans le monde de la musique, donc je suis toujours à l’aise quand j’invite quelqu’un et c’est ce qui fait l’originalité de l’émission. Certains animateurs n’ont pas le niveau et quand ils invitent un chanteur, ils ne peuvent pas lui poser des questions pertinentes. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à garder ce concept. J’ai eu à inviter Pape Diouf, Les Frères Guissé, Idrissa Diop, Daba Sèye, Sidy Diop, Momo Dieng, entre autres.

Etes-vous en train de préparer votre reconversion ?

Non du tout. La musique est mon métier. Moi, je considère que j’ai fait la première étape. Je vais entamer la seconde. Quand on doit revenir après avoir fait 15 à 20 ans non-stop dans la musique, on doit bien le préparer. Et cette émission est une occasion pour moi de faire la promotion des nouveaux talents. Mais cela n’a rien à voir avec ma carrière musicale. Cela ne veut pas dire que je vais arrêter la musique. Mais c’est de notre devoir de préserver cette musique en faisant des émissions radio ou  télé.

Pourquoi l’émission  n'est diffusée que sur internet ? 

C’est un choix. Si c’était sur une télévision, elle ne durerait pas six mois. Les gens me mettraient des bâtons dans les roues. Sur les réseaux sociaux, j’atteins ma cible et je sais aussi que je peux trouver des sponsors en y restant. J’ai déjà été sollicité par certains médias. Des techniciens m’ont contacté pour mieux mûrir le concept, voire équiper la voiture avec des caméras  où chercher une voiture plus grande car parfois, certains artistes viennent avec leurs instruments. C’est ce qui fait d’ailleurs l’originalité de l’émission.

Etes-vous d’avis que ce sont les animateurs qui créent les vedettes ?

Oui c’est une réalité. Quand vous êtes membres de certains labels, on met vos chansons. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui on connaît certains au moment où d’autres restent inconnus. Alors que ces derniers sont des artistes talentueux qui se débrouillent pas mal. Seulement, l’impression que j’ai est que quand on ne fait pas partie de certains labels, on ne peut avoir la chance d’être promu. Moi, par exemple, qui ne fais partie d’aucun label, on ne met plus mes chansons. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé cette émission. Il est vrai que je n’ai pas sorti d’album depuis 2013. Et après avoir mis sur le marché ‘’Momé vent’’, j’ai eu un accident.

C’est ce qui explique mon retrait de la scène musicale durant une certaine période. Je peux dire que c’est en partie ce qui explique que je ne sois pas dans les médias. A cela s’ajoute ce que j’ai déjà dit à savoir que les animateurs ne mettent que les artistes qui ont signé avec certains labels. Je sais tout de même que je suis aussi talentueux sinon plus qu’avant. Parce que j’ai gagné en maturité et en expérience. Si je mettais aujourd’hui un album sur le marché, si la promotion ne se passe pas comme il faut, on dira que l’artiste n’est plus au top or il a fait tout ce qu’il pouvait.

Parlez-nous de cet accident qui vous a contraint à vous retirer de la scène ?

Après le travail fait avec feu Madou Diabaté, on a commencé à jouer dans des cabarets comme le Just for U, Mirador, etc. On voulait tenter une autre expérience. Après le décès de Madou, je me suis engagé dans un autre projet d’album de 9 titres en ‘’mbalax’’. C’est ‘’Momé vent’’. C’est après sa sortie que j’ai eu un accident. Ma jambe était affectée. J’étais alité pendant un an. Je n’en ai pas parlé à ce moment-là. Je suivais mes traitements discrètement. Vous savez, faire de la musique requiert beaucoup de moyens. Je ne sais pas tendre la main. Dieu a fait que je ne suis pas du genre à aller demander de l’argent à mes amis. Et personne n’est également venu me proposer de l’aide financière pendant cette période.

C’est ce qui explique en toute franchise, en partie, ma longue absence de la scène musicale. Mais je rends grâce à Dieu tout de même. On ne peut pas être là et au-devant de la scène pendant 15 ans et se décourager parce qu’on n’y est plus. Cela m’a permis de réfléchir sur beaucoup de choses et de me rapprocher de Dieu. Je crois en Dieu et reste convaincu que ce n’est qu’une épreuve. Personne ne peut se dire en me regardant que j’ai des soucis. Je n’ai pas de problèmes pour manger ou tenir ma maison. Quand je parle de problèmes, c’est plus par rapport à la production musicale. Personne ne produisait mes albums. Je les faisais moi-même. Si je n’ai plus de budget pour cela, je n’ai autre choix que d’attendre.

N’êtes-vous pas nostalgique de vos années de gloire ?

 Bien sûr que si ! Pour quelqu’un qui se produisait et allait en tournée régulièrement, c’est tout à fait normal qu’il soit nostalgique. Je ne restais pas au Sénégal pendant longtemps. Cela fait maintenant quatre ou cinq ans que je ne suis pas allé me produire à l’étranger. Donc, il est normal aujourd’hui que je n’aie pas de moyens financiers pour produire mes albums. Je suis en train de travailler pour retrouver ces moments de succès.

Ne pensez-vous pas que vous êtes devenu has been ?

Non, je ne peux pas être dépassé. Avec tout ce que j’ai fait dans la musique, c’est impossible. Je fais partie d’une génération qui a apporté une révolution dans la musique. Nul ne peut oublier cela. Aujourd’hui, j’ai des chansons qui sont dans les classiques de la musique sénégalaise. Je ne me sous-estime pas. Beaucoup de personnes pensent que certains ont arrêté de faire de la musique alors que tel n’est pas le cas. Les medias ne font plus la promotion de nos albums. On a même l’impression que certains veulent en finir avec les musiciens de ma génération en ne faisant la part belle qu’à la nouvelle vague de chanteurs. Ce n’est pas normal qu’on veuille ainsi nous enterrer alors que nos aînés poursuivent leurs carrières.

Presque tous les ténors de la musique sénégalaise se sont produits au Grand-Théâtre sauf vous. Est-ce que vous y pensez ?

J’ai joué dans des salles plus grandes que le Grand-théâtre. En Guinée et au Mali, j’ai joué à guichets fermés dans des salles où il y avait plus de 4 000 personnes. Chaque chose en son temps. Quand on ne fait plus le buzz, on ne peut se permettre de jouer dans une aussi grande salle. Ça ne marchera pas. Chacun doit connaître sa valeur. C’est vrai que les gens sont nostalgiques. Je ne peux vous dire combien de personnes me contactent pour me demander des spectacles. Mais un évènement, ça se prépare.

Donc vous reconnaissez avoir perdu du terrain…

 (Il coupe) Tel n’est pas le cas. Je suis juste absent du marché musical. Mais quand je reviendrai, je ferai à nouveau le buzz. C’est sûr !

Cela ne risque-t-il pas d’être difficile, parce qu’entre-temps il y a une nouvelle génération qui a su s’imposer ?

Non cela ne sera pas difficile. Parce que je ne suis plus à présenter. Pour quelqu’un qui a un nom, qui connaît le chemin, il n’est pas difficile de rebondir. En plus, avec les jeunes, nous n’avons pas les mêmes objectifs. Toutefois, nous nous devons de les accompagner, car il y a des talents parmi eux. Je pense qu’il faut surtout les encourager. Ils sont l’avenir de notre musique. Nous devons les accompagner et non les combattre. En tout cas moi, tout le monde peut en témoigner,  je suis de nature très généreux vis-à-vis de mes jeunes frères. Au summum même de ma carrière, j’ai tendu la perche à des gens qui sont devenus aujourd’hui célèbres. Mon problème, c’est comment revenir et faire plaisir à ceux qui m’aiment, qui ne cessent de me réclamer et non ces jeunes. Il y a des gens qui souffrent à cause de mon absence. Je n’en peux plus de les voir ainsi. C’est pourquoi je me bats pour revenir.

Comment comptez-vous marquer le coup pour reprendre votre place ?

J’ai ma singularité. Quelque chose que je ne partage avec personne. Je suis ‘’L’ambianceur national’’. Aujourd’hui, certains sont devenus rois du mbalax, d’autres rois du Yella, moi je suis ‘’le chef d’état-major général des ambianceurs’’. C’est cela mon grade dans la musique. Il est donc impossible que l’on m’oublie. Actuellement, il y a un vide, cette place-là que j’ai toujours occupée reste vacante. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les mélomanes. Chaque été ou chaque début d’année, je sortais une nouvelle chanson accompagnée d’une nouvelle danse. Nul ne le fait maintenant. Cela manque dans le paysage musical, selon certains. J’ai donc toujours ma place.

Comment trouvez-vous l'environnement musical sénégalais ?

J’ai noté que la tendance a commencé à changer. Je n’aime pas la tendance. Je n’aime pas trop la nouvelle direction que prend la musique. Nous ne sommes pas des Camerounais. Nous ne sommes pas des Zaïrois ou autres. Nous sommes des Sénégalais. Les jeunes doivent avoir conscience que la musique sénégalaise avait atteint un certain niveau et qu’aujourd’hui, leur devoir est de la hisser encore plus haut. J’ai l’impression qu’on cède à la facilité. On nous mène vers une voie différente de la nôtre. Au Sénégal, il y a plusieurs ethnies. Mais chacune de ces ethnies connaît le rythme mbalax. On a donc du boulot, surtout les jeunes. Les anciens ont joué leur rôle, c’est à eux de jouer le leur.

Qu’est- ce qu’il faut faire concrètement selon vous ?

Nous avons nos propres rythmes. Il faut continuer la recherche pour enrichir cette musique qui est la nôtre, travailler pour pouvoir l’exporter. J’ai vu des gens qui sortent un album en disant que c’est national, et qu’ils préparent l’album international. Cela veut dire quoi ? Tous les pays africains exportent leurs propres sonorités. Pourquoi ici on a honte de vendre à l’international ce qu’on a. Un musicien, plus généralement un individu, doit avoir son identité. Il faut croire en nos rythmes, en notre culture.

Comment appréciez-vous la comparaison que font certains entre Wally Seck et Youssou Ndour ?

Ils ne sont pas du tout pareils donc pas comparables. Youssou Ndour reste un père et Wally Seck un fils. Certes un jeune talent qui veut faire carrière imite les ténors de la musique mais cela ne veut pas dire qu’ils sont comparables. Les jeunes ont de l’ambition et cela ne signifie pas qu’ils souhaitent se jauger à tel ou tel autre artiste. Quoi qu’on puisse dire, ce que Youssou Ndour a fait pour ce pays et sur l’international, aucun jeune ne l’a encore réussi. Il faut comparer ce qui est comparable. Ils ont certes de l’ambition mais ils doivent beaucoup de respect à ceux qui les ont devancés sur la scène musicale. 

Vous disiez être le premier artiste à avoir consacré une chanson au Président Macky Sall avant même qu’il n’accède au pouvoir. Quelles sont vos relations actuelles avec le couple présidentiel ?

C’est en 2005 que j’ai chanté la première fois le couple présidentiel. D’ailleurs j’ai toujours dit à Macky Sall que je voyais en lui un futur Président. Ma chanson ‘’Kolëré’’ était la sonnerie de portable de la Première dame. Ainsi, on a toujours été proche. Mais depuis que Macky Sall est devenu Président, on ne s’est pas vus. Il n’empêche que je le supporte dans tout ce qu’il entreprend. Et je lui souhaite un deuxième mandat car je me dis que faire juste un mandat présidentiel ne peut avoir d’impact sur le Sénégal. Je n’ai jamais demandé à avoir une audience mais je veux bien qu’il se souvienne de moi car j’ai beaucoup joué pour lui à Fatick.

HABIBATOU WAGNE

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